Lors de son discours sur l'état de l'Union prononcé en 2002 devant le Congrès américain, le président George W. Bush avait utilisé la célèbre formule « axe du mal » pour parler de l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord. Depuis lors, les États-Unis n'ont pourtant pas eu les mêmes relations avec chacun de ces pays. Les différences de traitement sont très instructives.
Bush et ses conseillers partisans de la ligne dure estimaient que seule la force ou un « changement de régime » pouvait empêcher ces États « voyous » de mener des actions terroristes ou de développer des programmes d'acquisition « d'armes de destruction massive ». C'est pour cette raison ou sous ce prétexte que les États-Unis ont envahi l'Irak en mars 2003, avec pour conséquence un pays en situation de guerre civile quasi permanente depuis plus d'une décennie, un gouvernement central impuissant et, aujourd'hui, l'émergence de l'État islamique.
En Iran, le président de l'époque, le modéré Mohammad Khatami, avait avancé des propositions pouvant être considérées comme raisonnables pour limiter le programme nucléaire du pays. Mais Bush et son équipe ont préféré exercer des pressions sur l'Iran au moyen de sanctions et de menaces militaires, et tout espoir de négociation s'est évanoui lorsque Mahmoud Ahmadinejad a succédé à Khatami en 2005. Ce n'est qu'avec l'arrivée au pouvoir d'un autre modéré, le président Hassan Rohani, que l'espoir d'une solution négociée a pu à nouveau être envisagé.
Fort heureusement, le président américain Barack Obama a su saisir les occasions qui se présentaient à lui. En effet, l'accord récemment conclu avec l'Iran, faisant suite aux ouvertures diplomatiques avec Cuba et la Birmanie, devrait inciter ceux qui parlent du déclin américain à reconsidérer leur point de vue.
Mais qu'en est-il de la Corée du Nord, le dernier membre de ce fameux axe du mal ? Pour l'administration Bush, l'accord-cadre signé à Genève en 1994 entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et les États-Unis, qui prévoyait le gel du programme nucléaire nord-coréen et l'abandon progressif de ses réacteurs modérés au graphite, fut perçu comme un acte d'apaisement « naïf » de la part de l'administration Clinton. La nouvelle administration Bush a préféré suivre une ligne dure dans le cadre notamment des pourparlers à six entamés en 2003, comprenant les États-Unis, la Chine, la Russie, le Japon et les Corées du Nord et du Sud, exacerbant d'autant les pressions. Si cet objectif n'a jamais été publiquement déclaré, il paraît certain que les principaux responsables politiques américains visaient un changement de régime.
Mais alors que l'administration Bush maintenait une ligne dure à l'égard de l'Iran, elle a dès 2006 modifié son approche envers la Corée du Nord et cherché à conclure un accord – sans doute en raison du premier essai nucléaire de la RPDC mené en octobre de la même année. Un tel accord, finalement conclu lors de la cinquième série des pourparlers à six en février 2007, n'a jamais été mis en œuvre à cause du refus de la Corée du Nord d'accepter un protocole de vérification.
Lorsque Barack Obama est entré en fonctions en janvier 2009 et a offert de « tendre la main » aux États « voyous » de Bush, les optimistes ont espéré qu'une dénucléarisation négociée de la Corée du Nord était envisageable. Malheureusement, la RPDC est depuis cette date revenue à trois reprises sur ses engagements : elle a mené un deuxième essai nucléaire en mai 2009 ; lancé un satellite en 2012 au mépris des résolutions 1718 et 1874 du Conseil de sécurité des Nations unies; et effectué un troisième essai nucléaire en février 2013. Compte tenu des menaces répétées du régime nord-coréen de plonger des objectifs américains, de Hawaï à Washington, dans une « mer de feu », il est difficile de rester optimiste.
Quels enseignements les décideurs américains peuvent-ils tirer des relations avec les trois pays de « l'axe du mal » depuis 2002 ? Premièrement, chercher à obtenir un changement de politique fait plus de sens que viser un changement de régime. L'administration Bush a obtenu un changement de régime en Irak, mais à un coût astronomique que les protagonistes n'ont pas fini de payer. Par contre, les objectifs d'Obama concernant l'Iran, axés sur la dénucléarisation, étaient modestes et ont porté leurs fruits.
Quelles en sont donc les implications dans le cas de la Corée du Nord ? À la lumière des tactiques passées de négociation du régime de Kim Jong-un, il est compréhensible qu'Obama soit réticent à lancer une nouvelle initiative diplomatique et fondé à penser que des négociations avec la Corée du Nord fourniront des munitions à ses opposants politiques pour torpiller tout accord avec l'Iran.
Il est donc probable que l'approche attentiste prévale. Il n'en reste pas moins qu'escompter un effondrement de la Corée du Nord est une stratégie de changement de régime par défaut – et que le coût d'un effondrement chaotique et violent pourrait être terriblement élevé. Les craintes liées à une telle évolution expliquent la passivité de la Chine en ce qui concerne son client nord-coréen.
Mais le temps n'est pas du côté des Américains. Le régime de Pyongyang continue à renforcer ses capacités nucléaires et à développer ses missiles balistiques à longue portée (déjà en mesure de frapper la côte ouest américaine). En bref, le pays devient une menace de sécurité directe pour les États-Unis.
Par conséquent, les responsables politiques américains devraient n'avoir que des objectifs limités en ce qui concerne les relations avec la Corée du Nord et comprendre qu'ils ne pourront être atteints qu'en contrepartie d'avantages économiques pour le régime de Kim Jong-un. La décision prise par la Libye en décembre 2003 d'abandonner l'option nucléaire et l'accord conclu par l'Iran cette année ont tous deux été possibles pour cette raison.
Bien entendu, la Corée du Nord n'est pas la Libye ou l'Iran. Mais son orientation vers une économie du marché ces dernières années fait qu'elle n'est pas non plus la nation ermite qu'elle était dans les années 1950. En fait, au début des années 2000, plus des quatre cinquièmes du revenu moyen d'un ménage nord-coréen provenaient de gains non officiels issus d'échanges commerciaux. Dans le même temps, le régime dépend des taxes sur les échanges internationaux pour assurer sa survie.
Le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, n'est pas le réformateur qu'était l'ancien dirigeant chinois Deng Xiao Ping. Mais son régime ressemble chaque jour un peu plus au régime chinois, inexorablement tiré par les forces du marché. Cette évolution devrait changer le contexte dans lequel Kim Jong-un calculera les coûts et les bénéfices du programme nucléaire nord-coréen. Les pays occidentaux devraient de leur côté faciliter ce changement d'évaluation.
De plus, le fait que les États-Unis, la Chine et la Russie coopèrent à l'accord sur le nucléaire iranien pourrait avoir son utilité. En particulier, la position du président chinois Xi Jinping concernant le programme nucléaire nord-coréen est plus proche de celle des États-Unis que de celle de tous ses prédécesseurs. Compte tenu de la dépendance économique de la Corée du Nord envers la Chine – qui représente près de 90 pour cent de ses échanges commerciaux actuels –, il est essentiel de tirer parti de cette convergence politique.
Il faudrait pour ce faire renoncer à la « patience stratégique » et initier des contacts informels avec la Corée du Nord pour évaluer les intentions de Kim Jong-un. Compte tenu de la volatilité du régime nord-coréen, la patience n'est pas une vertu.
© Project Syndicate, 2015.
Traduit de l'anglais par Julia Gallin
Qui se ressemble s'assemble !
15 h 22, le 07 août 2015