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Moyen Orient et Monde - Analyse

Pourquoi un nouveau Sykes-Picot ne réglerait en rien les conflits du Proche-Orient

Un siècle après, les États nés de l'effondrement de l'Empire ottoman sont en totale faillite, pris en otage par des régimes qui instrumentalisent à leur(s) profit(s) les questions communautaires et concurrencés par des groupes jihadistes transnationaux qui veulent promouvoir un nouvel ordre politique.

Image diffusée par le compte Twitter al-Baraka le 11 juin 2014, censée montrer des militants de l’État islamique en Irak et au Levant passant la...

L'histoire, tout comme le cœur, doit avoir ses raisons que la raison ignore.

Comment expliquer autrement que, même cent ans après le dernier échange de lettres entre le diplomate britannique et le diplomate français, le mythe Sykes-Picot hante toujours autant les esprits des populations du Proche-Orient ? Comment expliquer autrement que, malgré les guerres entre nations, les guerres civiles, les dictatures, les révolutions qui ont marqué l'histoire de la région tout au long du XXe siècle et en ce début de XXIe, le mythe Sykes-Picot est encore présenté comme la principale explication de la faillite des États et du vivre-ensemble dans la région ? Comment expliquer autrement que, un siècle après Sykes-Picot, le Proche-Orient traverse une période de bouleversements, d'incertitudes et de remise en question qui donnent l'impression d'« une revanche de l'histoire », selon l'expression utilisée par la politologue Myriam Benraad ?

L'échange de lettres entre les deux diplomates, Mark Sykes et Georges Picot, qui a abouti à un partage de la région entre Britanniques et Français, profondément modifié et concrétisé par la conférence de San Remo en 1920, a eu des conséquences majeures sur l'évolution du Proche-Orient au XXe siècle. Les deux grandes puissances ont, pour des raisons de rivalités stratégiques, créé des États plus ou moins artificiels dont le tracé des frontières n'a pas toujours pris en compte l'histoire des peuples de la région. Les Palestiniens et les Kurdes ont été les grands oubliés de cette période intense entre 1915 et 1923, qui dessina le Proche-Orient moderne sur les ruines de l'Empire ottoman et qui, jusqu'à aujourd'hui, est l'objet de critiques plus ou moins objectives.

(Regards croisés : L'accord Sykes-Picot vu par des Arabes..., l'article de Samia Medawar)

Les États coloniaux ont une part importante de responsabilité dans la fragilité structurelle des pays du Proche-Orient. Cette responsabilité est d'autant plus grande que les États coloniaux, tout comme les autres grandes puissances qui n'ont pas de passé colonial, n'ont cessé d'adopter une attitude hypocrite vis-à-vis des peuples de la région en soutenant inconditionnellement Israël, tout en commerçant avec les dictatures les plus strictes et en taisant les pires atrocités en fonction de leurs intérêts. Mais cette responsabilité ne saurait pour autant suffire à justifier les échecs successifs de l'Irak, de la Syrie ou du Liban à construire des États modernes qui assurent un vivre-ensemble entre les différentes communautés qui composent leurs populations. Autrement dit, Sykes-Picot ne saurait être présenté comme la cause originelle de toutes les violences qui ont marqué la région tout au long de ce siècle. Il est essentiel de garder cet élément à l'esprit au moment où le Proche-Orient est en pleine déconstruction et où la tentation d'un nouveau Sykes-Picot n'a jamais été aussi grande.

Intenses perfusions

Le parallèle entre la période 1915-1923 et la période actuelle, qui a commencé avec l'euphorie du printemps arabe en 2011, est aussi troublant qu'évident. Un siècle après, les États nés de l'effondrement de l'Empire ottoman sont en totale faillite, pris en otage par des régimes qui instrumentalisent à leur profit les questions communautaires et concurrencés par des groupes jihadistes transnationaux qui veulent promouvoir un nouvel ordre politique. L'Irak, depuis l'intervention américaine en 2003, et la Syrie, depuis le début des révoltes en 2011, sont au bord de l'éclatement. À peine survivent-ils tous deux grâce aux intenses perfusions des puissances étrangères qui leur viennent en aide – mais qui les affaiblissent dans le même temps. La conquête par l'État islamique (EI) en 2014 de vastes pans de territoires entre la Syrie et l'Irak a mis le doigt sur la fragilité de ces deux États et sur le mécontentement d'une grande partie de la population sunnite qui les habite. L'organisation jihadiste dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi a d'ailleurs donné une portée historique à son projet, non sans subterfuge, en revendiquant l'effacement, au sens propre, des frontières de Sykes-Picot, qui sont en fait celle de San Remo, entre la Syrie et l'Irak.

(Rétrospective : Sykes-Picot, la ténacité d'un mythe, l'article de Lina Kennouche)

Les guerres civiles syrienne et irakienne, conjuguées à la montée en puissance de l'EI, grâce au soutien d'une partie des populations arabes sunnites syrienne et irakienne, ont amené certains à considérer qu'il fallait retracer les frontières de la région en prenant davantage en compte les identités ethniques et communautaires des peuples concernés. Un nouveau Proche-Orient découpant les États avec par exemple une Syrie alaouite, une Syrie kurde et une Syrie sunnite, ainsi qu'un Irak kurde, un Irak sunnite et un Irak chiite. Un morcellement des États baassistes qui donnerait lieu à une multitude de micro-États qui se voudraient à la fois homogènes et viables. Le projet peut être séduisant sur le papier, il n'en est pas moins utopique dans la réalité. Non seulement la communauté internationale est extrêmement réticente à l'idée d'une modification des frontières, par peur d'éveiller ailleurs d'autres velléités, mais une partie non négligeable des acteurs de ces conflits, du côté des régimes comme de celui des oppositions, ne souhaitent pas la création de nouveaux États.

Malgré leur fragilité et leurs frontières artificielles, les États du Proche-Orient ont été des réalités tangibles pendant un siècle, qu'aucune guerre et qu'aucun projet n'ont pu totalement remettre en question. Même les régimes qui se voulaient panarabes n'ont jamais renoncé à leur identité nationale, en témoigne d'ailleurs l'échec de la République arabe unie. Il est, en outre, facile aujourd'hui pour tout connaisseur de la région de reconnaître un Irakien d'un Syrien, d'un Libanais ou d'un Palestinien, preuve que ces nationalismes ne reposent pas sur des bases aussi artificielles qu'elles le paraissent.

(Lire aussi : « Les Français et les Anglais ont dessiné les frontières, et les Arabes ont colorié la carte », l'article d'Antoine Ajoury)

Nettoyage ethnique

Un nouveau tracé de frontières se confronterait aussi à l'hétérogénéité des territoires. Malgré un fort déplacement interne et externe des populations ces dernières années, les régions ne sont pas pour autant homogènes, ni du point de vue ethnique ni du point de vue communautaire. De nouvelles frontières donneraient ainsi lieu à des nettoyages ethniques et s'inscriraient en totale rupture avec l'héritage pluricommunautaire des entités politiques dans l'histoire de la région.

En Syrie comme en Irak, les Kurdes profitent effectivement de cette étape de transition et de flou pour construire les bases d'une autonomie politique. Leurs revendications pourraient effectivement faire bouger les lignes, puisqu'ils ont l'oreille de plusieurs grandes puissances. Mais de là à imaginer un grand Kurdistan, cela apparaît encore irréaliste puisque les puissances régionales (Turquie, Irak, Syrie, Iran) y sont toutes fortement opposées et que les Kurdes eux-mêmes sont divisés.

L'idée qu'un Sykes-Picot II puisse permettre de régler les conflits régionaux apparaît aussi mythique que celle qui accorde à Sykes-Picot une importance démesurée. D'autant plus que ce nouveau Sykes-Picot ne dit rien sur la question israélo-palestinienne, qui est pourtant l'un des conflits matriciels de la région.
Le temps où les chancelleries pouvaient dessiner l'avenir des peuples sur une carte est révolu, même si une nouvelle question d'Orient, concernant la lutte contre le terrorisme, est depuis apparue. La question aujourd'hui n'est pas de savoir comment tracer de nouvelles frontières, mais plutôt de comprendre comment de nouveaux gouvernements peuvent naître sur les ruines des anciens régimes, alors que des peuples tyrannisés depuis un demi-siècle sont en proie à une extrême violence, guidée par des passions communautaires et/ou ethniques, et instrumentalisée par des puissances extérieures.


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L'histoire, tout comme le cœur, doit avoir ses raisons que la raison ignore.Comment expliquer autrement que, même cent ans après le dernier échange de lettres entre le diplomate britannique et le diplomate français, le mythe Sykes-Picot hante toujours autant les esprits des populations du Proche-Orient ? Comment expliquer autrement que, malgré les guerres entre nations, les guerres civiles,...

commentaires (4)

C,EST QUE LES FRIKES NE VONT PAS AVEC LES HARICOTS ...

LA LIBRE EXPRESSION

22 h 02, le 17 mai 2016

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • C,EST QUE LES FRIKES NE VONT PAS AVEC LES HARICOTS ...

    LA LIBRE EXPRESSION

    22 h 02, le 17 mai 2016

  • Pourquoi un nouveau Sykes-Picot ne réglerait en rien les conflits du Proche-Orient TOUS LES SYKES~PICOT SONT DES ACCORS POUR CRER DES CONFLITS ET NON POUR LES REFGLER. L'ANCIEN ACCORD SYKES~PICOT DE 1916 PREAMBULE A LA DECLARATION BALFOUR DE 1917 SUR LA CREATION DE L'ETAT D'ISRAEL ETAIT TOUT ENTIER ORIENTEE VERS LE MONTAGED'ETATS NON NATIONAUX BASEES SUR L'OPPOSITION SECULAIRES ENTRE COMMUNAUTEES COHABITANT SUR LE MEME TERRITOIRE CETTE DISTRIBUTION MULTICOMMUNAUTAIRE DANS DES PAYS OU RELGION ET POLITIQUE SONT ORGANIQUEMENT LIEES AVAIT POUR BUT DE SEMER LES GERMES DE LA DISCORDE ET DES CONFLITS ETERNELS ENTRE LES COMMUNAUTEES PAR DEFITNITION BLOQUEES AU STADE DE L'ENFANCE ET DE LA BARBARIE RELIGIEUSES MEDIEVALES LE NOUVEAU SYKES~PICOT NE PEUT DONC QUE CONTINUER A REDESSINER DES CARTES POUR COMPLIQUER ENCORE PLUS LE CHOC DES COMMUNAUTEES RELIGIEUSES AU MOYEN~ORIENT PRESENTEE COMME LA TERRE DES PROPHETES DE L'EPEE. ET CE SUR LA BASE DE L'ANTIQUE ET BANAL PRECEPTE ROMAIN DIVISER POUR REGNER

    Henrik Yowakim

    18 h 57, le 16 mai 2016

  • "La question n'est pas de savoir comment tracer de nouvelles frontières, mais plutôt de comprendre comment de nouveaux gouvernements peuvent naître sur les ruines des anciens régimes, alors que ces peuples depuis un demi-siècle sont en proie à une extrême violence, guidée par des passions communautaires et/ou ethniques." ! Mais, Monsieur, pourquoi chercher midi à quatorze heure ? La réponse est dans votre propre question : Les séparer les uns des autres sur des bases.... "communautaires et/ou ethniques" ! Touuut à fait comme en Yougoslavie, mahééék ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 08, le 16 mai 2016

  • Un siècle après les arabes font toujours le jeu des Grands , soumis et vendus au Diable .

    Sabbagha Antoine

    10 h 47, le 16 mai 2016

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