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Moyen Orient et Monde

L’Europe contre l’État islamique

À Bruxelles, un mémorial dédié aux victimes des attentats du 22 mars, à l’entrée du métro de Maelbeek, cible de l’une des attaques. John Thys/AFP

Après les attaques terroristes du 13 novembre à Paris, qui ont fait 130 morts, j'ai écrit une tribune intitulée « Nous sommes en guerre » – et essuyé de vives et nombreuses critiques de lecteurs européens et non européens. Comment pouvais-je employer le mot « guerre » pour caractériser ces attaques ! Les mots sont des armes, et en faire mauvais usage, c'est agir de façon irresponsable, voire dangereuse. N'avais-je donc rien appris des errements chauvins de George W. Bush ?


En réalité, je savais parfaitement ce que je faisais lorsque j'ai décidé d'employer ce mot. Et la semaine dernière, lorsque l'aéroport de Bruxelles et une des stations de métro de la ville ont été frappés par une attaque terroriste, les membres des services d'urgence ont employé le même mot : c'étaient bien des « blessés de guerre » qui réclamaient des soins. Je le redirai donc encore : nous sommes en guerre. Ce n'est pas, bien sûr, une guerre conventionnelle. Les hostilités n'ont pas été officiellement déclarées ; mais les attaques contre Paris et Bruxelles sont des actes de guerre – des manœuvres brutales et délibérées conçues par un groupe de gens qui contrôlent un vaste territoire.


Ces actes ne sont pas seulement dirigés contre des femmes et des hommes qui vivent en Europe, mais aussi contre les valeurs fondamentales de l'Europe. Et ils s'inscrivent dans un vaste projet d'agression qui ne disparaîtra pas de sitôt. Car si le territoire de l'État islamique se réduit en Syrie et en Irak, il s'étend en Libye. Qui sait de quels pays l'EI s'emparera demain ? Certaines régions, en Algérie, par exemple, pourraient s'avérer vulnérables.
Il est temps que l'Union européenne accepte la réalité – elle est en guerre, que cela lui plaise ou non – et agisse en conséquence. S'il y eut jamais un moment, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, où l'Europe dut assumer sa sécurité, nous y sommes. Cela signifie aussi bien répondre à la menace intérieure que jouer un rôle prépondérant dans la lutte contre l'EI, non seulement parce que l'Europe en est géographiquement proche, mais en raison de la part même qu'ont prise certains de ses États membres, comme la France, l'Italie et le Royaume-Uni, à la déstabilisation de la région.

 

(Lire aussi : En Europe comme aux États-Unis, la peur fait le lit des populistes et nationalistes)


Dans cette entreprise, il est essentiel que les terroristes ne soient pas assimilés aux réfugiés qui affluent en Europe. Les réfugiés, pour beaucoup chassés de chez eux par les voies de fait que commettent l'EI et les autres acteurs violents du conflit régional, représentent pour l'Europe une véritable chance. Nous ne pouvons accepter que les populistes, qui essaiment aujourd'hui dans toute l'Europe et outragent ses valeurs, nous empêchent, par leur sectarisme et leur alarmisme, de saisir cette chance.


Bien évidemment, le terrorisme n'est pas la seule menace à laquelle est aujourd'hui exposée la sécurité européenne. L'attention des États-Unis étant accaparée par l'Asie et le Moyen-Orient (sans oublier leurs problèmes internes), il revient désormais aux dirigeants européens de relever le gant et de fixer une limite aux ambitions de la Russie sur la partie orientale de l'Europe.
Au moment où l'UE – qui, si elle en avait le choix, céderait volontiers à la tentation du repli sur soi – doit relever d'aussi inquiétants défis extérieurs, la dernière chose dont elle ait besoin est une remise en cause venant de l'intérieur. Or c'est précisément à cela qu'elle est confrontée, grâce en soit rendue au Premier ministre britannique David Cameron et à l'organisation du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union, tentative irresponsable d'amadouer les anti-européens enragés au sein du Parti conservateur. Lorsque la maison commune menace d'être détruite par les flammes, votre travail, comme celui des autres locataires, est d'éteindre l'incendie, sans vous disputer pour savoir qui doit tenir la lance.


Le décalage entre ce dont l'Europe a besoin et ce qu'elle est prête à entreprendre traduit un déséquilibre entre raison et émotion. D'un point de vue rationnel, le besoin d'une coopération européenne renforcée en matière de sécurité et de défense est évident, comme l'a souligné le Premier ministre italien Matteo Renzi. D'un point de vue émotionnel, pourtant, c'est l'inverse qui semble vrai, comme le montre l'incapacité de l'UE à décider d'une politique commune d'accueil des réfugiés.

 

(Lire aussi : Les attentats en Europe attribués à la mouvance islamiste depuis 2004)


Comme Renzi l'est aujourd'hui, la chancelière allemande Angela Merkel fut seule dans son plaidoyer pour une réponse humaine à la crise des réfugiés. Aux yeux de la plupart des Européens, la situation semblait écrasante. Aussi s'y sont-ils dérobés. « Les réfugiés, ce sont votre problème » a lancé, on s'en souvient, le président letton Raimonds Vejonis à Merkel, lors d'une réunion du Conseil européen, l'année dernière. Le terrorisme, avec son imprévisible tactique et ses frontières nébuleuses, provoque le même genre de réponse.


Le défi est tellement écrasant, en réalité, que les pays de l'UE semblent même incapables de partager efficacement l'information. Un problème semblable était survenu après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, qui privèrent alors d'informations leurs alliés, y compris les plus proches, le Canada et le Royaume-Uni. J'ai moi-même été témoin de la frustration ainsi causée, en janvier 2002, au Forum économique mondial, où je coprésidai une réunion à huis clos des responsables des services de sécurité occidentaux.


Aujourd'hui, selon une hiérarchie autoproclamée, il n'y aurait rien, ou si peu, hormis les services de sécurité et de renseignements français et britannique. La Belgique, peu considérée à cet égard, en raison de la faiblesse de ses structures étatiques et de la complexité de ses identités culturelles et linguistiques, ne reçoit pas l'information que Français et Britanniques recueillent. Mais l'arrogance n'est plus de mise. La peur et la dissimulation le sont moins encore.


Si les terroristes ciblent l'Europe, c'est parce qu'ils pensent qu'elle est le maillon faible de l'Occident. Pour elle-même, l'Europe doit leur prouver qu'ils ont tort. La seule façon d'y parvenir est de ne plus permettre que nous cédions aux émotions et nous cachions derrière des revendications nationalistes qui empêchent de reconnaître rationnellement l'unité comme l'unique voie dont nous disposons pour renforcer notre sécurité.

Traduction François Boisivon
© Project Syndicate, 2016.

 

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