Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Religion

Géorgie : le voyage du pape François fera sortir la communauté assyro-chaldéenne de l’oubli

L'établissement de ces chrétiens d'Orient au Caucase remonte à 1770, date de l'arrivée des premiers migrants, alors que la dernière vague remonte au génocide de 1915 en Turquie.

L’église assyrienne Mar Zaya de Kanda.

Qui sait qu'il existe au Caucase des assyro-chaldéens ? Qui sait que ces assyro-chaldéens, des chrétiens, adeptes naguère de l'Église d'Orient, dite nestorienne, connus par les Russes et les populations locales sous le nom commun de Aïssor ou Assori (assyriens), parlent encore aujourd'hui l'araméen (ou syriaque), la langue du Christ, dans cette région du Caucase ?
D'habitude, quand on parle des assyro-chaldéens, on pense tout naturellement à l'Irak, à la Turquie, à l'Iran, à la Syrie, au Liban et à la diaspora. Mais leur trajectoire russe et caucasienne (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Caucase du Nord) est largement méconnue et leurs liens avec les Églises russe, géorgienne et arménienne encore moins.
Le mérite du voyage que va effectuer le pape François, à partir d'aujourd'hui et jusqu'à dimanche, en Géorgie et en Azerbaïdjan, est de faire sortir de l'oubli ces assyro-chaldéens du Caucase et d'attirer l'attention sur leur sort. Dans le cadre du voyage papal, un événement important aura lieu cet après-midi, quand le souverain pontife va rencontrer la communauté locale assyro-chaldéenne à Tbilissi, capitale de la Géorgie, en son église Mar Shimoun (Saint-Simon) Bar Sabba'e (328-341), laquelle porte le nom d'un ancien catholicos-patriarche de l'Église d'Orient « nestorienne ».
L'intérêt du pape pour les assyro-chaldéens n'est pas nouveau. Il a toujours accordé une attention accrue à cette communauté meurtrie du Proche-Orient (Irak et Syrie). Et chose importante, lors de son homélie prononcée pour le centenaire du génocide arménien, le 12 avril 2015, au Vatican, il a mentionné également – et ce pour la première fois par un pape – les syriaques catholiques et orthodoxes, les assyriens et les chaldéens. Ce fut à l'évidence une note d'espérance. Voici ce qu'il a déclaré : « Notre humanité a vécu, le siècle dernier, trois grandes tragédies inouïes : la première est celle qui est généralement considérée comme "le premier génocide du XXe siècle" (Jean-Paul II et Karékine II, déclaration commune, Etchmiadzin, 27 septembre 2001) ; elle a frappé votre peuple arménien – première nation chrétienne – avec les syriens catholiques et orthodoxes, les assyriens, les chaldéens et les grecs. Des évêques, des prêtres, des religieux, des femmes, des hommes, des personnes âgées et même des enfants et des malades sans défense ont été tués. »

 

(Pour mémoire : « Oubliés de tous, les assyro-chaldéens du Caucase », de Joseph et Claire Yacoub)

 

Mais qui sont ces assyro-chaldéens de Géorgie que le pape rencontrera aujourd'hui ?
Les assyro-chaldéens de Géorgie sont une communauté arrivée en plusieurs vagues. Les premiers migrants datent de 1770, d'autres de 1828 (traité de Turkmenchay) et beaucoup s'y installèrent lors du génocide de 1915 venant du nord-ouest de l'Iran et du sud-est de la Turquie, fuyant les persécutions des troupes ottomanes.
Leur établissement dans le Caucase fut tributaire de
l'expansion et des conquêtes territoriales russes dès le XVIIIe siècle et des troubles frontaliers russo-turco-persans qui s'ensuivirent.Cette histoire fut constamment rythmée de privations, de souffrances et d'exode de la Turquie ottomane et de l'Azerbaïdjan persan. D'ailleurs, ces douloureux événements sont fortement présents dans leur mémoire.
En plus de ces 250 ans d'existence, l'Église d'Orient bénéficie en Géorgie de références religieuses à caractère historique. Saint Ephrem et saint Isaac de Ninive ont été traduits en géorgien. De surcroît, treize pères syriaques dont Jean de Zedadznéli, David (fondateur du monastère de Garedja) et Shio Mgviméli sont venus dans ce pays au VIe siècle édifier des monastères. Aujourd'hui, l'Église géorgienne les honore.
Parce que ville cosmopolite et centre névralgique du Caucase, Tbilissi fut privilégiée comme lieu d'établissement, car elle leur offrait des possibilités de travail et d'ouverture au monde.
Les assyro-chaldéens ont connu successivement la Russie tsariste, un Caucase sous domination russe, l'Union soviétique et les indépendances caucasiennes depuis 1990.
Durant toutes ces périodes, fidèles citoyens, ils ont participé à la vie du pays dans tous les domaines et ont combattu vaillamment durant la Seconde Guerre mondiale contre l'occupation nazie, où ils se sont illustrés par leur bravoure. À partir de 1921, le bolchevisme s'étant imposé, les églises seront progressivement fermées et les libertés réprimées. Durant la terreur stalinienne, ils subirent une répression féroce et un certain nombre d'entre eux seront déportés en Sibérie et au Kazakhstan.
Aujourd'hui, avec les indépendances caucasiennes et la nouvelle Russie, ils sont heureux de retrouver la liberté, renouent les contacts avec leurs compatriotes de la diaspora et apprennent à espérer.

Découverte de la communauté assyro-chaldéenne : à Tbilissi, à Gardabani et Kanda...
Avec la dissolution de l'URSS et depuis que les Républiques du Caucase ont recouvré leur indépendance, l'attention s'est portée sur les minorités « historiques » et les ethnies qui peuplent cette région. Ce faisant, on a découvert les assyro-chaldéens qu'on évalue autour de 7 000 membres en Géorgie.
Présents principalement à Tbilissi, à Gardabani et Dzeveli Kanda, partagés entre l'Église chaldéenne catholique et l'Église assyrienne d'Orient, les assyro-chaldéens sont aussi présents dans d'autres villes : Koutaïssi, Batoumi, Sénaki, Zugdidi, Akhaltsikhe ou encore Zestaponi. Selon l'Église assyrienne d'Orient, il y aurait 50 familles à Koutaïssi et Sénaki, 7 à Zugdidi et 60 à Batoumi, adeptes de cette Église.
Dzveli Kanda possède trois petites églises construites au fur et à mesure de l'arrivée des assyriens, semblables à celles du Hakkari et d'Ourmiah-Salamas (leur pays ancestral). Il y a l'église de Mar Zaya au milieu des vignes. Celle de Mar Audichou est située près du cimetière où l'on trouve encore des pierres tombales avec des inscriptions en syriaque. Quant à celle de Mart Mariam, elle a été entièrement restaurée par l'Église orthodoxe géorgienne, car il existe des assyriens devenus adeptes de l'Église orthodoxe géorgienne. À part sa relative petite taille et ses accès réduits, plus aucune trace ne subsiste indiquant que ses membres appartenaient autrefois à l'Église d'Orient. En outre, une nouvelle grande église assyrienne géorgienne a été bâtie à côté de l'église Mart Mariam. Elle porte le nom des treize pères syriaques du IVe siècle, déjà évoqués.
À Gardabani, les assyriens ont réussi à transmettre leur langue à leurs enfants et forment une communauté d'environ 165 familles. Une ancienne petite chapelle, Mar Oraham, témoigne de leur foi.

 

(Pour mémoire : Le drame des assyriens : De 1915 à 2015, une histoire qui se répète)

 

Les tourmentes de la période soviétique
Mais la période russe fut ponctuée de difficultés notamment dans le domaine religieux. En effet, de nombreux assyriens étaient passés à l'Église orthodoxe russe sous l'influence de ses missionnaires. Autour de 1880, l'église Saint-Thomas de Tiflis (Tbilissi), appelée aussi l'église des Aïssors, était desservie par le prêtre orthodoxe David Gurgenidze. Toutefois, certains iront à l'église catholique Sts-Pierre-et-Paul où des prêtres chaldéens exerçaient leur ministère, notamment à partir de 1915. Un exemple, le prêtre Stéphane Guiwarguis, originaire du Bohtan, dont la mémoire est honorée aussi bien par les catholiques latins que les assyro-chaldéens encore aujourd'hui.
En 1937, la répression stalinienne met un frein brutal à leur vie associative, culturelle et religieuse. Les intellectuels, les instituteurs, les responsables et bien d'autres membres de la communauté sont déportés. Les églises sont fermées, certaines brûlées. Ce n'est qu'après 1950 qu'on assista à un balbutiement de renouveau culturel, associatif et littéraire.

Historique des contacts avec la Géorgie
Après des décennies de rupture (1920-1980), abandonnés et sans pasteurs, les contacts se sont progressivement renoués avec l'Église d'Orient dans ses branches assyrienne et chaldéenne, à partir de 1982. C'est avec l'Église assyrienne de l'Est, dite « nestorienne », que les premiers contacts ont d'abord eu lieu. Des décisions synodales, à deux ans d'intervalle, eurent lieu : 1994 pour l'Église assyrienne et 1996 pour l'Église chaldéenne catholique.
Pour ce qui est de l'Église chaldéenne, son retour au Caucase a débuté en 1996. Lors du synode tenu à Bagdad sous l'autorité du patriarche Raphaël Ier Bidawid, Mgr Ibrahim Ibrahim, alors évêque des chaldéens des États-Unis (Detroit), fut nommé visiteur apostolique des chaldéens catholiques d'Europe. L'objectif était d'établir un état des lieux de leur situation religieuse et sociale, de renforcer leurs liens avec leur Église mère et de « les préserver de la dilution dans les milieux occidentaux ». Il était demandé au visiteur apostolique d'établir un rapport de sa mission au patriarche et au synode en vue de prendre les décisions appropriées. En conséquence, Mgr Ibrahim Ibrahim entreprit une tournée du 16 septembre au 1er novembre 1996, durant laquelle il visita neuf pays européens dont la Géorgie, accompagné du père Suleiman Dinkha. Il resta en Géorgie une semaine, à partir du 19 septembre 1996, où il put visiter sa communauté à Tbilissi, à Kanda et à Gardabani.
Au terme de ce voyage, il rédigea un rapport, paru dans la revue du patriarcat chaldéen à Bagdad, en langue arabe, Nagm al-Mashriq. Il constate que les fidèles de l'Église d'Orient ont émigré dans cette zone, de Turquie et d'Iran. Composés de chaldéens et d'assyriens, ils seraient au nombre de 1 000 familles réparties de la manière suivante : 300 familles dans la capitale Tiflis, 400 familles à Kanda et 300 familles à Gardabani. Et ce qui le réjouit, observe-t-il, c'est que tous, grands comme petits, parlent l'araméen (soureth). Il ajoute : « Ils ont conservé nos traditions et nos valeurs orientales. »
En outre, le nonce apostolique d'alors à Tbilissi avait demandé à Mgr Ibrahim Ibrahim de nommer un prêtre pour ces chrétiens. L'Église chaldéenne envoya alors un jeune prêtre Benyamin Bet Yadegar, originaire d'Ourmiah (au nord-ouest de l'Iran), qui a été ordonné aux États-Unis en septembre 1994. Il rejoint son poste à Tbilissi où il exerce depuis son ministère en faveur des chaldéens, d'abord à l'église catholique latine Saints-Pierre-et-Paul, en attendant la construction d'une église propre à la communauté assyro-chaldéenne. Dès le départ, le père Benyamin s'est consacré à servir la communauté sans distinction entre catholiques et non-catholiques.

 

(Pour mémoire : Comment l’Église nestorienne a été la plus active au Kirghizistan dès 498...)

 

Une Église tournée vers l'avenir
Le 17 octobre 2009 fut un grand jour. Située à proximité de l'avenue Alexandre Kasbegi, l'église assyro-chaldéenne a été consacrée, comme centre cultuel et culturel d'une capacité de 300 places, par le patriarche de l'Église chaldéenne, le cardinal Emmanuel III Delly, venu spécialement de Bagdad. Les nombreux fidèles qui s'étaient assemblés étaient si ravis qu'ils ne croyaient pas que c'était leur église et répétaient : « Ça c'est notre maison. » Cette église a été financée à 75 % par l'éparchie chaldéenne Saint-Thomas, l'apôtre des États-Unis.
Signe identitaire, l'architecture babylonienne de cette belle église rappelle le pays, la Mésopotamie. Elle porte le nom du catholicos-patriarche Mar Shimoun Bar Sabbaé qui, condamné à mort, subit le martyre en Perse, sous le roi Shapur II, le 14 avril 341, jour du vendredi saint.
Le bulletin Œuvre d'Orient (Paris) qui avait contribué à la construction de l'église commentait l'événement en ces termes : « Au début du XXe siècle, fuyant le génocide de 1915, des chaldéens se sont implantés par milliers dans la région du Caucase et de l'ex-URSS. Les 6 à 7 000 chaldéens de Géorgie se sont tant bien que mal intégrés dans ce pays très pauvre qui a subi le régime communiste. Ils ont su préserver leur langue, leur foi, et ce malgré l'absence de structures culturelles et cultuelles chaldéennes. »
Le lendemain de la consécration, dimanche 18, le père B. Bet Yadegar a été promu chorévêque de l'Église assyro-chaldéenne de Géorgie. On assista le jour même au premier baptême et à la première communion de 22 garçons et filles.
L'église est une réelle fourmilière. Le missel chaldéen (1998) qui contient l'Anaphore de Mar Addaï et Mari est en trois langues : araméen, géorgien et russe, ainsi que le calendrier liturgique annuel.
Parallèlement, d'autres signes de réveil religieux et identitaire sont progressivement apparus avec les changements démocratiques, le retour des libertés et les facilités de communications et de transports. Les associations et les organisations se sont multipliées ainsi que les liens avec les assyro-chaldéens de la mère-patrie et de la diaspora. Comme l'identité nationale et religieuse sont très liées, on les a associées étroitement dans les activités. Aussi, a-t-on développé les cours de langue, on fête désormais le Nouvel An assyrien chaque année le premier avril et on restaure les églises.
L'ardeur que le voyage du pape insufflera aidera cette communauté à retrouver de la vigueur et à se maintenir sur des terres où elle est ancrée depuis 250 ans, en conservant sa langue maternelle, sa foi et sa liturgie, malgré les difficultés.

Joseph Yacoub, professeur honoraire de l'Université catholique de Lyon, ancien titulaire de la chaire Unesco « Mémoire, cultures et interculturalité ».

L'auteur a entrepris avec son épouse plusieurs voyages dans les pays du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Russie du Sud), rencontré ses membres et recueilli leurs témoignages, en y consacrant un ouvrage : « Oubliés de tous. Les assyro-chaldéens du Caucase », éd. du Cerf, octobre 2015, qui a obtenu le prix académique 2016 du livre, attribué par l'Œuvre d'Orient.

Qui sait qu'il existe au Caucase des assyro-chaldéens ? Qui sait que ces assyro-chaldéens, des chrétiens, adeptes naguère de l'Église d'Orient, dite nestorienne, connus par les Russes et les populations locales sous le nom commun de Aïssor ou Assori (assyriens), parlent encore aujourd'hui l'araméen (ou syriaque), la langue du Christ, dans cette région du Caucase ?D'habitude, quand on...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut