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Poisons

On le tenait pour increvable, ayant, de fait, réchappé à une bonne douzaine d’attentats comme à la chute de son avion dans le désert libyen, surgissant tel un diable de sa boîte au terme des équipées les plus aventureuses, sans le moindre faux pli à son keffieh à carreaux et les doigts en V, en signe de victoire. C’est cette fois du fond de sa sépulture cisjordanienne, où il reposait depuis huit ans, que (ré ?)apparaissaient durant quelques heures hier les restes de Yasser Arafat.

 

L’exhumation a permis à des experts internationaux de procéder à des prélèvements sur la dépouille afin de déterminer si le chef historique des Palestiniens, décédé en 2004 dans une clinique militaire près de Paris, a été ou non empoisonné au polonium. Comme on sait, les traces de cette substance hautement radioactive trouvées il y a quelques mois sur les effets personnels d’Abou Ammar, ont eu pour effet de relancer la thèse de l’assassinat par lent empoisonnement, défendue par sa veuve, Souha Arafat, et par la chaîne de télévision qatarie al-Jazira, ce qui a entraîné l’ouverture d’une instruction judiciaire en France.


Bien qu’il s’en défende, Israël fait naturellement figure de premier suspect dans cette sombre affaire, puisqu’il a à son actif le meurtre de dizaines de responsables politiques et militaires palestiniens : le dernier en date étant celui d’un chef du Hamas pulvérisé par un missile tiré sur sa voiture, en ouverture du dernier blitz sur Gaza. Si d’autres pistes ne sont pas à exclure pour autant, si les résultats des analyses ne pourront être connus avant plusieurs mois, c’est une charge puissamment symbolique que revêt, en attendant, la lugubre scène d’hier à Ramallah.


Nombreux certes sont les errements qui ont marqué le parcours de Yasser Arafat. Le moins grave n’était pas le rôle dévastateur qu’il a joué dans la guerre du Liban. L’ironie du sort a d’ailleurs voulu qu’au moment même où avait lieu son exhumation, des personnalités du 14 Mars, et parmi elles de milices de l’époque qui avaient pris les armes contre les abus des fedayine, visitaient la bande de Gaza, en témoignage de solidarité avec sa population durement éprouvée.


C’est dire que même sous terre, Arafat demeure, aux yeux du monde comme des Palestiniens eux-mêmes, la figure emblématique d’un mouvement de libération qu’il a mené depuis les heurs et malheurs de la lutte armée jusqu’aux sentiers tortueux, bordés de ronces, de la solution négociée. Autant que de souffrances et de gloires alternées, son peuple lui doit de s’être reconstitué, l’espace d’un moment, parce qu’il s’était donné un fédérateur, un chef, tout autoritaire qu’il fût, tout corrompu qu’eût été son entourage.


Or c’est précisément d’unité qu’a surtout besoin aujourd’hui ce peuple, impuissant, c’est vrai, à imposer la formule des deux États (palestinien et israélien) mais qui, du fait des luttes intestines en grande partie, se retrouve parqué dans ce qui ressemble fort à deux réserves de Peaux-Rouges, la Cisjordanie et Gaza. Réserves rivales de surcroît, ennemies jusqu’à nouvel ordre, même si Mahmoud Abbas salue à contrecœur les exploits du Hamas, même si celui-ci lui rend la politesse en cautionnant du bout des lèvres l’initiative du chef de l’Autorité autonome visant à obtenir un statut d’État observateur aux Nations unies.


Intéressantes, pour le moins, sont les perspectives ouvertes par plus d’un développement récent, notamment le divorce du Hamas avec la Syrie des Assad et le retour en force de l’Égypte sur la scène régionale. Mais c’est au mal intérieur, au poison de la désunion, qu’il faut s’attaquer en priorité pour redonner vigueur à la cause palestinienne. C’est l’affaire de bons médecins. Pour éviter de devoir recourir un jour, comme pour Yasser Arafat, aux médecins légistes.

 

Issa Goraieb
igor@lorient-lejour.com.lb

On le tenait pour increvable, ayant, de fait, réchappé à une bonne douzaine d’attentats comme à la chute de son avion dans le désert libyen, surgissant tel un diable de sa boîte au terme des équipées les plus aventureuses, sans le moindre faux pli à son keffieh à carreaux et les doigts en V, en signe de victoire. C’est cette fois du fond de sa sépulture cisjordanienne, où il...