Lena Chédid, authentique princesse de la montagne libanaise, qui s'est envolée vers les étoiles, aurait pu nous dire ceci :
« Mon aïeul, l'émir Haidar Abillamah, a fait planter, au XIXe siècle, des milliers de pins dans le Metn, la région sur laquelle il régnait et qui était devenue une Toscane escarpée. Le pin, résineux imputrescible, symbole de la pérennité de la lignée.
C'est André Malraux qui écrivait que l'architecture était de la culture matérialisée. Les palais Abillamah de Bickfaya, Salima, Kornayel, de Mtein l'incomparable, qu'on les épargne, qu'on ait pour eux des égards, qu'on les sauve, avec leurs mandalouns exquisément chantournés, leurs arcades aériennes, leurs cours à ciel ouvert : c'est le Liban.
Cálderon dit que la vie est un songe. Ce songe fut, pour moi, dès le début, un mauvais rêve. Mon père nous a quittés alors que j'étais une toute petite fille. Plus tard, j'ai épousé un brillant avocat qui est parti bien trop tôt pour pouvoir orienter nos deux enfants. À une amie intime, venue me soutenir, j'ai dit avec une inexprimable amertume : "Tu vois, ma mère et moi, nous sommes de nouveau, deux femmes seules." Deux femmes en butte aux indélicatesses de tous ceux qui n'ont eu aucun scrupule à nous déposséder de nos biens.
Après des moments pénibles, nous nous sommes ressaisis : l'argent, comme les chevaux, revient toujours à l'écurie de ses anciens maîtres. Mais à aucun moment je n'ai refusé la main qu'on tendait vers moi, d'où qu'elle vienne. Qu'on retienne surtout de moi cette leçon de vie chrétienne, moi dont l'ancêtre est enseveli à l'intérieur de l'église Notre-Dame de Bickfaya, bâtie par le frère Bonaccina, à la demande des Abillamah, à un jet de pierre de leur sérail (j'ai donné la mesure de mon engagement chrétien à travers mon action inlassable à la Croix-Rouge libanaise).
Oui, j'ai grandi comme naturellement dans un sérail aux nobles proportions, et j'ai le cœur serré de voir que le Liban est devenu un caravansérail ouvert à tous les coups. Mon dernier vœu est qu'on rende au Liban la cohérence, la dignité, la beauté d'un de nos sérails. »