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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Les psychoses, la schizophrénie et la psychothérapie institutionnelle (suite). L’internement des dissidents en URSS

Le lecteur peut se demander pourquoi j'insiste autant sur le rapport entre la schizophrénie et la psychothérapie institutionnelle. En effet, nous en sommes à six articles au moins qui traitent de cela. Si nous considérons, comme cela se fait maintenant, que « la schizophrénie est une maladie du cerveau », nous n'avons aucun besoin d'étudier les expériences alternatives qui, dans les années 60/70, ont approché différemment la schizophrénie. Mais nous ne pouvons pas considérer que la schizophrénie est une maladie du cerveau parce que la clinique et les symptômes qu'elle produit sont en rapport avec l'entourage du schizophrène. D'une part, cela est le fruit de notre expérience quotidienne, comme nous avons eu l'occasion de le montrer dans les articles précédents.

D'autre part, les expériences alternatives sont nées dans un contexte sociopolitique particulier, celui des années 60 et ce qu'elles ont amené avec elles de révolte, de rébellion et de remise en cause du Système. Le système exclut, bannit et produit de la ségrégation, particulièrement quand il s'agit de folie. Le pouvoir soviétique entre les années 30 et 70 a utilisé la psychiatrie pour interner les dissidents avec l'apparence de la maladie mentale.

L'exemple parfait est « la schizophrénie latente », une psychose sans symptômes inventée par le pouvoir en Union soviétique pour interner les dissidents pour des raisons soi-disant psychiatriques. Ces internements, fréquents entre les années 30 et 50, se généralisent et deviennent, jusqu'à la fin des années 70, l'outil principal de la politique de répression en URSS. Entre 1935 et 1974, le nombre de lits psychiatriques passe d'environ 33 000 à 400 000. L'utilisation de la psychiatrie comme arme politique contre les dissidents sème le doute quant à l'objectivité de la discipline, et l'invention de la « schizophrénie latente » relativise la question du diagnostic en y ajoutant les facteurs culturels. Parmi les grands intellectuels qui ont désavoué le stalinisme en réaction à cela, Michel Foucault.

Michel Foucault quittera le Parti communiste français en 1953 lorsqu'il apprend la politique d'internement pratiquée par Staline. Son œuvre, particulièrement Histoire de la folie à l'âge classique, achève la remise en cause historique, philosophique et épistémologique de la psychiatrie. Poser le diagnostic de schizophrénie ne va plus de soi. Il fallait le remettre dans son contexte social et culturel. À cette époque où l'utilisation du savoir par les pouvoirs en place en URSS battait son plein mais où la « subjectivation » devenait l'enjeu principal des années 60, Foucault amène un souffle de liberté dans la remise en cause du système asilaire et du diagnostic de schizophrénie. Un schizophrène n'est pas le même en Afrique, en Inde ou en Amérique du Sud. Dans les années 60, dans les communautés hippies de San Francisco, les schizophrènes qui hallucinaient et déliraient étaient considérés comme des sages éclairés puisqu'ils pouvaient en arriver là sans aucune drogue ou autre moyen artificiel. « Quand le pouvoir de l'amour surpassera l'amour du pouvoir, le monde connaîtra la paix. » Cette très belle phrase de Jimi Hendrix résume la philosophie hippie des années 60, « Faites l'amour, pas la guerre », et indique l'importance de l'amour dans l'accompagnement d'un schizophrène. L'amour permet d'accepter l'autre dans sa différence, radicale s'il le faut, sans nécessairement comprendre son délire ou ses hallucinations.

Ainsi, le chemin parcouru par John Nash, un chemin de lutte contre les ravages de la schizophrénie, n'aurait jamais été possible sans l'amour inconditionnel de sa femme. Comme le retrace le film de Ron Howard Beautiful mind, dans les années 50, la schizophrénie de John Nash a failli le pousser à un infanticide par négligence, ce qui horrifia sa femme qui a failli le quitter à ce moment là. Décidant de rester avec lui malgré le danger encouru par leur enfant, elle lui permit de pousser ses recherches scientifiques le plus loin possible, jusqu'au prix Nobel d'économie en 1994. De même, son collègue et ami, en lui donnant une place de bibliothécaire à l'université, lui permit de rester collé à la réalité du monde du travail. Autant sa femme que son collègue, en ne le stigmatisant pas, ont réduit une grande part de sa souffrance en le maintenant inséré dans sa famille et dans le social. Nash finit par « contrôler » ses hallucinations, par les réduire (dans tous les sens du terme) à une place acceptable dans son espace psychique.

Aujourd'hui, avec la nouvelle génération des médicaments neuroleptiques, efficaces et sans beaucoup d'effets secondaires, et s'il est bien entouré, le patient schizophrène peut vivre dans le monde sans courir le risque de la stigmatisation et de l'exclusion.

 

 

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commentaires (1)

« nous ne pouvons pas considérer que la schizophrénie est une maladie du cerveau» ET QUELQUES LIGNES PLUS LOIN VOUS AFFIRMEZ "Aujourd'hui, avec la nouvelle génération des médicaments neuroleptiques, efficaces et sans beaucoup d'effets secondaires, et s'il est bien entouré, le patient schizophrène peut vivre dans le monde sans courir le risque de la stigmatisation et de l'exclusion" CE QUI PROUVE QUE LA SCHIZOPHRENIE EST BIEN UNE PATHOLOGIE BIOCHIMIQUE DU CERVEAU INCAPABLE DE FAIRE FACE A LA REALITE SOCIOPOLITICOCULTURELLE DANS LAQUELLE BAIGNE CE MEME CERVEAU DEBOUSSOLEE

Henrik Yowakim

18 h 26, le 22 décembre 2016

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Commentaires (1)

  • « nous ne pouvons pas considérer que la schizophrénie est une maladie du cerveau» ET QUELQUES LIGNES PLUS LOIN VOUS AFFIRMEZ "Aujourd'hui, avec la nouvelle génération des médicaments neuroleptiques, efficaces et sans beaucoup d'effets secondaires, et s'il est bien entouré, le patient schizophrène peut vivre dans le monde sans courir le risque de la stigmatisation et de l'exclusion" CE QUI PROUVE QUE LA SCHIZOPHRENIE EST BIEN UNE PATHOLOGIE BIOCHIMIQUE DU CERVEAU INCAPABLE DE FAIRE FACE A LA REALITE SOCIOPOLITICOCULTURELLE DANS LAQUELLE BAIGNE CE MEME CERVEAU DEBOUSSOLEE

    Henrik Yowakim

    18 h 26, le 22 décembre 2016

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