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Moyen Orient et Monde - Syrie / Récit

Daraya était la rose de la révolution syrienne

À Daraya, le régime syrien a obtenu l'évacuation totale des habitants et insurgés qui lui tenaient tête depuis 2012.

Sana/Reuters

Pendant qu'à Damas on discute, Daraya tombe. 1 373 jours de siège. Pas un de plus.

« Ce sont tous des héros », « Que Dieu les protège », « Pardonnez-nous », « Merci de nous avoir montré comment une poignée de personnes peut tenir tête à la tyrannie, d'où qu'elle provienne » : le hashtag #Daraya et des flots de commentaires, de photos et de vidéos ont ému la Toile. Des rebelles et leurs familles ont commencé hier après-midi à quitter la ville symbole de la résistance, près de Damas, qu'ils avaient défendue avec acharnement depuis 2012 face au régime, avant d'être défaits. Comme un clin d'œil du destin, des centaines d'oiseaux migrateurs inondaient le ciel au-dessus de la ville. « Ils émigrent avec nous », entend-on dans une vidéo publiée sur la page Facebook du conseil local de la ville. Un enfant, né probablement durant le siège, regarde la scène, éberlué. « Tu sais ce que c'est Hamoudi ? Chaque année, ces oiseaux s'en vont et reviennent vers leur maison. Nous, nous sommes comme ces oiseaux, on reviendra si Dieu le veut », affirme le cameraman.

 

 

Jeudi, un accord était intervenu pour l'évacuation des milliers d'insurgés et de civils. « Selon cet accord, 700 hommes avec leurs armes individuelles sortiront de Daraya pour se rendre dans la ville d'Idleb, alors que 4 000 hommes, femmes et leurs familles seront dirigés vers des centres d'hébergement », a précisé l'agence officielle syrienne Sana. Selon le conseil local de la ville, les familles se dirigeront vers la ville de Herjelleh dans la Ghouta occidentale, puis repartiront vers la zone de leur choix. Une délégation de l'Onu et du Croissant-Rouge syrien accompagnera les deux groupes, et le processus d'évacuation devrait s'achever aujourd'hui. Les instances onusiennes, souvent décriées par les habitants en raison de leur immobilisme, n'ont été informées de l'évacuation de la ville, jeudi soir, qu'en même temps que les médias. « Nous n'avons pas été consultés ou impliqués dans la négociation de cet accord », a déclaré hier l'envoyé spécial de l'Onu pour la Syrie, Staffan de Mistura. « Le monde regarde », conclut-il, s'adressant indirectement à Bachar el-Assad.

 

(Lire aussi : « Même si le régime détruit nos terres, nous planterons sur nos balcons et dans nos couloirs »)

 


Fin du calvaire
Sur la page Facebook du conseil local de Daraya, les photos de familles emportant leurs baluchons, prêtes à monter dans des cars, ont remplacé celles, quotidiennes, des décombres et des nuages de fumée sur la ville sinistrée. Soumaya, jeune femme professeur à l'école Amal el-Oumma, enseignait l'anglais, les mathématiques et la biologie depuis le début du siège de Daraya. Hier, elle a pris le premier bus en partance pour Idleb, avec son mari et son fils. « Nous sommes en route, mais je suis très triste de quitter ma maison et ma ville », confie-t-elle à L'Orient-Le Jour, via whatsapp. « Les équipes qui s'occupent de l'évacuation nous traitent bien. Elles sont avec nous dans le bus et s'assurent qu'on ne tombe pas malades à cause du trajet », poursuit-elle. Des amis de son époux leur ont assuré que les habitants d'Idleb se préparent à les accueillir et leur fournir un toit. Imad*, le responsable de la communication au sein du conseil local de la ville, partira aujourd'hui, également pour Idleb. « Il me faudra quelques jours pour m'installer », confie-t-il.

Fin du calvaire, mais début d'un long périple pour les habitants de Daraya. De leur ville martyre, ils n'emportent que peu, et y laissent leurs morts, enterrés à la hâte, en témoignent les sépultures de fortune. Leur courage, en revanche, ne les quittera jamais. Ce sont ces visages de femmes, d'hommes et d'enfants que la terre entière ne voulait plus voir, qui en étaient réduits à manger de l'herbe, faire bouillir de l'eau croupie et se terrer dans des abris, que l'histoire retiendra.

(Pour mémoire : Daraya, martyrisée mais insoumise)

 

L'insoumise
La résistance a toujours été au cœur de l'histoire de Daraya depuis une vingtaine d'années. Bien avant que l'insurrection civile ne gagne les grandes villes syriennes, la ville et ses 250 000 habitants, à 8 km au sud-ouest de Damas, ont fait déjà preuve d'« insubordination » aux yeux des autorités. Dans les années 90, un groupe de jeunes activistes, amis et collègues, fréquentant l'une des mosquées de la ville, se forme. Ils ignorent encore que leur initiative civique allait se retrouver dans le collimateur du puissant pouvoir, rien ni personne ne devant échapper au contrôle du régime baassiste. Imad faisait partie de ces jeunes, les chabeb, tour à tour élèves puis tuteurs et enseignants au sein de cette même mosquée. Diplômé en littérature anglaise et spécialiste en traduction simultanée, le jeune homme se rappelle l'époque où ils « enseignaient le Coran et les rudiments religieux », et ont « démarré (leurs) activités pacifiques ».

Au commencement, la jeunesse de Daraya se cantonne au nettoyage des rues, à la protection de l'environnement, et essaye de faire évoluer les consciences civiques. En 2002, les forces israéliennes envahissent le camp de réfugiés de Jenine, dans les territoires autonomes de Cisjordanie. « Les gens étaient tellement outrés par cette violence que nous avons appelé à descendre dans la rue », raconte l'activiste. Les troubles régionaux deviennent source de nouvelles revendications, comme l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Le 4 mai 2003, 24 activistes sont appréhendés par les forces de sécurité. Certains sont rapidement relâchés, alors que d'autres écopent de trois à quatre ans de prison. Imad était parmi ces « détenus de Daraya », à la prison militaire de Saydnaya, devenue tristement célèbre quelques années plus tard.

Plusieurs années s'écoulent à Daraya, dans un calme relatif. Mais quand Deraa s'échauffe contre le régime, ce qui va marquer le point de départ des protestations syriennes de 2011, l'émulation gagne Daraya, qui organise à son tour des manifestations. « Au début de la révolution, les gens se sont sentis libres pour la première fois depuis des décennies », raconte Imad. « Ils sentaient que leur voix comptait et qu'ils pouvaient réellement changer les choses. Au moment de la manifestation, tout le monde protestait et aucune personne ne pensait quitter le pays », dit-il. La répression monte d'un cran fin 2011. Mater la rébellion coûte que coûte va être le mot d'ordre du régime, qui emprisonne, torture et tue des centaines de civils. Pourtant, les jeunes de Daraya refusent de céder à la violence et répondent par des manifestations pacifiques, prônant des slogans comme « Silmiyé, silmiyé (pacifique, pacifique), même s'ils nous tuent par centaines chaque jour ». Le martyre de l'un des leurs va tordre le cou à leurs illusions. « La mort de Ghayath Matar a provoqué chez certains d'entre nous une remise en question de nos activités pacifiques », explique Imad. Celui que les gens surnommaient « Little Gandhi » était un jeune tailleur et activiste. Il était connu pour offrir des roses de Damas aux soldats, dans des bouteilles en plastique, sur lesquelles il était parfois écrit : « Nous sommes vos frères. Ne nous tuez pas. La nation est assez grande pour nous tous. » Au-delà de l'homme, c'est le symbole qui dérange. Loin de la propagande que le régime diffuse à propos de la rébellion : des « terroristes », islamistes et armés jusqu'aux dents.


(Pour mémoire : Daraya a reçu son premier convoi alimentaire depuis 2012, mais...)

 

« Un nouveau Sabra et Chatila »
« Tout a changé après le massacre. » Sa gorge se serre quand il se remémore ce douloureux souvenir. Imad était là, ce jour-là. Ce jour maudit du 25 août 2012, quand les hommes de Bachar el-Assad sont envoyés à l'assaut des maisons, tuant hommes, femmes et enfants. Le jour suivant, les quartiers résidentiels sont pilonnés sans relâche. L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) dénombrera plus de 700 morts. Les médias évoquent « un nouveau Sabra et Chatila ».
Poursuivre la lutte pacifique est le salut des jeunes de la ville. Faisant fi du chaos, un conseil local de la ville est créé en octobre 2012. « Le but était de réunir les révolutionnaires civils en regroupant les différentes activités », dit-il. Un mois plus tard, l'armée tente une nouvelle incursion, mais est repoussée par l'Armée syrienne libre (ASL) qui s'impose de facto comme défenseur de la ville. Le régime impose alors un blocus total, levé hier jeudi après 1 373 jours.

Daraya a vécu sans eau courante ni électricité, et a subsisté principalement grâce à une microagriculture. Durant plus de 3 ans, aucune ONG n'a jamais eu l'autorisation nécessaire pour entrer dans la ville. Entre-temps, plus de 600 bébés sont nés en 4 ans. Réduite en cendres, Daraya n'offre d'autre refuge aux habitants que ses mosquées ou ses écoles. La politique de la « terre brûlée » du régime s'est poursuivie, à raison de plus de 70 barils d'explosifs largués par jour. Après une trêve-éclair au printemps 2016, Daraya va replonger dans l'enfer dont elle ne se remettra pas.

En avril 2016, une délégation des Nations unies, dirigée par Khawla Matar, porte-parole de l'envoyé spécial de l'Onu en Syrie, Staffan de Mistura, a pu entrer dans la ville assiégée. Le but de cette visite, gardée secrète jusqu'au dernier moment, était d'évaluer la situation humanitaire. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, la rose de la révolution syrienne a toujours été une « préoccupation majeure », voire plus ces derniers temps, rappelait le bureau à la même époque, car le Programme alimentaire mondial (Pam) avait fait état de rapports inquiétants concernant le manque de nourriture à l'intérieur de la ville. « Nous nous nourrissons essentiellement de soupes et de légumes comme les épinards, de la salade et même des feuilles d'arbre », avait alors confié Soumaya. « Nous avons besoin de nourriture et de médicaments, il y en a très peu et nous n'avons pas de vaccins pour nos enfants », déplorait encore la jeune mère. Les enfants de Daraya étaient rassemblés en période d'accalmie afin de livrer leur message au reste du monde. « Nous ne voulons pas mourir », « Attendez-vous que nous ressemblions à ça pour nous envoyer de l'aide ? » montrait un écriteau où figure un enfant décharné.


(Pour mémoire : Daraya la martyre verra-t-elle enfin le bout du tunnel ?)

 

Point de rupture
Deux mois plus tard, le 1er juin 2016, le premier convoi alimentaire entrait enfin dans la ville. Quatre jours après le début du ramadan, la population reprenait enfin espoir. « Avec les aides, je pense que cela va aller mieux. Même si nous n'avons reçu que 180 colis de nourriture, suffisants pour 2 400 personnes, alors qu'il y en a presque le triple à Daraya. Les gens devront compter sur l'agriculture », avait alors confié Imad.

Du 27 février au 8 juin, aucun baril d'explosifs n'avait été largué sur Daraya. Mais, un matin, les habitants ont compris que le répit avait été de courte durée. Des milliers de barils, dont certains remplis de napalm, et de bombes à sous-munitions ont fini de défigurer davantage la ville et de faire de nombreuses victimes. La semaine dernière, l'unique hôpital de campagne encore en relatif état de marche avait été détruit. Imad confiait alors que la situation était arrivée à son point de rupture.

Depuis l'intensification des frappes du régime il y a quelques mois, et malgré leurs tentatives désespérées de défendre les parties intérieures de la ville, les habitants de Daraya perdaient chaque jour des zones. « Ils ont pris la plupart des terrains agricoles et s'attaquent désormais aux zones résidentielles », confiait l'activiste vendredi dernier. La population était à bout. Le régime était sur le point de s'emparer de la ville et le pire était à craindre. Beaucoup s'imaginaient que la situation allait se terminer en massacre. Le conseil local comme les combattants de l'ASL qui défendaient la ville, acculés et désespérés, étaient fin prêts à accepter un accord avec le régime. « La priorité est de sauver les civils... » avait dit Imad.

*Le prénom a été modifié.

 

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commentaires (3)

quand l'iran a compris que le rapprochement entre la russie et la turquie allait se faire au detriment de la sienne ... elle leur a fait ressortir le pb de leur base hahah

Bery tus

14 h 48, le 27 août 2016

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Commentaires (3)

  • quand l'iran a compris que le rapprochement entre la russie et la turquie allait se faire au detriment de la sienne ... elle leur a fait ressortir le pb de leur base hahah

    Bery tus

    14 h 48, le 27 août 2016

  • C'est d'épargner des vies civils, surtout femmes et enfants... Mais je doute qu'un jour très proche que je pourrais admirer les belles roses de Damas qui étaient un grand symbole pour les Romains La guerre n'est pas prête de finir avec tous les fous sur le terrain, et surtout par l'influence de l'Iran qui s'oppose à toute solution pacifique

    FAKHOURI

    14 h 10, le 27 août 2016

  • Darayya, icône du complot a finalement été récupérée par le pouvoir syrien, après 4 années d’occupation par les bactéries. Jeudi un accord est intervenu pour l'évacuation des insurgés et des civils qui y étaient retranchés. Située dans la Ghouta occidentale de la capitale, non loin de l’aéroport militaire de Mazzé, siège des services de renseignements de l'armée de l'air, elle constituait le maillon faible pour le pouvoir syrien. Selon les termes de l'accord, rapportés par l'agence, "700 bact. armés (...) vont sortir de Daraya pour se rendre à Idleb", au nord-ouest, dominé par Jaïsh al-Fateh, dont la colonne vertébrale est le front al-Nosra, (branche d’Al-Qaïda rebaptisée Front Fateh al-Cham). Les bactéries devront rendre leurs armes lourdes, moyennes et légères à l'armée. Alors que 4.000 hommes, femmes et leurs familles seront dirigés vers des centres d'hébergement", a précisé l'agence. "L'étape suivante sera l'entrée des héros dans la localité" l'opération devait durer quatre jours. Une bactérie dans la ville a confirmé qu'il y avait un accord "pour vider la ville en faisant sortir les civils et les combattants dès vendredi". "Les civils iront dans des régions sous contrôle du régime autour de Damas alors que les bactéries devront se rendre dans la province d'Idleb ou trouver un arrangement Dès lors, il ne restera pour l’armée syrienne plus que la Ghouta orientale 9 libérer.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 56, le 27 août 2016

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