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Liban - Social

Johar, pour sortir les détenus souffrant de maladies mentales des oubliettes

La nouvelle pièce réalisée par Zeina Daccache avec des détenus de Roumieh met en exergue les histoires des prisonniers souffrant de problèmes psychiques et de ceux condamnés à mort ou à la prison à perpétuité.

La nouvelle pièce réalisée par Zeina Daccache avec des détenus de Roumieh met en exergue les histoires des prisonniers souffrant de problèmes psychiques et de ceux condamnés à mort ou à la prison à perpétuité. Photo Patrick Baz/Catharsis-LCDT

« Salut ! Je m'appelle Youssef Chankar. Vous vous souvenez de moi ? Je suis l'un des douze hommes en colère de la pièce Douze Libanais en colère jouée ici à Roumieh en 2009. Oui, je suis toujours ici. Sept ans plus tard, je suis toujours là... »
Vêtu d'un costume marron, chemise blanche et cravate rose, les cheveux gominés et plaqués vers l'arrière, Youssef Chankar se lance dans un monologue retraçant les sept dernières années de sa vie... à la prison de Roumieh. Le détenu participe pour la deuxième fois à un spectacle – Johar... aux oubliettes* – présenté derrière les barreaux par quelque quarante détenus du centre pénitentiaire, ayant pris part aux ateliers de dramathérapie initiés par Zeina Daccache, actrice, dramathérapeute et directrice de l'ONG Catharsis. En 2012, Schéhérazade a été présentée à la prison des femmes de Baabda, avec pour protagonistes les locatrices des lieux.

Tendu – et pour cause, puisqu'il s'adresse à une audience différente, venue du « monde libre » pour l'écouter –, il explique que, mis à part son physique – Youssef a pris un petit coup de vieux –, rares sont les événements qui ont pu égayer ses tristes journées qui s'étirent en longueur derrière les barreaux où il croupit depuis vingt-cinq ans. Youssef est condamné à la prison à perpétuité. Ainsi, en sept ans, son frère s'est marié et a eu deux enfants ; le documentaire Douze Libanais en colère a été présenté dans soixante-quatorze pays et a récolté huit prix internationaux, et Youssef est devenu de ce fait « un artiste célèbre... à Roumieh » ; son chat Sissi est mort ; trois des prisonniers ayant pris part à Douze Libanais en colère sont décédés, deux à la prison des suites d'un cancer et le troisième a été fauché par une voiture quelque temps après avoir été relâché ; son ex-femme s'est remariée et a aujourd'hui deux enfants...

Dans une pièce exiguë située au fond de la cour du bâtiment A de la prison de Roumieh et qui détone avec l'ambiance grisâtre et lourde des lieux, Youssef Chankar poursuit sur sa lancée. Derrière lui, sur le mur, se dresse le dessin géant peint par les détenus d'un âne, Johar, attaché à un arbre dans une clairière. Sur un ton qui se veut léger et « positif », Youssef Chankar se penche sur la loi 463 sur la réduction des peines, qui a commencé à être appliquée à la suite des appels lancés dans ce sens par les prisonniers dans le cadre de Douze Libanais en colère. « La loi nous englobe (prisonniers condamnés à la prison à perpétuité ou à la peine de mort) sans toutefois nous englober », poursuit-il, d'un ton amer. Il explique que conformément aux dispositifs de la loi, cette catégorie de prisonniers doit soit payer les indemnités aux familles des victimes et qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions de LL, soit être graciés par la famille de la victime, « ce qui est difficile dans un pays où la culture du pardon fait défaut... »


 

Messages poignants
La pièce se poursuit pendant près de deux heures et les tableaux s'enchaînent, danses et chants à l'appui. L'accent y est mis sur les prisonniers dont le destin est inconnu. Il s'agit notamment de « ceux condamnés à la prison à perpétuité et à la peine de mort, ainsi que ceux placés dans l'asile préventif réservé aux malades psychiques ou mentaux ayant commis un crime, connu sous le nom de l'Immeuble bleu ».

Les chorégraphies, réalisées par Pierre Khadra, les monologues et les chansons mettent en exergue les histoires des locataires de l'Immeuble bleu dont le rôle a été joué par leurs confrères, parce que leur condition ne leur permet pas de se trouver sur scène. Le spectacle souligne l'injustice dans les textes de loi qui traitent ces prisonniers de « fous », « déments » ou « possédés ». Il met en avant le surpeuplement dans les prisons, le manque de ressources financières des prisonniers qui doivent subvenir à leurs propres besoins, l'indifférence affichée à leur égard, leur isolement à l'égard du monde extérieur, les maladies dont ils souffrent, le manque d'accès aux médicaments, la lenteur observée dans les procédures judiciaires, le dysfonctionnement des cartes téléphoniques... Les conditions déplorables dans lesquelles vivent ces prisonniers sont exposées de manière qui se veut légère, mais les messages adressés à la société et aux responsables concernés sont très poignants.


Un outil de lobbying

« Le théâtre est un important outil de lobbying », confie à L'Orient-Le Jour Zeina Daccache. Elle rappelle dans ce cadre que suite à Douze Libanais en colère, les décrets d'application de la loi 463, adoptée en 2002, ont vu le jour. À travers Johar... aux oubliettes, Catharsis se penche sur le dossier des prisonniers de l'Immeuble bleu. La pièce est d'ailleurs inspirée du cas de Fatmé, une malade mentale récemment relâchée de la prison de Baabda où elle était laissée parmi les autres prisonnières.
« D'après la loi, ces personnes doivent être placées dans un asile préventif, mais on oublie souvent que sur les vingt-trois prisons du pays, il n'y a qu'un seul asile, l'Immeuble bleu, explique Zeina Daccache. Ces personnes se retrouvent ainsi avec les autres prisonniers, alors qu'elles ont besoin d'une thérapie et d'un traitement médical spécial. De plus, conformément à la loi, elles restent incarcérées jusqu'à ce qu'elles guérissent. Or, dans leur cas, la guérison est impossible. »

Catharsis, dans le cadre de « L'histoire des oubliés derrière les barreaux », un projet financé par l'Union européenne et réalisé avec les ministères de l'Intérieur et de la Justice, présentera ainsi un projet de loi pour amender certains articles du code pénal relatifs aux malades psychiatriques et mentaux, notamment les articles 231, 232, 233 et 234. À juste titre puisque « la prison n'est pas la place de ces personnes dont le seul crime reste celui d'être des malades mentaux », comme l'avancent si bien les prisonniers.

 

* Johar... aux oubliettes sera représenté à la prison de Roumieh les 18, 19 et 25 mai, à 15h. Les réservations doivent se faire une semaine à l'avance, pour obtenir les permis d'accès à la prison. Pour plus d'informations, appeler Catharsis aux 09/914932 ; 03/162573.

 

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