Peut-on encore aujourd'hui appréhender le problème des libertés religieuses au Moyen-Orient avec des clichés et stéréotypes conventionnels? L'idéologie sioniste persistante de l'espace identitaire, un ancien nationalisme arabe à courte vue surtout en ce qui concerne la gestion du pluralisme religieux et culturel, la transformation des religions en idéologies de mobilisation conflictuelle (ou politologie des religions), le complexe de dhimmitude de chrétiens arabes qui se rangent du côté de tyrans... sont autant de faits qui exigent des approches renouvelées, ciblées, plus authentiques et opérationnelles.
Le séminaire organisé à Madrid, le 3 juin 2015, par le Centre d'études pour le Moyen-Orient de la Fondation pour la promotion sociale de la culture, en coopération avec le ministère espagnol des Affaires étrangères et Casa Arabe, sur le thème Les libertés religieuses au Moyen-Orient, avec la participation de plus de 60 personnes, a surtout ciblé sur deux dimensions constitutionnelles et culturelles de la garantie des libertés religieuses.
1. La dimension constitutionnelle : les allocutions introductives de Joumana Trad, présidente de la Fondation pour la promotion sociale de la culture, d'Eduardo Lopez Busquets, directeur général de Casa Arabe, et de Christina Fraile, directrice adjointe du département des droits de l'homme au ministère espagnol des Affaires étrangères, permettent d'orienter le débat.
On relève que les vocables de confessionnalisme, communautarisme, sectarianisme..., propagés dans le monde par des auteurs influencés par l'idéologie du nation-building et du melting pot à l'américaine ou, pire et inconsciemment, par l'idéologie sioniste de l'espace identitaire, ne sont pas des catégories, ni scientifiques, ni constitutionnelles, ni surtout opérationnelles.
Le dilemme de la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel implique l'existence d'un droit individuel du for intérieur religieux, mais aussi la reconnaissance de droits collectifs et aussi d'un espace public neutre, commun et partagé, où chacun peut croire ou ne pas croire ou croire à sa manière sans porter atteinte à l'ordre public. La liberté de conscience est « un droit et non une option soumise aux alléas des interprétations » (Rosa Maria Martinez de Codes, Espagne).
Le cas du Liban en matière de statut personnel (art. 9 et 10 de la Constitution) implique non pas la renonciation au fédéralisme personnel, mais l'application de toutes ses exigences normatives, dont l'existence d'une issue de sortie (opting out). C'est au Liban seulement qu'en cas de conflit de loi de statut personnel, aucun statut ne jouit d'une prééminence. Par contre, dans les autres pays arabes, il s'agit d'approfondir, à la lumière des jurisprudences judiciaires et constitutionnelles, la notion d'ordre public qui n'est pas l'ordre de la majorité, ni celui de la religion dominante, mais celui compatible avec les normes des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2. La dimension culturelle : c'est l'approche par la foi qui permet désormais de réconcilier les religions. Il faudra distinguer entre foi et religion, la foi étant le questionnement universel de l'homme, questionnement qui n'a ni temps ni lieu, sur la vie, la mort, la souffrance, l'amour, le sens de la vie, etc., avec des réponses multiples et souvent convergentes. « Ce qui s'élève converge », écrit Theillard de Chardin.
Que faire pour contrer les ravages de manipulateurs qui exploitent la religion dans un but de mobilisation conflictuelle et de pouvoir ? Trois perspectives de travail peuvent être dégagées :
1. Fini les recherches à la mode sur l'intégrisme, le fanatisme, le fondamentalisme : ces courants, qui existent certes, sont en grande partie la production d'universités et de médias qui brodent sur les idées en vogue sur le marché ou recherchent le sensationnel facile.
2. Le besoin de recherche – capacitation (empowerment) : l'évolution des recherches en sciences humaines doit s'accompagner d'une évolution dans les mœurs, ce qui implique une plus grande attention sur les bonnes pratiques et les exemples positifs et normatifs. De telles approches permettent de mobiliser les acteurs sociaux (Rafael Palomino, Espagne).
3. Moderniser le patrimoine arabe de gestion du pluralisme religieux et culturel : ce patrimoine, souvent dénigré par des nationalistes à courte vue et par des intellectuels en chambre, est susceptible de modernisation en conformité avec les normes universelles des droits de l'homme (William Warda, Irak).
Antoine MESSARRA
Membre du Conseil
constitutionnel
Titulaire de la Chaire Unesco
d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, Université Saint-Joseph
Prochain article : Les libertés religieuses au Liban
commentaires (2)
ÉTUDES ET SOUHAITS... N'ONT RIEN À FAIRE AVEC LA RÉALITÉ ! L'INTOLÉRANCE ET LA RANCUNE PRÉVALENT ET DE LOIN CHEZ CERTAINS... LE NIER ET L'IGNORER NE SERVENT À RIEN !
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 08, le 15 juillet 2015