« Nous avons cru que Samir Geagea allait finir par convaincre Michel Aoun de se rendre au Parlement pour élire un président. Or, c'est l'inverse qui s'est passé, et c'est finalement M. Aoun qui a réussi à convaincre le premier de la nécessité de recourir à la rue. »
C'est le constat que fait un député du 14 Mars qui commentait la décision conjointe du Courant patriotique libre et des Forces libanaises d'investir la rue pour faire pression sur les différents protagonistes, et à leur tête les chefs de file musulmans. Pour les FL, ce sera également l'occasion de réaffirmer la solidité de l'alliance qui les unit depuis peu au CPL et d'afficher une position chrétienne fédérée tout en brandissant le slogan du pacte national et du partenariat.
En somme, le recours à la rue envisagé n'est autre qu'une carte de pression que les deux formations chrétiennes entendent utiliser face au camp musulman pour le pousser à soutenir la candidature de Michel Aoun. Et ce faisant, elles veulent rappeler à qui veut l'entendre le principe sacro-saint selon lequel les chrétiens doivent avoir un avis déterminant dans l'élection présidentielle, tout comme celui que détiennent les sunnites et les chiites dès qu'il s'agit de la présidence du Conseil ou du Parlement.
Toujours convaincu qu'il continue de bénéficier d'une forte base populaire, Michel Aoun a réitéré devant ses visiteurs « qu'il maintient sa candidature », assurant qu'il n'envisage « aucun plan B à ce sujet ». De même qu'il reste persuadé que les développements dans la région versent en faveur de sa réussite.
Dans le cas hypothétique où un accord serait conclu en faveur d'un candidat qui ne bénéficierait pas d'une aussi grande représentativité présumée, c'est donc la règle de la réciprocité qui devrait s'appliquer, ce qui signifie que, dorénavant, il en serait de même pour les deux postes de la présidence du Conseil et de la Chambre, assure-t-on dans les milieux relevant des deux formations chrétiennes.
Face aux projets des FL et du CPL, les Kataëb divergent. Pour l'ancien chef d'État Amine Gemayel, les mouvements de protestation de rue, avec tous les risques qu'ils comportent, ne sont en aucun cas envisageables par les Kataëb en cette période délicate. M. Gemayel compte d'ailleurs entamer, sitôt la fête de Pâques terminée, des contacts pour tenter de définir une vision libanaise non confessionnelle dans l'objectif de créer un courant politique national unificateur et de faire pression en direction de l'élection d'un nouveau chef d'État le 18 avril prochain.
Les milieux des FL justifient pour leur part leur participation au mouvement de rue aux côtés du CPL par le fait que leur parti refuse que le candidat chrétien à la présidence soit imposé par le leadership musulman. Dans ces milieux, on tient cependant à nuancer cette position, en affirmant qu'un éventuel candidat consensuel pourrait être accepté par les FL en définitive, à condition qu'il y ait eu un accord au préalable. Les sources des FL affirment à ce propos que leur chef a proposé à plus d'une reprise à M. Aoun de se désister en faveur d'un candidat consensuel, mais en vain. Ceci n'a pas pour autant empêché les FL de continuer d'exprimer leur détermination à examiner sérieusement l'éventualité d'un candidat de compromis, à condition que le chef des Marada, soutenu par le chef du courant du Futur, Saad Hariri, retire sa candidature au préalable. Ce qui faciliterait la tâche à M. Geagea qui devrait alors convaincre M. Aoun de faire de même.
Désormais, les FL sont convaincues que le Hezbollah se dissimule derrière la candidature de M. Aoun – une manœuvre qui sert ses calculs stratégiques – tout en rechignant à ce jour à effectuer suffisamment de pression sur ses alliés pour le propulser en avant, un sentiment que commence à partager également la rue aouniste. D'ailleurs, assure un observateur, il est hors de question que le parti chiite soutienne jusqu'au bout un candidat qui affiche son adversité à l'égard de la communauté sunnite.
Dans les milieux diplomatiques, on parle déjà d'un nouveau processus concernant l'échéance présidentielle, comme l'attestent les déclarations faites par plusieurs figures politiques proches du chef du Parlement, Nabih Berry, qui évoquent de plus en plus sérieusement l'option d'un candidat consensuel. Ces derniers tiennent à rappeler que « l'attachement » du Hezbollah à la candidature de Michel Aoun n'est pas contraignant pour l'ensemble des composantes du 8 Mars. Ils soulignent que même le Hezbollah a explicitement confirmé ce fait en déclarant qu'il ne fera pas pression sur ses alliés pour leur faire avaliser son soutien au chef du bloc du Changement et de la Réforme. Autant d'allusions faites à la position du chef du Parlement, Nabih Berry, qui refuse à ce jour de soutenir la candidature de M. Aoun.
Évoquant les risques d'un mouvement de rue, les milieux diplomatiques mettent en garde de leur côté contre le caractère communautaire que pourrait prendre un tel rassemblement. Tout en applaudissant au rapprochement qui s'est effectué entre les FL et le CPL, ils préviennent du danger de l'exploitation d'un tel événement en vue de la création d'un front chrétien, ce qui pourrait aggraver les tensions confessionnelles.
Liban - L’éclairage
Présidentielle : les chrétiens divisés sur le recours à la rue
OLJ / Par Philippe Abi-Akl, le 25 mars 2016 à 23h46
commentaires (8)
Divisés, certes, car à tendances et idées diverses, et non simplement monochromes comme ces musulmans toujours ou Per(s)cés ou Saoudisés....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
17 h 46, le 25 mars 2016