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Moyen Orient et Monde

Comment venir à bout de l’État islamique

Jusqu’à présent, notamment grâce à l’efficacité des forces kurdes qui sont très majoritairement sunnites, l’État islamique a perdu 30 % du territoire qu’il contrôlait il y a un an. AFP Photo/Marwan Ibrahim

Le groupe État islamique (EI) attire l'attention du monde entier par ses sinistres vidéos de décapitations, la destruction gratuite d'antiquités et son utilisation habile des médias sociaux. Il occupe une grande partie de l'est de la Syrie et de l'ouest de l'Irak, il a proclamé un califat basé à Raqqa en Syrie et attire des jihadistes de toute la planète.
Le président (américain Barack) Obama considère qu'il faut contenir l'État islamique pour finalement en venir à bout. Il a nommé pour cela le général John Allen à la tête d'une coalition d'une soixantaine de pays qui a recours à des frappes aériennes, aux forces spéciales et des actions de formation. Certains de ses critiques voudraient qu'il dépêche davantage de troupes américaines, d'autres disent que les États-Unis devraient adopter une doctrine d'endiguement. Dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle américaine, certains candidats voudraient qu'il y ait davantage de soldats sur le terrain. Ils ont raison, mais il devrait s'agir d'Arabes sunnites et de Turcs – pas d'Américains. Cela en dit long sur la nature de la triple menace à laquelle sont confrontés les États-Unis et leurs alliés.
L'État islamique, c'est trois choses : un groupe terroriste transnational, un proto-État et une idéologie politique aux racines religieuses. C'est en quelque sorte el-Qaëda qui lui a donné naissance après la malencontreuse invasion de l'Irak par les États-Unis. Et à l'image d'el-Qaëda, il attire les sunnites islamistes extrémistes. Mais il est allé plus loin en créant un califat, et il concurrence maintenant el-Qaëda. Le fait qu'il contrôle tout un territoire lui donne une légitimité et accroît sa capacité à mener un jihad offensif, non seulement contre les infidèles, mais aussi contre les musulmans chiites et soufis. Pour l'État islamique, ces derniers ne valent pas mieux que les mécréants et méritent l'excommunication (takfir). Il exalte la pureté de l'islam du XVIIe siècle, mais n'hésite pas à utiliser les médias du XXIe siècle. Il utilise efficacement les médias sociaux et les vidéos pour attirer à lui une minorité de musulmans (avant tout des jeunes venus d'Europe, d'Amérique, d'Afrique et d'Asie) qui ont d'énormes problèmes d'identité. Insatisfaits, beaucoup d'entre eux se tournent vers le « cheikh Google » où les attendent en embuscade les recruteurs de l'EI. Ce dernier compterait aujourd'hui plus de 25 000 combattants étrangers. Ceux qui se font tuer sont rapidement remplacés.
Cette triple nature de l'État islamique crée un dilemme politique. D'un côté, il faut utiliser la puissance militaire pour le priver d'un territoire qui lui sert de sanctuaire et lui confère une certaine légitimité. De l'autre, si les Américains interviennent trop fortement, cela renforcera son influence et facilitera son recrutement international.
C'est pourquoi les forces sur le terrain doivent être sunnites. La présence de soldats étrangers ou chiites ne fait que renforcer la propagande de l'État islamique qui se dit entouré et menacé par les infidèles. Jusqu'à présent, notamment grâce à l'efficacité des forces kurdes qui sont très majoritairement sunnites, l'État islamique a perdu 30 % du territoire qu'il contrôlait il y a un an. Mais déployer au sol davantage de forces sunnites suppose une formation, un soutien, du temps, ainsi que des pressions sur le gouvernement central irakien dominé par les chiites pour qu'il adopte une attitude moins sectaire.
Après la débâcle en Libye (où l'EI soutient les milices jihadistes et a annoncé la création de trois « provinces distantes »), on peut comprendre la réticence d'Obama à renverser le régime du président syrien Bachar el-Assad, si c'est pour voir l'EI élargir encore son territoire et commettre des atrocités génocidaires contre les nombreux Syriens qui ne sont pas sunnites. Assad est en effet l'un des meilleurs arguments qui permettent à l'EI de recruter. Beaucoup de jihadistes étrangers sont attirés par la perspective de renverser un tyran alaouite qui tue des sunnites. Les diplomates américains doivent persuader les pays qui soutiennent Assad (la Russie et l'Iran) de le remplacer sans démanteler ce qui reste de la structure de l'État syrien. Une zone d'exclusion aérienne et une zone protégée au nord de la Syrie pour les millions de personnes déplacées pourraient renforcer la position américaine sur l'échiquier diplomatique. Une aide humanitaire massive aux réfugiés (ce que l'armée américaine sait très bien faire) améliorerait considérablement l'image des États-unis.
Pour l'instant, le financement et la coordination de leurs stratégies de rayonnement culturel et d'influence diplomatique sont inadéquats. Pourtant nous savons que la puissance militaire ne suffit pas, notamment pour récupérer le cyberterritoire occupé par l'État islamique. Cela pourrait se faire en développant par exemple la capacité à désactiver les « botnets » (réseaux de machines malveillantes sur Internet) et à contrer les comptes hostiles sur les médias sociaux. Même si les États-Unis et leurs alliés parviennent à vaincre l'État islamique dans les années qui viennent, il faut être prêt à voir renaître sur ses cendres un autre groupe sunnite ultraviolent. Sortir d'une période d'instabilité révolutionnaire telle que celle que traverse le Moyen-Orient exige du temps. Cette instabilité tient notamment à la fragilité des frontières issues de la colonisation, à l'arrêt de la modernisation, à l'échec du printemps arabe et au sectarisme religieux exacerbé par la rivalité entre l'Arabie saoudite dirigée par des sunnites et l'Iran dirigé par des chiites.
En Europe, les guerres de religion entre catholiques et protestants ont duré presque un siècle et demi. Elles n'ont cessé qu'en 1648 avec les traités de Westphalie. L'Allemagne avait alors perdu le quart de sa population (au cours de la guerre de Trente-Ans). À cette époque, les coalitions étaient d'une grande complexité, la France catholique soutenant les protestants hollandais contre les Habsbourg catholiques pour des raisons dynastiques plutôt que religieuses. On peut s'attendre à la même complexité dans le Moyen-Orient d'aujourd'hui. Dans une région où les intérêts des États-unis touchent à des domaines aussi divers que l'énergie, la sécurité d'Israël, la non-prolifération nucléaire et les droits humains, les dirigeants américains doivent prendre en compte le long terme. Il leur faudra adopter une stratégie flexible et pragmatique faite d'endiguement et de pressions –, ce qui passera par le soutien à différents gouvernements et à différents groupes selon les circonstances.
Que l'Iran adopte ou pas une politique plus modérée, ses intérêts vont parfois coïncider avec ceux des États-Unis et parfois s'y opposer. Le récent accord nucléaire pourrait être l'occasion d'une plus grande flexibilité. Néanmoins, pour en profiter, la politique moyen-orientale des États-Unis devra être plus sophistiquée qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz.
© Project Syndicate, 2015.

Le groupe État islamique (EI) attire l'attention du monde entier par ses sinistres vidéos de décapitations, la destruction gratuite d'antiquités et son utilisation habile des médias sociaux. Il occupe une grande partie de l'est de la Syrie et de l'ouest de l'Irak, il a proclamé un califat basé à Raqqa en Syrie et attire des jihadistes de toute la planète.Le président (américain Barack)...

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