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Moyen Orient et Monde - Dossier spécial - Décryptage

Le fédéralisme au Yémén, une solution alléchante qui n’en est pas une

Pour l'expert Khaled Fattah, le système fédéral n'est pas une idée viable dans un Yémen qui manque d'un pouvoir central fort.

L'ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh disait : « Gouverner le Yémen est comme danser sur la tête des serpents. » En effet, celui qui a réussi à diriger « l'Arabie heureuse » pendant près de 34 ans, ayant compris le fonctionnement de sa société tribale, n'est quand même pas parvenu à fonder un État fort.
Jusqu'à son départ en 2012, Ali Abdallah Saleh a pu ainsi gouverner tant bien que mal un pays aux problèmes infinis : des sécessionnistes du Sud à la rébellion armée de la minorité chiite au Nord, en passant par les différents conflits tribaux et la présence d'el-Qaëda.
La dernière offensive menée par l'Arabie saoudite et qui visait à rétablir le président Abd Rabbo Mansour Hadi au pouvoir, suite à la fulgurante avancée des houthis du Nord jusqu'à la capitale Sanaa, a fini par morceler le territoire yéménite en plusieurs parties, entre les régions sous le contrôle des houthis, du pouvoir loyaliste et de la coalition arabe, sans oublier les larges pans contrôlés par les jihadistes d'el-Qaëda et de l'État islamique (EI).
Avec le début des révoltes arabes en 2011, les différents conflits qui sont nés dans certains pays comme la Syrie, la Libye ou l'Irak, après la chute des régimes autoritaires en place, ont fait planer un risque d'éclatement. Or, contrairement à d'autres pays arabes comme l'Irak ou la Syrie, dont le régime est fortement centralisé, l'État au Yémen a toujours été quasi absent.

Peut-on donc parler d'éclatement du Yémen ? L'une des solutions préconisées par la conférence de dialogue national en 2014 a été le fédéralisme, une idée qui semble à première vue alléchante pour sortir de la crise. « Après le déclin des puissances coloniales, le fédéralisme a souvent été cité comme un système fiable pour régler les tensions et les conflits au sein de nouveaux États indépendants, comprenant de profondes divisions religieuses, ethniques ou linguistiques », explique Khaled Fattah, spécialiste du Yémen et des tribus au Proche-Orient.
Toutefois, selon lui, l'État yéménite n'est pas une construction coloniale artificielle comme c'est le cas de l'Irak, de la Syrie ou de la Libye. En effet, le Yémen est l'une des civilisations les plus anciennes présentes au Proche-Orient. Le nom Yémen (Yaman) est mentionné à plusieurs reprises dans les hadiths pour indiquer les territoires au sud de La Mecque.
Au Yémen, ajoute-t-il en outre, il n'y a pas vraiment de clivages si profonds, malgré les apparences.

Un projet pas si nouveau
Les propositions d'un système fédéral au Yémen circulent depuis bien longtemps, notamment après la réunification du pays en 1990 et suite à la guerre civile de 1994. L'idée a repris du service en 2007 avec l'émergence du mouvement du Sud, dont les leaders appelaient à une large autonomie.
« On retrouve les racines d'un projet fédéral après l'unification des deux Yémen. D'une part, le Nord conservateur et tribal, et, d'autre part, le Sud, socialiste et marxiste », précise Khaled Fattah.
« Cet événement qui a eu lieu près de six mois après la chute du mur de Berlin a été largement perçu par les médias et les dirigeants occidentaux comme une nouvelle victoire contre le modèle socialiste. Or, sur le terrain, ce qui s'est vraiment passé, c'est un amalgame de deux systèmes politiques et économiques antagonistes. Ce choc a donc naturellement conduit à des conflits permanents entre les élites politiques des deux protagonistes pour affirmer leur légitimité », explique l'expert.
Selon lui, l'idée d'un Yémen fédéral n'a pas été proposée comme un instrument de construction nationale. « L'union entre les parties Nord et Sud du pays n'a pas été faite pour fonder une communauté commune, puisque celle-ci existe depuis des centaines d'années. Il s'agissait par contre d'une décision pragmatique prise par deux régimes sur des calculs économiques et politiques », ajoute-t-il.

Lors des négociations au sein de la conférence de dialogue national qui discutait à cette époque d'une nouvelle Constitution pour le pays en février 2014, il y a eu également un accord sur un système fédéral qui divisait le Yémen en six régions :
1) Hadramaout, qui comprend les régions de Hadramaout, de Mahra et de Chabwah. 2) Aden, qui comprend Abyan, Lahj, al-Dhale et Aden. 3) al-Janad, qui comprend Ibb et Taëz. 4) Saba, qui comprend Marib, al-Jawf et al-Bayda. 5) Tihama, qui comprend al-Hudayda, Rayma, Mahwit et Hajja. 6) Azal qui comprend Dhamar, Sanaa, Amran et Saada.
Bien que la proposition ait obtenu l'appui des Nations unies, des États-Unis et de l'Union européenne, elle reste très controversée, surtout aujourd'hui avec l'expansion territoriale des houthis.
Ainsi, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui avait donné lui aussi son accord de principe sur ce projet, pourrait bien refuser de voir les houthis, perçus comme un satellite de l'Iran sur la mer Rouge, prendre contrôle d'une région côtière stratégique. Or, aujourd'hui, ces rebelles houthis, soutenus par Téhéran, n'accepteraient pas une division géographique qui ne leur donnerait pas un accès sur le littoral.

Autre acteur principal qui a son mot à dire, l'Arabie saoudite. En effet, la politique de Riyad veut que le Yémen soit toujours dans une situation d'instabilité permanente, sans toutefois sombrer dans le chaos, et surtout sans se redresser complètement. Sanaa ne doit jamais constituer une menace pour l'Arabie saoudite. Par contre, un Yémen fort pourrait un jour revendiquer les territoires jadis conquis par Abdel-Aziz ben Abdel-Rahman al-Saoud.
Sur le plan technique, le projet proposé « ne prend pas en considération les puits de pétrole et les infrastructures énergétiques qui se trouvent majoritairement au Sud et au Sud-Est. Ensuite, il met les chiites houthis en minorité dans leur région, en les mélangeant avec d'autres groupes », explique M. Fattah.

Problèmes plus graves
En plus, ajoute-t-il, la solution fédérale est bien loin de résoudre les problèmes urgents des Yéménites, à savoir la nourriture, l'eau, l'électricité et surtout la sécurité, qui gangrènent le pays avec l'expansion dramatique des groupes jihadistes comme el-Qaëda et l'EI. Et, sur le plan politique, le fédéralisme n'est pas une idée viable dans un pays qui manque d'un pouvoir central fort. « L'État est tellement délabré qu'il n'a aucune prérogative (politique, économique et administrative) à déléguer aux régions. Comme le dit si bien la maxime latine, "Nemo dat quod non habet", on ne peut donner ce qu'on n'a pas », martèle M. Fattah.
En outre, la situation actuelle reste dangereuse puisqu'il n'y a aucune personnalité, aucune institution capable de porter efficacement la transition politique au Yémen.
Ce dont « le Yémen a vraiment besoin est un pouvoir centralisé fort et efficace qui a assez d'autorité et de légitimité pour arbitrer entre les régions et imposer sa volonté », conclut M. Fattah.

 

 

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