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Moyen Orient et Monde - Billet

Terrorisme, quand les marges arrivent au centre

Une femme se tient devant le mémorial dédié aux victimes des attentats de Paris du 13 novembre place de la République et près d’un an après l’attaque de « Charlie Hebdo » le 7 janvier 2015. Joel Saget/AFP

Charlie Hebdo n'est pas l'acte fondateur qui ouvre l'ère des attentats de Paris. Avant les attaques des frères Kouachi le 7 janvier 2014 contre le journal satirique, il y eut l'affaire Merrah et les tueries de mars 2012, à Toulouse et Montauban, avec leur surenchère médiatique et le lot d'instrumentalisation politique. Dans une nouvelle séquence, le 13 novembre 2015, la France fut une nouvelle fois traumatisée par l'ampleur des attentats de Paris. Y a-t-il une différence entre l'affaire Merrah, les attentats de Charlie et les derniers en date ?
Dans le premier cas, des déclassés agissent par revanche sociale, avec un alibi identitaire, et visent des cibles clairement identifiées. Dans le second, ces mêmes catégories, qui revendiquent confusément une existence sociale, choisissent le prétexte d'une allégeance religieuse pour commettre des attentats contre des cibles indifférenciées. Les causes ne sont toutefois pas fondamentalement différentes dans les deux cas, la manifestation terroriste ramenant aux situations de crise en France.

Dans un pays confronté à une certaine dégénérescence du phénomène démocratique, à une crise certaine des valeurs politiques et citoyennes, parfois à la résurgence des idées les plus éculées de l'anthropologie coloniale, à des conceptions et pratiques rigides de la laïcité qui alimentent par effet pervers le communautarisme, aux politiques d'austérité et de destruction lente du système de protection sociale, les accidents sociétaux ne peuvent qu'être de plus en plus nombreux.
Le glissement des attentats ciblés aux crimes de masse indifférenciés n'est possible, selon l'éminent psychanalyste français Roland Gori, que « dans une société atomisée par une désaffiliation des liens de reconnaissance symbolique (liée à l'urbanisation, au déracinement, à la précarité sociale) ». De Charlie Hebdo aux attentats de Saint-Denis, du Bataclan, et du 11e arrondissement, les ressorts profonds demeurent identiques et ramènent à la dérive que connaît la société française depuis quelques décennies.
En 2005, la situation désastreuse de certaines banlieues dégénéra en émeutes quand l'accident de Clichy-sous-Bois révéla l'existence de zones de non-droit dans lesquelles les jeunes des 3e et 4e générations n'avaient souvent aucune perspective d'avenir professionnel. Mais il suffit qu'une fourchette d'experts et d'intellectuels disqualifiat le problème, en le traitant de conjoncturel et localisé, pour l'enterrer, alors que la crise des banlieues n'était qu'une dimension de la faillite irréversible du système français.


(Lire aussi : Il y a un an, « Charlie Hebdo », premier acte de la tragédie des attentats de Paris)


La crise de l'univers carcéral en est une des manifestations les plus criantes. Les frères Kouachi et Coulibaly ont rencontré leur mentor, Jamel Beghal, dans la prison de Fleury-Mérogis où ils ont été incarcérés plusieurs mois. Le recrutement des jeunes délinquants radicalisés s'effectue ainsi souvent dans les prisons, cœur du processus de radicalisation. Les conditions de détention, la violence psychique, le sentiment de dénuement, etc. sont autant d'ingrédients qui précipitent des échecs sociaux dans des logiques de radicalisation, pas nécessairement religieuses.
Ces déclassés sont aussi le produit de l'échec de l'école française, qui fonctionne comme matrice de l'intégrisme républicain, très soucieuse de l'idéal d'homogénéité culturelle du « modèle français », peut-être plus que de la transmission de valeurs humanistes.
Le rôle parfois néfaste des médias français est également à relever lorsqu'en période de crise ils tendent à généraliser des idées simples et mobilisatrices, et fonctionnent encore sur le mode de l'instrumentalisation émotionnelle. La lecture souvent unidimensionnelle de la presse française sur les conflits du Proche- et du Moyen-Orient réduit le problème à l'islamisme et aux crises du monde arabe, en disculpant les responsabilités occidentales (comme celles liées à une généralisation de la mondialisation économique sauvage). Une dérive symptomatique de l'appauvrissement de la réflexion critique et de la culture politique rationnelle.

Le philosophe français Alain Badiou, à la suite des attentats de Paris, a montré le danger d'une représentation prisonnière de l'affect. Il rappelle que la distanciation est nécessaire pour penser la véritable nature des « crimes de masse ». En l'absence de « mesures de précaution au regard du caractère inévitable de l'affect », le risque est de succomber aux pulsions identitaires qui légitiment les pratiques les plus arrogantes et les plus brutales.

 

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Charlie Hebdo n'est pas l'acte fondateur qui ouvre l'ère des attentats de Paris. Avant les attaques des frères Kouachi le 7 janvier 2014 contre le journal satirique, il y eut l'affaire Merrah et les tueries de mars 2012, à Toulouse et Montauban, avec leur surenchère médiatique et le lot d'instrumentalisation politique. Dans une nouvelle séquence, le 13 novembre 2015, la France fut une...

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LE NETTOYAGES DES ETABLES EST NECESSAIRE...

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 57, le 05 janvier 2016

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Commentaires (2)

  • LE NETTOYAGES DES ETABLES EST NECESSAIRE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 57, le 05 janvier 2016

  • Que la société française soit entrainée dans la dérive signalée c'est sans doute vrai mais de là à pointer la faillite irréversible du système français il y a un grand pas qui projette dans le vide l'auteur de la critique d'autant que d'autres dérives positives celles là prennent corps en sens inverse les multiples manifestations silencieuses en sont la preuve...une citoyenneté résiliente s'affirme. Quant à prendre Alain Badiou comme épigone c'est souhaité un régime le retour à une pensée abstraite et totalitaire.

    Beauchard Jacques

    11 h 17, le 05 janvier 2016

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