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Lifestyle - Rencontre

Loïc Prigent au 33e ciel

Le journaliste et documentariste français apparaît plus doux et mélancolique que ne le laisseraient croire le piquant de ses documentaires et surtout ses tweets qui viennent de faire l'objet d'un livre* et d'une lecture sur Arte par Catherine Deneuve. Pas moins.

Photo Makram Bitar

Le rendez-vous est donné dans un restaurant du 10e arrondissement, près de chez lui. Loin des délires dorés de la Fashion Week parisienne, à l'heure où se boivent au goulot les flûtes des palaces, il est à l'aise et l'est dans ses baskets et commande du pâté aux herbes. Loïc Prigent est, comme on avait été prévenu, comme on l'imaginait : avenant, expansif, communicatif, sans apprêt mais avec de l'affect. Il n'y a aucune surprise, sinon celle d'associer sa voix inimitable, pourtant sans fards ni effets de manche, à un visage. Ce qui ne veut pas dire que c'est une déception. Au contraire, le plus frappant chez cet homme dont le sourire en bandoulière risque à tout moment de muter en mitraillette, c'est le décalage entre son élégance un rien débraillée et l'aisance avec laquelle il s'incarne ailleurs. Loin de là où on l'envisagerait, au cœur de la planète mode et son biotope cinglé dont il est aujourd'hui sans doute l'un des meilleurs chroniqueurs. Sur plusieurs fronts, il étonne et réjouit avec ses documentaires devenus cultes, son émission Habillée pour... et récemment un recueil de ses tweets lus par Catherine Deneuve.

De la chair à paradoxe
Tout ça pour dire que Loïc Prigent est dual, inclassable : aussi calme qu'extasié, rigoureux que rêveur, acerbe qu'indulgent. Sa séduction, qui pourrait être un croisement entre celle d'un beau à la barbe de trois jours et d'un Waldo à bonnet vissé au crâne, se masque derrière un refus de jouer les fanfarons. Ce pragmatisme perturbe un univers où il s'est faufilé en douce, tel un tendre ovni, et qu'il parodie avec une distance gracieuse et un regard vert de gris aiguisé. Il lâche d'ailleurs, avec gouaille : « Je me suis fait rejeter de défilés à deux ou trois reprises ! Ça doit être mon look qui ne convient pas aux standards de ce milieu. » On conte ce Breton comme un pur produit de province devenu le cliché du Parisien qui s'exporte bien. Il préfère se souvenir de son adolescence finistérienne dont il garde une nostalgie des magazines qu'il dévorait avec gourmandise et aux creux desquels il découvrait la mode. Naîtront ensuite la frustration de cette barrière de papier glacé et l'envie, le besoin d'aller à Paris. « J'ai voulu expérimenter une vie qui va plus vite, de rencontrer des gens, de profiter, simplement de vivre une vie jeune là où il se passe des choses. », se souvient ce Parisien d'adoption.

Un témoin amusé
Loïc Prigent fait ses armes chez Libération dans la rubrique mode où il cultive un appétit d'ogre pour les moindres miettes d'actu et une vivacité qui croque l'instant. Il collabore également – jusqu'à aujourd'hui – avec Vanity Fair et Vogue, même s'il concède : « À l'écrit, je me sens acteur dans la mesure où je peux malaxer le matériau. En tant que documentariste, et donc observateur, il y a tellement d'autres facteurs qui entrent en jeu. C'est excitant. » Voilà peut-être pourquoi le virage s'opère et Prigent débarque chez Canal+ en tant que défricheur de sujets, puis chroniqueur et documentariste. Il réalise des documentaires dont la série Le jour d'avant où il s'immisce dans l'intimité et l'hystérie parfois du processus de finalisation d'une collection (chez Proenza Schouler, Lanvin et Isabel Marant entre d'autres) 24 heures avant le défilé. Avec sa complice à la voix rauque, Mlle Agnès, ils signent l'émission Habillée pour... Le tandem rigolo joue les spéléos en plongeant dans la volière des défilés qu'il narre et nargue ensuite avec verve et lucidité, comme une manière de tendre un miroir (déformant ?) à son époque. Son rapport avec ce milieu qui taraude plus d'un, Loïc Prigent le conçoit donc ainsi : « Je ne suis pas une rédactrice de mode. (Rires.) Je me considère comme un témoin amusé de ce monde. Mais je le fais avec la distance nécessaire, de la méfiance même. D'ailleurs, je ne pense pas qu'on puisse aimer quelque chose dans son ensemble et en faire partie. »

« L'émotion n'est pas en danger »
Côté réseaux sociaux, il découvre Twitter et adore ça !
« Car c'est concis, rapide et drôle. J'aime faire simple et devenir mon médium propre d'une certaine manière. » À ses 210 000 abonnés, de son style décliné sur 140 signes (et qu'il applique aussi à ses documentaires), abrégé et foutraque, qui dépasse toujours ce qu'il voudrait dire, faisant claquer les coutures de la phrase à coups d'élucubrations, il brosse le portrait d'un monde modeux qu'il décrit comme « l'asile psychiatrique le mieux habillé du monde ». Ces phrases entendues dans le milieu de la mode, retenues par ses oreilles de lynx, couchées sur son compte Twitter, ont ensuite été rassemblées dans un ouvrage J'adore la mode mais c'est tout ce que je déteste où l'on trébuche même sur une allusion libanaise : « Ma coiffure est bien, mais dès l'atterrissage au Liban elle sera horrible. Beyrouth est le pire truc qui puisse arriver à des cheveux. » L'ensemble a fait l'objet d'une lecture par Catherine Deneuve sur Arte. À ce sujet, Loïc Prigent peine à trouver les mots et suffit de dire : « J'ai eu l'impression de marcher sur des nuages. » Car cet estampillé satirique ne s'empêche pas de se souvenir avec mélancolie de « grands moments de mode où l'histoire est créée instantanément » puisqu'à ses yeux, quoi qu'on puisse penser, « l'émotion n'est pas en danger ».
D'ailleurs, pour finir, un moment fort de votre carrière ?
« Le dernier défilé d'Yves Saint Laurent au centre Pompidou en 2002. J'étais au 33e rang je crois. Et au 33e ciel aussi. » Un tweet est né.

* « J'adore la mode, mais c'est tout ce que je déteste » par Loïc Prigent aux éditions Grasset.

 

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