Le cimentier Lafarge est visé par la plainte de deux ONG et d'anciens employés qui l'accusent d'avoir financé le groupe jihadiste État islamique (EI) pour maintenir, en pleine guerre, l'activité d'un site en Syrie.
Cette plainte, avec constitution de partie civile, vise à obtenir l'ouverture d'une enquête confiée à des juges d'instruction. Ceux-ci pourraient alors lancer des investigations sur de possibles arrangements entre la filiale syrienne de Lafarge et l'EI, pour continuer de faire fonctionner une cimenterie à Jalabiya, dans le Nord syrien, jusqu'à ce que l'organisation jihadiste en prenne le contrôle en septembre 2014. L'enquête pourrait aussi porter sur la connaissance qu'auraient eu des responsables du cimentier en France de tels accords et du danger qu'ils ont pu faire courir aux employés sur place.
« En Syrie comme ailleurs, la priorité du groupe a toujours été la sécurité de nos collaborateurs et de leurs familles », a réagi dans un communiqué LafargeHolcim, issu de la fusion de Lafarge et du Suisse Holcim en 2015. Le groupe a souligné que cette usine, un « employeur important dans la région », « avait un rôle vital » pour les Syriens « car elle leur fournissait les matériaux de construction essentiels à leurs besoins en matière de développement et d'urbanisation ».
Dans une enquête en juin, Le Monde s'est appuyé sur les témoignages d'anciens employés et de courriels internes pour révéler ces « troubles arrangements », alors que l'organisation État islamique gagnait du terrain et devenait incontournable dans la zone. D'après le quotidien, c'est dans ce contexte qu'« un certain Ahmad Jaloudi est envoyé par Lafarge à Manbij, pour obtenir des autorisations de l'EI de laisser passer les employés aux checkpoints ».
Laissez-passer de l'EI
Le journal a aussi évoqué un laissez-passer estampillé du tampon de l'EI, permettant aux camions de circuler pour approvisionner le site, et laissant supposer le paiement de taxes. Enfin, il a relaté l'intervention d'intermédiaires et de négociants pour vendre au cimentier du pétrole raffiné par l'EI.
Déposée par l'ONG Sherpa, qui défend les victimes de « crimes économiques », le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme (ECCHR) et onze anciens salariés, la plainte vise des faits de financement du terrorisme, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, mise en danger délibérée d'autrui, exploitation du travail d'autrui et négligence. Au-delà de l'enquête, Sherpa veut dénoncer « l'obsession d'une entreprise de maintenir une activité profitable, au risque de devoir rendre des comptes et que soient mises au jour des liaisons pour le moins dangereuses avec ceux qui sont perçus comme les pires ennemis de l'humanité », a déclaré le président de l'ONG, William Bourdon.
LafargeHolcim avait assuré en juin qu'il examinerait les faits révélés par Le Monde. Un examen « dans le cadre de notre code de conduite des affaires qui appelle au strict respect des lois en vigueur, incluant l'interdiction de traiter avec des groupes classés comme terroristes », affirmait le groupe hier. En juillet, la mission parlementaire française sur les moyens du groupe jihadiste avait pris la défense du cimentier. « Rien ne permet d'établir que le groupe ou ses entités locales ont participé directement ou indirectement, ni même de façon passive, au financement de Daech », avait-elle écrit dans son rapport.
L'usine, d'une capacité annuelle de 2,6 millions de tonnes de ciment, représentait l'un des investissements étrangers les plus importants jamais consentis en Syrie en dehors du secteur pétrolier. Au moment de son lancement, le projet avait été chiffré à 600 millions d'euros (646 millions de dollars). La construction de l'usine avait été engagée par le groupe égyptien Orascom, racheté par Lafarge en 2007. La production avait commencé en 2010.
(Source : AFP)