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Liban - La vie, mode d’emploi

26 -Le salut par « faire l’autruche »

Voilà une expression qui ne fait pas, elle, l'autruche, qui appelle un chat un chat et répète pour les yeux ce qu'une autre dit pour l'oreille : il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Si donc l'expression n'a pas froid aux yeux, il semble, en revanche, qu'il soit difficile de se prononcer avec la même hardiesse au sujet du comportement de l'autruche qui reste obscur, même pour le regard le plus aigu, le moins autruche. Deux grandes thèses s'affrontent visant également, à travers l'interprétation de sa conduite, à réhabiliter la réputation de ce gentil volatile perdue par la faute de Pline l'Ancien (ainsi faut-il remonter très loin dans le passé, bien avant « la faute à Voltaire », pour donner un nom au coupable).
L'une des thèses assure que l'autruche plonge sa tête dans le sable non pour l'emporter sur la peur, car elle la gagnerait à la course avec ses longues jambes, mais pour protéger ses œufs des lézards et des rongeurs qui prennent plaisir à s'installer dans les trous d'ombre où elle les a déposés. Notre belle dame serait donc un modèle d'amour maternel, acceptant de se faire passer pour une bécasse ou une poule mouillée en vue du salut de sa progéniture.
L'autre thèse, moins morale, mais tout aussi surprenante, est à la gloire de l'intelligence de l'autruche puisqu'elle nous la présente sous les traits d'un fin stratège. Dans le désert, et en raison de sa haute taille qui lui permet de voir de loin ses agresseurs, mais la rend aussi très visible et donc particulièrement vulnérable, ce Napoléon en plumes et jupons se contenterait de plier en deux ses pattes et bénéficierait ainsi de l'effet écran du mirage. Certes, le simple bon sens vous dirait que, dans le désert, il n'y a rien de plus attirant que le mirage et c'est comme si l'autruche appelait à sa poursuite tous les nomades en quête d'oasis. Mais la science exige aussi qu'on plie devant elle ses genoux, quitte à un peu chiffonner son bon sens.
Nos hommages rendus au savoir des généalogistes, en dépit de ses incertitudes et de nos perplexités, nous pouvons à présent nous emparer de ce qu'il nous a appris sur cette très respectable créature qu'est l'autruche sans pour autant lâcher le mal qu'en pense l'expression proverbiale. Le salut a autant besoin d'admiration que de défi pour espérer produire autre chose que des mirages.
Commençons par nous rassurer : imiter l'autruche ne suppose pas de faire le désert autour de soi. Le désert est déjà là et c'est simple mirage que nous ne le voyions pas. Il en va de même pour les prédateurs humains, nos rongeurs ou lézards, soi-disant en visite de courtoisie. Munis de lunettes, longue est leur vue, leurs dents aussi et, plus encore, leur attente de l'ombre. Nous sommes à découvert et, même sans jambes d'échasse, nous restons encore assez grands pour recevoir une balle qu'on prétend perdue alors qu'elle nous trouve avec l'infaillibilité d'une lettre recommandée. Nos biens les plus précieux sont, pensons-nous, bien enfouis dans le dernier repli de notre cœur, à l'abri de la lumière crue et de l'œil brillant du curieux. Détrompons-nous, il fouillerait le désert d'Arabie, grain par grain, pour mettre la main sur notre trésor, élire domicile dans notre nid et y mener son existence de parasite tapageur et éhonté.
Alors, faisons fi de l'expression vendue à l'ennemi, du ton de dérision et du col qu'on pousse en la prononçant, du triste renom qui sera bientôt nôtre (« Autruche, va ! »), du désagrément de la position pour notre nuque (on pourra s'y exercer, en pratiquant l'asana de l'autruche, ou nous soigner, d'une manière très élégante et mythologique, avec une belle minerve), protégeons notre tête du soleil et du plomb, protégeons surtout nos œufs qu'il faut toujours casser pour les mangeurs d'omelette jamais rassasiés puisqu'ils s'en prennent ensuite à nos plumes et, enfin, à notre cou.
Les comptines effrontément sadiques, du genre « Alouette, gentille alouette », l'apprennent très tôt aux enfants : de la tête, au bec, aux yeux, au cou, aux ailes, à la queue, tout y passe sous la main du déplumeur vorace. Alors, peut-être qu'en faisant l'autruche et en sauvant la tête, la comptine aura le bec cloué.

Nicole HATEM

Voilà une expression qui ne fait pas, elle, l'autruche, qui appelle un chat un chat et répète pour les yeux ce qu'une autre dit pour l'oreille : il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Si donc l'expression n'a pas froid aux yeux, il semble, en revanche, qu'il soit difficile de se prononcer avec la même hardiesse au sujet du comportement de l'autruche qui reste...

commentaires (1)

Merci! Un vrai régal!

Yves Prevost

06 h 39, le 27 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • Merci! Un vrai régal!

    Yves Prevost

    06 h 39, le 27 juillet 2016

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