L'invitation faite à la France par le Conseil de coopération des pays du Golfe dit combien l'action de notre pays est attendue dans cette région du monde. C'est le moment ou jamais pour la France de se repositionner au Moyen-Orient. À force de fractures, de bouleversements et de crises, la profonde nouveauté des enjeux de la région appelle désormais à un renouvellement tout aussi profond des cadres d'analyse et d'action.
Le premier grand renouvellement qui m'apparaît nécessaire est de refaire du développement économique la toute première priorité des négociations internationales concernant le Proche et le Moyen-Orient. C'est pourquoi je considère que l'idée d'un grand plan économique pour les pays de la région, sous l'égide de la Banque mondiale, doit être mise sur la table. L'exemple de l'Irak montre en effet que si une intervention se limite à l'occupation militaire d'un territoire, sans l'assortir d'une politique de reconstruction et de développement socioéconomique à même de stabiliser le pays, alors le pire est à craindre dès que l'occupant plie bagage. Car laisser un pays s'enfoncer dans la pauvreté, c'est favoriser le développement d'une poudrière, particulièrement pour le Moyen-Orient, qui compte 100 millions de jeunes entre 15 et 29 ans ! Il est donc vital de favoriser le développement économique, non seulement pour le pays lui-même, mais aussi pour ses voisins, qui sont inévitablement impactés en cas d'implosion.
L'instauration de ce plan économique serait aussi bénéfique pour le Moyen-Orient lui-même que pour les pays qui investiraient dans le développement de la région, à l'instar du olan Marshall, qui a favorisé la reconstruction européenne après la Seconde Guerre mondiale. Au moment où la reprise économique s'esquisse en Europe, celui-ci offrirait des débouchés à nos entreprises, tout en favorisant la croissance économique des pays bénéficiaires, qui seraient incités à octroyer à leurs agents économiques nationaux des crédits pour plus d'investissement. La Conférence du développement économique en Égypte, grande conférence internationale pour les investisseurs, qui s'est tenue le 15 mars dernier en présence du président de la Banque mondiale, a déjà démontré la possibilité d'une telle démarche.
Le deuxième grand renouvellement qui m'apparaît nécessaire est la mise en œuvre d'une politique globale de cogestion des flux migratoires. Des millions d'Orientaux et Africains émigrent, notamment vers l'Europe. Nombre d'entre eux sont contraints au départ en raison d'une persécution ethnique ou religieuse. C'est notamment le cas des communautés chrétiennes de la région, qu'il est de notre devoir de protéger. La situation au Liban et en Syrie est insoutenable d'un point de vue moral et humanitaire, mais aussi et surtout du point de vue de la déstabilisation démographique des pays touchés par ces arrivées considérables de migrants. À cet égard, livrer à eux-mêmes une poignée de pays pour prendre en charge l'essentiel de telle ou telle vague de réfugiés, c'est à la fois prendre un risque géopolitique colossal et nier la solidarité évidente de toute l'humanité envers les réfugiés d'où qu'ils proviennent.
Autant la politique de quotas pour l'accueil de tous les demandeurs d'asile proposée par la Commission européenne me paraît irréaliste, autant il est nécessaire de mettre rapidement en œuvre une politique de répartition des réfugiés des régions touchées par les conflits actuels, proportionnellement aux capacités de chaque pays et sous l'égide du Haut-Commissariat pour les réfugiés. Néanmoins, nous devons garder à l'esprit que l'objectif de long terme ne doit pas être borné à cet accueil, qui ne pourra être que limité, en nombre et dans le temps, mais le renforcement économique et institutionnel des pays d'origine des réfugiés, afin qu'ils ne soient pas, à l'avenir, poussés à quitter leurs foyers.
Le troisième grand renouvellement m'apparaissant nécessaire est la mise en place de stratégies d'intervention organisées autour d'une coalition de puissances régionales. D'un côté, lorsque les interventions militaires occidentales de pacification se cantonnent à des frappes aériennes, cela présente le risque d'une évolution chaotique du type libyen. De l'autre côté, les puissances occidentales ne pouvant agir seules dans une région où leur légitimité serait contestée, il est souhaitable que se dégage un leadership arabe dans le cadre de telles interventions.
Il résulte de ces deux observations qu'en cas de crise dans un pays de la région, comme c'est le cas aujourd'hui en Libye, les interventions pourraient s'organiser de la manière suivante : interventions effectuées par une coalition de puissances régionales, telles que l'Égypte ou l'Arabie saoudite, qui seraient à même de mener ces actions; mais, si ces pays le jugent nécessaire, support logistique et de renseignement en provenance des puissances occidentales dans le cadre d'une coalition multilatérale (idéalement sous l'égide des Nations unies), incluant le cas échéant des frappes aériennes.
Ces interventions doivent être effectuées avec prudence, comme le prouve l'enlisement de l'intervention actuelle au Yémen, intervention contestable tant par son nombre de victimes civiles au quotidien que par sa légitimité. En effet, la coalition régionale annoncée s'est rapidement dissoute. L'intervention, aujourd'hui principalement menée par l'Arabie saoudite, laisse penser qu'il s'agit d'une guerre confessionnelle des wahhabites contre les Arabes chiites.
Pour cette raison, la diplomatie française pourrait s'intéresser de plus près au rôle que peut jouer le sultanat de Oman dans la médiation entre sunnites, chiites et wahhabites dans la péninsule Arabique, car ce pays dont la population est majoritairement ibadite dépasse le clivage sunnites-chiites. C'est d'ailleurs le principal intermédiaire entre les acteurs de cette guerre confessionnelle : Saoudiens, Iraniens, Yéménites et Irakiens. La France devrait donc favoriser un partenariat avec Oman, qui est le plus à même de favoriser l'émergence d'une véritable coalition ouverte autour de la péninsule Arabique.
Ce partenariat permettrait par ailleurs à la France de se repositionner en Iran, dont le retour dans le concert des nations est d'ores et déjà à l'ordre du jour. Or, la France a pris un retard considérable et grave avec la puissance perse. La normalisation des relations entre l'Iran et le reste de la communauté internationale est nécessaire à la stabilité régionale.
Si ces trois renouvellements profonds ne seront pas suffisants pour solutionner les problèmes géopolitiques de la région, ils semblent néanmoins pouvoir contribuer à les résoudre sur la durée. Par ces temps de troubles et de fracas, ce serait déjà une source d'espoir pour les populations les plus touchées.
*Sénateur, porte-parole de l'UDI (Union des démocrates et indépendants), ancien ministre