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Moyen Orient et Monde - Tribune

Réconciliation, dites-vous ?

Un Tunisien durant la mobilisation du 12 septembre tenant une pancarte où l’on peut lire : « Réveillez-vous, le vrai gouvernement de ce pays est le FMI. »

Personne ne peut être contre la réconciliation en Tunisie. Il s'agit ici d'un faux débat, qui biaise toute l'argumentation politique qui va s'ensuivre. Bien entendu, nous sommes pour que les Tunisiens puissent vivre dans un pays apaisé, sans avoir à se haïr. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit.
La fuite de Ben Ali, si elle a permis à des milliers de réfugiés politiques de rentrer en Tunisie et à ceux qui ont été victimes de la rapine des proches de Ben Ali de porter plainte, n'a toutefois en aucun cas assuré justice et réparation. Victimes de tortures, emprisonnés, spoliés, on ne compte plus les cas d'injustices flagrantes, les vies brisées.
Si l'on ne peut tout réparer, si l'on ne peut tout compenser, on peut toutefois rendre justice dans des cas de spoliation, dans des cas de carrières détruites, dans des cas de corruption avérés. Mais là encore, rien de ce type. Déjà, quand la troïka a émis l'idée d'indemniser les victimes de la torture, une partie de la classe politique tunisienne, souvent la plus proche de l'ancien régime, celle qui entre 2011 et 2013 a navigué dans les marées de « la gauche tunisienne » et qui a souvent fini par rejoindre Nidaa Tounès, avait crié à l'immoralité de ceux qui pensent que la torture a un prix. Eh bien, oui, il y a un prix, symbolique et réel, pour réparer le mal de la dictature. Ce même argent que les tenants de la loi semblent vouloir protéger en faisant en sorte de ne pas avoir à rendre de compte.
Alors, oui à la réconciliation, mais pas au blanchiment, car au fond, c'est de cela qu'il s'agit. D'une volonté de blanchir les auteurs de malversations. Les proches de l'ancien régime que l'on retrouve trop souvent du côté de Nidaa Tounès et de la présidence de la République. Cette instance qui devrait être au-dessus de la mêlée mais qui se mêle des latrines de la République tunisienne. Ces latrines que la troïka n'a pas su nettoyer comme Héraclès a su si bien le faire en une journée.
Car la réalité tunisienne aujourd'hui est celle d'un pays fragmenté, pris entre ses contradictions régionales, économiques, sous le joug d'un système dont la corruption est érigée en norme et que la transition démocratique a profondément fatigué. Fatigué au point de nourrir la nostalgie de l'ancien régime, la peur de l'avenir, et qui au fond parfois se demande que lui a apporté la démocratie.
Cette démocratie formelle qui, jour après jour, donne le pouvoir à des partis dont les élus à l'Assemblée nationale semblent ne voir comme seul horizon que l'accès à l'État et à sa rente. Pire, force est de le reconnaître, que le parti islamiste Ennahda que nous pouvions considérer comme le rempart à l'autoritarisme par son passé, sa base militante et son engagement en faveur de la démocratisation, semble aujourd'hui plus perdu que jamais. Pris en tenaille entre la volonté de continuer à se maintenir dans le « consensus » (sous Bourguiba, nous parlions de « compromis », sous Ben Ali de « pacte national »), en n'imaginant aucune autre alternative pour la Tunisie ; et celui d'être à l'écoute d'une « base » consciente du poids de l'État profond et de la mafia politico-sécuritaire sur tous les aspects du développement économique et même sur le lien social. Ennahda semble plus que jamais un colosse aux pieds d'argile.
Alors oui, nous respectons la Constitution, nous respectons les institutions, nous respectons les élus du peuple, même s'ils ont un passé trouble. Et c'est dans ce cadre qu'il s'agit d'agir pour que cette loi ne passe pas et pour que le processus de justice transitionnelle et l'instance Vérité et Justice de Sihem Ben Sedrine puisse mener son travail à bout. Sans subir les pressions de la présidence, de députés Nidaa ou de médias trop souvent à la botte d'hommes d'affaires de l'ancien régime, qui ne rêvent que d'une seule chose, continuer à couler des jours tranquilles au pays du Jasmin et derrière des murs pour ne pas voir le pays réel qui gronde.

* Wajdi Limam est chercheur, militant associatif et cofondateur de l'Union pour la Tunisie

Personne ne peut être contre la réconciliation en Tunisie. Il s'agit ici d'un faux débat, qui biaise toute l'argumentation politique qui va s'ensuivre. Bien entendu, nous sommes pour que les Tunisiens puissent vivre dans un pays apaisé, sans avoir à se haïr. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit.La fuite de Ben Ali, si elle a permis à des milliers de réfugiés politiques de rentrer en...

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