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Culture - En librairie

« L’Italien », c’est aussi un beau gosse tunisien...

« Al-Tiliani » (L'Italien ) de Chokri al-Mabkhout (Dar al-Tanwir- 342 pages), prix international du roman arabe (Booker) 2015, consacre les évènements en Tunisie, de l'ère Bourguiba au printemps arabe, en passant par la destitution de Ben Ali. Un roman-dénonciation déjà considéré comme sulfureux par les Émirats arabes unis où il est interdit de distribution. Des États qui pourtant financent cette même promotion romanesque...

Le romancier tunisien Chokri al-Mabkhout, prix Booker arabe pour « al-Tiliani ».

Reflet d'une société en mutation et quête d'identité (tout comme nous...) est ce livre-scan autocritique et sans complaisance, où s'étripent conservatistes et modernistes, progressistes et islamistes, détenteurs des droits d'une femme émancipée et tenants rigides des voiles noirs vouant le beau sexe aux diktats des machistes, à l'ignorance et aux tâches ménagères. Dernière illustration de ce phénomène de contradiction, la sauvage tuerie de Sousse qui n'a pas fini de faire des vagues et des remous d'indignation et de controverses.

Pour le dire, en toute audace, précision et sans ménagement, en un souffle presque clinique, Chokri al-Mabkhout, docteur ès lettres et recteur de la faculté de la Manouba en Tunisie. Premier roman à l'âge de la maturité (53 ans) pour un authentique coup de maître chaleureusement salué par le public et la presse. Du moins de la part de ceux qui parlent de rationalisme et de pacifisme, et qui aspirent à la liberté et à une évolution positive.

Nouvel auteur auréolé d'un prix prestigieux, certes, mais qui a néanmoins, tout au cours d'une longue carrière académique, été tenté par la poésie et toute sorte de prose, allant de la narration au pamphlet, en passant par l'essai, l'analyse et les textes journalistiques. Écriture, par conséquent, plurielle, qui a déjà tâté plus d'un champ, frayé avec plus d'un style et qui s'épanouit en ces pages dans une expression arabe lexicalement riche, nourrie d'un langage à la fois châtié, moderne et appartenant à la Tunisie profonde.

Portraits bien brossés, personnages percutants, jaillis du cœur même d'une société aux innombrables contradictions (comme d'ailleurs, hélas, la plupart des sociétés arabes qui n'ont trouvé encore ni cohérence ni cohésion), situations simples ou scabreuses rapportées avec franchise (un trio sexué, désirs qui secouent corps et esprits...), savoureuses descriptions pour des scènes habilement reconstituées dans leurs détails les plus croustillants (ou les plus ardus), dialogues existentiels et philosophiques – avec entretiens idéologiques sur Mao et Lénine – menés sans lourdeur.
Tout cela, adroitement agencé, coulé dans une expression jamais morne, s'insère dans la fluidité d'une histoire bien troussée qui captive le lecteur tel un palpitant thriller. Car mystères et énigmes ne livrent pas facilement leur clef et sont distillés au compte-gouttes.

Qui est cet intrigant Italien qui fait le titre de l'ouvrage ? En Tunisie, par sobriquet, tout beau gosse est désigné par l'Italien ! Et c'est de ce surnom qu'est affublé le héros de l'ouvrage. De son vrai prénom Abdel Nasser, en ouverture du roman, aux funérailles de son père, dans une consternation générale, il donne une raclée à l'imam qui l'accompagne. Et voilà le jeune homme gauchiste en prise ouverte et violente avec l'ordre clérical musulman, à l'image d'un pays déchiré où il tente de se trouver une place au soleil.
Une vie entre deux femmes. Zeina l'intellectuelle (violée dans son enfance par son père), avec des discussions interminables sur l'être et le néant, et sa cousine Najla aux secrets d'alcôve troublants, incluant des scènes torrides et trop explicites pour un roman arabe. Une carte du tendre à trois, très Simone de Beauvoir, où sexe et amour ne riment pas forcément avec toujours, surtout dans un environnement délétère sous la menace de l'étouffante montée islamiste.
Par-delà remous sociaux, troubles politiques et intermittences du cœur, incertains et tâtons, en astucieux flash-back, les souvenirs affleurent, les combats se multiplient, mais le bonheur est loin d'être un oiseau qu'on attrape facilement, surtout quand tradition obsolète, frustration, conflits et hypocrisie ont la part belle en ce pays ballotté entre des forces aussi âprement antagonistes.

Dans ce réquisitoire sans concession à un pays arabe de l'Afrique du Nord, le roman de Chokri al-Mabkhout apporte un éclairage neuf. Aux lecteurs de la région bien entendu, mais aussi et surtout aux étrangers qui auront l'occasion de le lire dans sa version anglaise. Traduction offerte gratis avec ce prix doté de 50 000 US$, ce qui n'est pas bagatelle pour une fiction tirée de la réalité (« Ce n'est pas une autobiographie », se défend à juste titre l'auteur) qui a remporté la victoire parmi 180 ouvrages en lice, pour plus de 15 pays. À noter, en compétition parmi les finalistes, Étage 99 de la Libanaise Jina Fawaz al-Hassa.

Heureux, sans nul doute, de son triomphe et de sa reconnaissance de romancier, Chokri al-Mabkhout annonce d'ores et déjà une suite à son récit. Une suite attendue de pied ferme, car le dernier mot n'a pas encore été dit dans ce pays berceau de la civilisation carthaginoise. Ni dans les pays voisins, d'ailleurs. La littérature n'a-t-elle pas souvent des dons de voyance, de prémonition, de clarification et d'accélération aux voies de la liberté et de l'épanouissement ?

*« Al-Tilyani » (L'Italien) de Chokri al-Mabkhout (Dar al-Tanwir- 342 pages) est disponible à la librarie al-Bourj.

 

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