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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Syrie : les limites de la diplomatie de Vienne

Deir ez-Zor en ruines. Archives AFP

« D'accord pour ne pas être d'accord »

Pour la première fois depuis 2011, tous les acteurs extérieurs du conflit syrien étaient réunis à Vienne les 29 et 30 octobre dernier. Signe d'une volonté internationale de négocier un règlement politique à cette crise, les participants sont convenus de prolonger les discussions et de se retrouver deux semaines plus tard, soit demain, dans les mêmes conditions. « S'ils se sont mis d'accord pour ne pas être d'accord » sur le sort du président syrien Bachar el-Assad, selon les mots du secrétaire d'État américain John Kerry, les participants ont rédigé un communiqué commun revenant sur les points conditionnant une sortie de crise : la formation d'un gouvernement de transition, la tenue de nouvelles élections, l'instauration d'un cessez-le feu sur tout le territoire, la préservation de l'intégrité du territoire et la sauvegarde des institutions étatiques. À ceux-ci est venu s'ajouter cette semaine, à la demande des Iraniens, le fait de déterminer qui sont les groupes terroristes et qui sont donc, par extension, les groupes « modérés » pouvant intégrer les négociations.
Si chacun de ces points apparaît déterminant pour la réussite d'un processus de paix, ils n'en restent pas moins extrêmement compliqués à mettre, concrètement, en application. Même si les Russes, les Américains, les Iraniens, les Saoudiens, les Turcs, les Français et les Britanniques se mettent d'accord sur une feuille de route de sortie de crise, rien n'assure que celle-ci sera respectée par les parties qui s'affrontent sur le terrain. Outre les divergences profondes qui subsistent entre les acteurs, les diplomates de Vienne ont une marge de manœuvre d'autant plus limitée que les principaux intéressés, les Syriens, n'ont pas été invités à la table des négociations. Alors que les combats se poursuivent quotidiennement sur le terrain, la réussite des pourparlers de Vienne dépend fondamentalement de la réponse à une seule question : la Syrie existe-t-elle encore ? Aperçu des limites des pourparlers sur la Syrie en 6 points.


Quelles différences avec Genève I et II ?

*La participation de l'Iran aux négociations diplomatiques de Vienne constitue la plus grande évolution par rapport aux conférences de Genève I et II, qui s'étaient tenues respectivement en juin 2012 et en février 2014.

*Les conclusions de Genève I, adoptées le 30 juin 2012, insistaient sur la formation d'une instance de gouvernement transitoire, composée de membres du régime et de l'opposition « dotée des pleins pouvoirs exécutifs ». Mais la déclaration ne faisait aucune mention du sort de M. Assad. Chaque partie avait donc interprété ces termes en sa faveur.

*La nouveauté de Genève II était la présence d'une délégation de la Coalition nationale syrienne (CNS). Pour la première fois, le régime et l'opposition se retrouvaient assis autour de la même table. Mais la persistance des désaccords entre les acteurs externes, les conflits entre un régime intransigeant et une opposition morcelée, et l'absence de l'Iran, qui n'avait pas été invité à la demande des Saoudiens, avaient tué la conférence de Genève II dans l'œuf.

*Deux coalitions s'affrontent à Vienne. L'une est formée par les opposants au régime : États-Unis, France, Arabie saoudite, Turquie, Qatar. L'autre est constituée par les soutiens du régime : Russie, Iran.

* L'absence des Syriens aux réunions de Vienne résulte certainement de l'échec des conférences de Genève. Les puissances internationales considèrent probablement qu'il est plus facile de s'entendre sur un socle commun de résolution de crise en l'absence des délations syriennes. Un paradoxe de plus qui rend compte de la complexité de la situation.


Préserver l'intégrité du territoire

Une partition, de facto, aux frontières tangibles existe déjà sur le territoire syrien. Le régime contrôle la Syrie « utile », ce qui comprend le littoral, l'axe Damas-Homs-Hama-Lattaquié et l'ouest d'Alep. L'État islamique contrôle plus de la moitié du territoire, essentiellement des zones désertiques, à l'Est. Les Kurdes ont la mainmise sur une partie du Nord syrien, et les rebelles, qui ne forment pas pour autant une unité politique, contrôlent le reste. Chaque groupe cherche à assurer des « services publics » fonctionnels à ce qui constitue sa population locale. Si les puissances semblent être d'accord pour ne pas décider de la partition du territoire syrien, la réalité du terrain pourrait les rattraper. Compte tenu de la fragilité des institutions, une partition « à la yougoslave » de la Syrie reste une éventualité à craindre.


Sauvegarder les institutions

Les négociateurs réunis à Vienne semblent tous convaincus de la nécessité de préserver les institutions de l'État syrien pour ne pas répéter l'erreur irakienne, où les Américains avaient pris la décision de démanteler l'armée, ce qui avait fortement fragilisé les autorités. Pour les pays opposés au régime, l'idée est d'éviter un effondrement de l'État. Ces derniers semblent donc penser qu'il est possible d'établir une distinction entre l'État et le régime. Si les Russes et les Iraniens partagent cette volonté de préserver les institutions, ils ne perçoivent pas forcément ces dernières de la même manière. Compte tenu du fait que les institutions syriennes, dont l'omnipotent service de renseignements, sont largement calquées sur le modèle soviétique, il est difficile d'établir leur neutralité.
Interrogé par la télévision russe, Joshua Landis, spécialiste de la Syrie, considère qu'il est impossible de changer le régime sans provoquer un effondrement de l'État. Selon lui, les institutions nationales ont été « cannibalisées par le régime » qui s'assure de leur loyauté grâce à différents moyens de pression. « Les institutions nationales ne sont pas autonomes », dit-il, avant d'ajouter : « Détruire le régime revient à détruire l'État. Le chaos est le prix d'un changement de régime. »


Instaurer un cessez-le-feu

Le 30 octobre dernier à Vienne, l'un des points cruciaux soulevés par les participants à la rencontre consacrée au règlement de la crise syrienne a été l'établissement le plus rapidement possible d'un cessez-le-feu généralisé à l'ensemble du territoire syrien. Dès son entrée en fonctions en tant qu'émissaire de l'Onu pour la Syrie, à l'été 2014, Staffan de Mistura a tenté à plusieurs reprises de faire instaurer une trêve à Alep, divisée entre secteurs loyaliste et rebelle depuis juillet 2012, mais sans résultats. Seul exemple de réussite jusque-là, la trêve instaurée en août à Zabadani et Madaya, dans le rif de Damas, proche du Liban, et deux localités chiites de la province d'Idleb, Fouaa et Kafraya, les seules sous contrôle du régime. Prolongée de six mois, elle est encore en vigueur, malgré quelques violations mineures.
Pour rappel, l'accord a été conclu entre des combattants rebelles dont le groupe islamiste Ahrar el-Cham, d'une part, et des forces prorégime et leurs alliés du Hezbollah, d'autre part, avec l'aide de l'Onu. Cet exemple, même unique pour l'instant, laisse présager que d'autres suivront. Toutefois, il est difficile d'imaginer que ces gels de combats – par définition temporaires – puissent être applicables et appliqués de manière généralisée et simultanée. Il est bien plus raisonnable de penser que des trêves pourraient être mises en place de manière progressive, selon la situation de la zone concernée et de ceux qui la contrôlent. En cas de réussite, ce processus pourrait s'étaler sur plusieurs mois, sinon des années, en termes de négociations non seulement entre grandes puissances, mais aussi entre acteurs locaux.

(Lire aussi : Le régime syrien remporte deux victoires importantes à Alep)

 

Former un gouvernement de transition

Depuis Genève I, les négociations diplomatiques concernant la Syrie s'attardent sur la nécessité de former un gouvernement de transition. Les États participant aux réunions de Vienne s'accordent sur le fait que ce gouvernement devrait être formé par des membres du régime et de l'opposition, de façon à représenter toutes les communautés et toutes les ethnies présentes en Syrie. Si les Occidentaux et leurs alliés ont adouci leur position en acceptant que M. Assad puisse jouer un rôle dans la transition, ils estiment que le gouvernement de transition doit, à terme, avoir les pleins pouvoirs. La formation d'un gouvernement de transition repose sur l'idée que le clan Assad serait prêt à partager le pouvoir, alors qu'il continue de qualifier l'opposition de « terroriste ».
Du côté de l'opposition, qui aurait la légitimité pour participer à ce gouvernement ? Les groupes les plus puissants sur le terrain, à savoir l'organisation État islamique, le Front al-Nosra, Ahrar el-Cham ou encore Jaych al-islam, sont aussi les plus radicaux. Les modérés, qui pourraient accepter de négocier avec le régime, sont clairement marginalisés. Comment former alors un gouvernement de transition qui garantisse une représentation de toutes les parties au conflit syrien et qui puisse en même temps être suffisamment fort pour assurer la sécurité de la population ?


Organiser de nouvelles élections

Selon l'agence Reuters, la Russie aurait proposé un plan de règlement de la crise syrienne comprenant huit points et impliquant le lancement d'un processus de réforme constitutionnelle qui pourrait prendre jusqu'à 18 mois et déboucherait sur une élection présidentielle anticipée. Le texte proposé par Moscou n'exclut pas que Bachar el-Assad soit candidat à l'élection présidentielle. Ce plan a été rejeté par les Occidentaux et leurs alliés en raison du fait qu'il n'était pas assez clair sur le rôle futur de M. Assad. La possible candidature du président Assad à la future élection demeure le principal point de désaccord entre les parties. L'organisation d'une nouvelle élection poserait, en outre, plusieurs questions : les réfugiés syriens pourront-ils y participer ? Qui va organiser et contrôler la validité des élections ? Pourront-elles se tenir sur l'ensemble du territoire ? Les réponses à ces questions pourraient déterminer l'issue du scrutin, compte tenu du fait que M. Assad et son clan disposent encore d'une importante assise populaire dans les territoires contrôlés par le régime.
En l'état actuel des choses, imaginer qu'on puisse organiser des élections démocratiques en Syrie dans les 18 prochains mois est assez chimérique. Les Russes semblent plutôt essayer de redonner une « légitimité démocratique » à M. Assad.


Définir des groupes « terroristes

Alors qu'une seconde réunion internationale doit avoir lieu demain à Vienne, un groupe de travail chargé de définir les « organisations terroristes » a commencé hier cette lourde tâche. Il va sans dire que Washington et ses alliés ne sont pas d'accord avec Moscou et Téhéran en ce qui concerne l'utilisation du terme « terroristes ». Depuis le début du conflit syrien en 2011, le régime syrien et ses alliés russes et iraniens désignent indifféremment presque soldats déserteurs, rebelles, jihadistes et autres opposants par ce qualificatif. Mais le régime, de son côté, est également traité de « terroriste » par ceux qui le combattent. Seul l'État islamique (EI) fait l'unanimité. À lui seul, ce point pourrait faire capoter ces négociations qui semblent être la plus grande avancée diplomatique dans la résolution du conflit syrien, notamment depuis le début de la participation de l'Iran aux « vendredis de Vienne », à moins d'énormes et sincères compromis de part et d'autre.

 

200 ans d'histoire

1815 : congrès réunissant les pays vainqueurs de Napoléon Ier (Autriche, Prusse, Royaume-Uni et Russie), ainsi que les autres États européens, afin de rédiger et signer les conditions de la paix et définir les frontières.
15 mai 1955 : traité rétablissant l'État d'Autriche après la Seconde Guerre mondiale.
18 avril 1961 : convention sur les relations diplomatiques : naissance d'un traité international réglant les rapports diplomatiques entre pays, l'immunité du personnel diplomatique et l'inviolabilité des ambassades.
23 mai 1969 : convention qui codifie les traités et les relations internationales juridiques entre les États.
22 mars 1985 : convention sur la protection de la couche d'ozone, qui reconnaît la nécessité d'accroître la coopération internationale en vue de limiter les risques que les activités humaines pouvaient faire courir à la couche d'ozone.
14 juillet 2015 : accord sur le nucléaire iranien.
30 octobre 2015 : négociations sur le dossier syrien.

 

 

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« D'accord pour ne pas être d'accord »
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commentaires (2)

Quelle belle image ! Tout comme ils avaient traité Beyrouth notre belle ville, ils traitent de la même façon leur "propres" villes ! Khâââï, bon retour de bâton éhhh libanais !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

12 h 15, le 13 novembre 2015

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Commentaires (2)

  • Quelle belle image ! Tout comme ils avaient traité Beyrouth notre belle ville, ils traitent de la même façon leur "propres" villes ! Khâââï, bon retour de bâton éhhh libanais !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 15, le 13 novembre 2015

  • "Si les puissances semblent être d'accord pour ne pas décider de la partition du territoire syrien, la réalité du terrain pourrait les rattraper. Compte tenu de la fragilité des institutions, une partition « à la yougoslave » de la Syrie reste une éventualité à craindre." ! Khâââï ! Quelle belle revanche libanaise....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 11, le 13 novembre 2015

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