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Liban - Société

Quand la délinquance juvénile change de visage...

Le phénomène ne se limite plus aux adolescents issus de milieux défavorisés, et les délinquants sont de plus en plus jeunes et violents. Le psychanalyste David Sahyoun répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

La délinquance juvénile est le phénomène qui traduit le mieux la difficulté d’adaptation d’un nombre grandissant de jeunes individus à la vie en société. Photo Bigstock

Presque tous les pays du monde accordent un intérêt particulier aux mineurs en mettant leur bien-être et leur protection parmi les principales priorités de leurs plans de développement. Au Liban, la lutte contre la délinquance juvénile se heurte chaque jour à des obstacles qui compromettent son efficacité. Les beaux discours, les rapports d'experts et des lois souvent inappliquées dissimulent bien mal cette réalité. Notre société est victime d'une violence qui ne cesse de progresser, entraînant dans son infernale spirale des mineurs toujours plus jeunes.
La délinquance juvénile est sans aucun doute le phénomène qui traduit le mieux la difficulté d'adaptation d'un nombre grandissant de jeunes individus à la vie en société. Si les inadaptés sociaux sont nombreux, ils n'accèdent au rang encore moins glorieux de délinquants qu'après avoir commis des actes juridiquement répressibles. Les actes délictueux commis par les mineurs sont variables, mais les plus fréquents sont évidemment les vols qui représentent, selon les statistiques consolidées de divers services de sécurité, environ 70 % des cas.
Parmi les autres délits fréquemment commis, les services de sécurité citent les coups et blessures volontaires. Il faudrait sans doute ajouter à cela la drogue et la prostitution qui tendent, ces dix dernières années, à émerger du lot des délits commis par les jeunes, sans doute en raison de la culture de l'enrichissement facile qui s'est enracinée chez de nombreux adolescents. Grâce au progrès des sciences sociales (sociologie et psychologie notamment) et médicales (psychiatrie), il est aujourd'hui pratiquement établi qu'un délinquant n'est devenu ce qu'il est que parce que certains facteurs l'y prédisposaient.

La délinquance, un symptôme
David Sahyoun, psychanalyste, chargé d'enseignement à la faculté des lettres et des sciences humaines de l'USJ, définit comme suit un adolescent en conflit avec la loi : « Le terme délinquant désigne un adolescent qui commet des agissements nuisibles à autrui et passibles de sanctions », déclare-t-il. « Il ne s'agit pas d'un enfant. Il est important de le préciser, étant donné l'outrance de certains propos lus ou entendus à propos d'enfants agités ou instables. » En psychanalyse, la délinquance est considérée comme un symptôme, c'est-à-dire un signe extérieur, une sorte de langage visible provenant d'un psychique inexploré, selon Dr Sahyoun, qui poursuit : « Le symptôme indique l'existence d'un conflit psychique non résolu, ignoré de l'individu lui-même. Il nous permet de rechercher la vérité enfouie, qui explique la conduite du délinquant. » Des facteurs sociaux et personnels combinés favorisent la délinquance. « Il faut retenir deux catégories causales : externes, bien visibles, et internes, cachées au fond du psychisme non seulement du délinquant, mais aussi de ses parents », explique le psychanalyste.
La « dissociation familiale » et la « déficience parentale » figureraient parmi les principales causes de la transformation d'un enfant innocent en délinquant : absence de sécurité familiale, parents immatures, laxistes, alcooliques, violents. À cela, il faut ajouter d'autres facteurs en rapport avec la situation socio-économique du jeune (précarité, misère, promiscuité...) ou culturelle (ignorance, analphabétisme, manque d'éducation, dogmatisme rigide...)
Il est entendu que ces facteurs, aussi importants soient-ils, ne sont pas toutefois déterminants. Et pour cause : tous les adolescents vivant dans de telles conditions ne deviennent naturellement pas des délinquants.
David Sahyoun insiste sur le fait que « la théorie d'attribution de la pauvreté des milieux défavorisés comme cause de la délinquance est aujourd'hui contredite par l'apparition de ce phénomène dans les milieux les plus privilégiés ». Certains événements rapportés par les médias libanais sont d'ailleurs là pour le prouver.

L'inexorable retour à l'enfance
Pour mieux comprendre les mécanismes qui peuvent mener à la délinquance, il faudrait plutôt réfléchir sur les causes endogènes, d'ordre psychique, qui font toute la différence. Les causes exogènes, elles, leur servent surtout d'étayage.
Techniquement, la délinquance est « la conséquence d'un échec dans la construction, dans la constitution d'un moi suffisamment autonome et fort pour affronter avec réalisme les difficultés qui se présentent. Cet échec engendre une faille que le délinquant tente de combler à travers ses actions », explique David Sahyoun. Dès lors, il est indispensable, selon lui, de remonter à l'enfance du délinquant, d'étudier la nature du lien qui le lie aux figures parentales, d'examiner l'étape du complexe d'Œdipe...
« L'adolescence est une période qui récapitule la petite enfance. Elle peut être présentée comme le moment où les conflits non résolus de l'enfance ressurgissent et sont susceptibles, cette fois-ci, de connaître une résolution plus satisfaisante. Le délinquant, lui, n'y parvient pas. Il demeure dépendant des motions pulsionnelles infantiles liées aux images parentales. Or, à l'adolescence, on doit abandonner les liens d'amour œdipien de l'enfance pour les remplacer par d'autres, offerts par un nouvel univers socioculturel que le jeune découvre.
Au terme de l'adolescence, on doit parvenir à s'accepter comme un individu qui a des limites. Car c'est justement grâce à ses limites qu'un être humain peut évoluer, créer, faire des projets et établir des relations, construire en se construisant. L'adolescent délinquant est cet être qui n'a pas pu accomplir ce processus de maturation. La seule voie qu'il parvient à emprunter pour rompre les liens œdipiens trop intenses de l'enfance, pour provoquer la séparation avec les images parentales infantiles, est de recourir à des agissements délinquants. Mais, à travers ses actes délinquants, l'adolescent lance un appel à la société afin qu'elle l'aide à se réparer », explique-t-il encore, en précisant qu'on ne peut pas parler de délinquance juvénile sans se pencher sur le lien affectif parental. « Les recherches dans ce domaine ont permis de dégager certains traits de la personnalité des parents des adolescents délinquants », souligne le psy.
« Ce sont des personnes elles-mêmes fragiles, immatures et mal à l'aise dans leur fonction parentale. Ne sachant pas vraiment comment l'assumer, ces parents sont trop laxistes ou trop autoritaires. La mère exerce une emprise de type pulsionnel sur l'adolescent et vit comme un rejet les mouvements d'émancipation ou de séparation de l'adolescent », affirme David Sahyoun, selon qui « l'amour de ces parents est un amour possessif : l'adolescent n'est pas aimé pour lui-même. Il il est plutôt un objet leur appartenant et qui doit leur rester soumis ».
« On ne naît pas délinquant, on le devient, rappelle le psychanalyste, mais en chacun de nous, un petit délinquant peut sommeiller. » « Il est maintenu dans cette zone sombre de notre psychisme tant que nous intériorisons la conscience morale et le respect de la loi symbolique. La mise à l'épreuve de la force de cette intériorisation se présente lorsque l'environnement socioculturel se délite (comme durant les guerres ou la période actuelle de déliquescence que nous vivons) et que les individus sentent qu'ils peuvent s'affranchir du respect de la loi », conclut-il.

Presque tous les pays du monde accordent un intérêt particulier aux mineurs en mettant leur bien-être et leur protection parmi les principales priorités de leurs plans de développement. Au Liban, la lutte contre la délinquance juvénile se heurte chaque jour à des obstacles qui compromettent son efficacité. Les beaux discours, les rapports d'experts et des lois souvent inappliquées...

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