Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

II - Les garanties constitutionnelles des libertés religieuses au Liban

Tous les problèmes dans le monde d'aujourd'hui relatifs à la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel sont vécus au quotidien au Liban, avec une expérience séculaire cumulée et des aménagements constitutionnels, juridiques et socioculturels avec des niveaux positifs et négatifs d'effectivité (L'Orient-Le Jour, 15 juillet 2015).
Les articles 9 et 10 de la Constitution, fruits d'une tradition de plusieurs siècles, reconnaissent aux communautés le droit de gérer leur statut personnel (art. 9) et d'avoir leurs écoles « sous réserve des prescriptions générales sur l'instruction publique édictées par l'État » (art. 10). Ces articles, en continuité avec une longue tradition ottomane de plus de quatre siècles de gestion pragmatique du pluralisme religieux et culturel dans l'Empire ottoman, sont en parfaite conformité avec la philosophie du droit en islam. D'une part, le droit musulman est personnel, en ce sens qu'il n'applique pas aux non-musulmans les mêmes prescriptions que pour les musulmans et reconnaît en conséquence l'éventuelle existence dans certains domaines du pluralisme juridique en société, à la différence de la tradition juridique occidentale.
Il s'agit, non pas de renoncer au fédéralisme personnel, mais d'aller jusqu'au bout de quatre au moins de ses implications normatives :
1. Il faudra d'abord rendre le fédéralisme personnel égalitaire. Il est égalitaire au Liban, c'est-à-dire en cas de conflit entre deux statuts personnels, aucun statut ne prédomine sur l'autre. Dans les autres pays arabes, en cas de conflit de lois de statut personnel, c'est l'islam qui est considéré d'ordre public. On relève des protestations en Égypte et ailleurs pour que les statuts personnels soient égalitaires.
2. Il faudra aussi moderniser le fédéralisme personnel en le rendant ouvert. L'arrêté 60 LR du 13 mars 1936 du temps du mandat français prévoyait la création d'une communauté de droit commun. Cela existait aussi en ex-Yougoslavie et à Chypre, ce qui implique la possibilité de ne pas être membre d'une communauté.
3. Il faudra aussi dans le fédéralisme personnel une instance supérieure de régulation. Dans le cas du Liban, c'est la Cour de cassation qui tranche en dernier ressort.
4. Il faudra aussi développer dans des politiques publiques un espace public neutre, transcommunautaire, qui n'est pas anticommunautaire, du fait que l'appartenance à une communauté n'est pas nécessairement moins légitime que l'appartenance à un parti ou à un syndicat.

Plus que la reconnaissance : le respect
Les violations ou des fois le déficit dans la garantie des libertés religieuses au Liban résident dans les trois faits suivants : l'inexécution de l'arrêté 60 LR du 13 mars 1936 du Haut-Commissaire de Martel, la communautarisation de l'enseignement en dépit des conditions législatives normatives par le canal du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, et l'évasion légale par rapport aux régimes communautaires du statut personnel et du droit successoral.
Les principales dispositions contraires aux droits fondamentaux sont : les empêchements de mariage pour différence de religion ou de confession, les discriminations fondées sur le sexe ou la religion, et des pratiques devant des tribunaux communautaires.
Le 4/2/2015, 54 contrats de mariage civil conclus au Liban, dont 27 devant le notaire Joseph Béchara, sont à l'étude devant le Conseil des ministres. L'adoption d'un statut civil facultatif implique des changements partiels dans l'aménagement de la participation politique, surtout au niveau de la représentation électorale.
En outre, dans certaines pratiques sociales, il y a violation du « respect » (art. 9 de la Constitution). Le respect est mutuel, sinon il devient imposition. Tel est le cas dans des situations, certes fort restreintes au Liban aujourd'hui, où, dans certaines zones, on relève des violations incompatibles avec le caractère absolu de la liberté de croyance.
Nombre de notions sont utilisées pour désigner la règle du quota : discrimination positive, affirmative action, action positive, action correctrice, inégalité compensatoire... Le régime de la parité islamo-chrétienne (munâsafa) dans la représentation, adopté dans l'Accord d'entente nationale de Taëf et en vertu de l'amendement constitutionnel du 21/9/1990, vise à consolider le caractère islamo-chrétien du Liban et à mettre fin à des polémiques démographiques inopérantes dans un pays où toutes les communautés sont des minorités.
Les tribunaux, saisis de recours en matière de liberté d'expression sur des problèmes religieux, ont toujours défendu la liberté de croyance et d'expression.
Le nouvel article 19 de la Constitution accorde aux chefs des communautés reconnues légalement le droit de saisine du Conseil constitutionnel sur certaines questions en rapport avec les art. 9 et 10, dans le but de protéger encore davantage les libertés religieuses.

Clientélisme forcené sous couvert du quota
Dans un pays de dix-huit communautés religieuses officiellement reconnues et qui jouit de traditions séculaires de conflit et de consensus, il n'y eut jamais une « querelle de l'école » en matière de laïcité scolaire, d'enseignement religieux à l'école ou de la place scolaire de la religion. Il y eut des moments hautement polémiques et conflictuels, mais le débat a souvent été vite circonscrit à sa dimension éducative. Il n'en découle pas moins que la problématique de la religion à l'école est centrale au Liban en vue de la consolidation de la paix civile à travers une connaissance mutuelle, authentique et sans stéréotypes, des religions et, plus généralement, la contribution des religions à une culture de paix.
La recherche sur les valeurs communes et partagées islamo-chrétiennes est inopérante, à défaut d'un travail plus approfondi sur la hiérarchie des valeurs. C'est la hiérarchie des valeurs qui est source de conflit ou de concorde. La recherche et la praxis sur la hiérarchie des valeurs en islam : pas de contrainte en religion, la miséricorde, la piété, la justice..., a régressé dans un relativisme académique au nom d'un culturalisme à la mode.
Le régime parlementaire pluraliste libanais, pluraliste en ce sens qu'en plus des règles fondamentales du régime parlementaire classique, il associe des processus à la fois compétitifs et coopératifs, est perturbé par des pratiques visant, sur le plan intérieur, à camoufler le clientélisme sous couvert de la règle du quota et, dans les rapports régionaux, à rendre le système constitutionnel ingouvernable, au moyen d'abus de minorité, ingouvernable sauf par le recours à une Sublime Porte. Il ne s'agit donc pas de changer la Constitution, mais de l'appliquer en conformité avec le texte et l'esprit.
Le Rapport 2014, pourtant en 118 pages, sur la situation des droits de l'homme au Liban, transmis à la Commission arabe des droits de l'homme de la Ligue arabe, se contente, sous le titre : « Garantie de la liberté de pensée, de croyance et de religion », de reproduire l'article 9 de la Constitution, sans autre explication.
La disposition finale du Préambule de la Constitution : « j. Aucune légitimité n'est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredise le pacte de vie commune », disposition qui prête souvent à des interprétations fantaisistes et tributaires des rapports de force en politique, son interprétation doit être circonscrite aux normes des régimes parlementaires pluralistes régis par les six art. 9, 10, 19, 49, 65, 95 de la Constitution.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Titulaire de la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, Université Saint-Joseph

---------------------------------------

Le texte est un extrait inédit de la communication, 30 p., au séminaire de la Fondation pour la promotion sociale de la culture, Madrid, 3/6/2015.

Tous les problèmes dans le monde d'aujourd'hui relatifs à la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel sont vécus au quotidien au Liban, avec une expérience séculaire cumulée et des aménagements constitutionnels, juridiques et socioculturels avec des niveaux positifs et négatifs d'effectivité (L'Orient-Le Jour, 15 juillet 2015).Les articles 9 et 10 de la Constitution,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut