Alors que le Conseil des ministres était réuni pour discuter de la situation à Ersal et dans son jurd, et pour décider s'il faut ou non demander à l'armée de lancer une offensive dans cette zone, le Hezbollah poursuivait ses opérations militaires et enregistrait de nouvelles avancées.
En quelques heures, les combattants du parti ont ainsi pris le contrôle de 80 km2 de ce jurd, chassant les éléments armés du Front al-Nosra de la colline de Rahoué qui fait face au village de Laboué et de la voie de passage de Darb, par laquelle entraient les voitures piégées destinées à l'intérieur libanais.
Le message ainsi envoyé est clair : le Hezbollah n'acceptera pas de laisser la plaie du jurd de Ersal et de la localité elle-même ouverte, comme un poignard planté dans son dos. Déjà, le secrétaire général du Hezbollah avait été très clair sur le sujet dans son dernier discours en affirmant que le jurd de Ersal (450 km2) est un territoire libanais occupé par des éléments armés jihadistes. Si l'armée ne veut pas assumer ses responsabilités en le libérant de ceux qui l'occupent, la Résistance s'en chargera. La déclaration de sayyed Hassan Nasrallah est intervenue après des propos du ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk à travers lesquels il avait qualifié Ersal de « localité occupée ». Le Hezbollah se demandait donc pourquoi les autorités refusent de donner des instructions claires à l'armée alors que le ministre du courant du Futur considère que les éléments armés installés à Ersal et dans son jurd occupent un territoire libanais ? Il y avait là un mystère et un flou qui poussaient ce parti à douter des intentions réelles des autorités. Car une fois que l'on utilise le terme d'occupation d'un territoire, la phrase qui suit est forcément de trouver les moyens de le libérer...
Le Hezbollah aurait pu laisser traîner les choses et fermer les yeux sur cette zone de non-droit qu'étaient devenus Ersal et son jurd. Mais les développements du terrain syrien au cours des dernières semaines et l'avancée des combattants du groupe État islamique (EI) dans plusieurs secteurs l'ont poussé à réagir rapidement. Face à l'offensive quasiment généralisée menée par les groupes de l'opposition, toutes tendances confondues, et avec la bénédiction et l'appui direct de la nouvelle alliance entre la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite, le Hezbollah est amené à augmenter ses effectifs en Syrie et surtout à se battre sur de nouveaux fronts, éloignés de la frontière avec le Liban. Pour cette raison, il ne peut pas accepter qu'un poignard soit planté dans son dos à partir de Ersal et de son jurd. Il ne s'agit donc pas d'une volonté délibérée de défier les autorités, mais de considérations purement militaires. Les milieux proches du Hezbollah précisent à cet égard que « l'axe de la Résistance » a fixé « des lignes rouges en Syrie », selon lesquelles il n'est pas question d'envisager la chute du régime syrien et donc de sa capitale Damas. Pour cette raison, il est impératif de sécuriser le jurd de Ersal, qui non seulement est important pour l'intérieur libanais parce qu'il coupe les cellules dormantes présentes au Liban de leur prolongement en Syrie, mais il est aussi stratégique pour l'intérieur syrien et notamment pour faire la jonction, par le biais de toute la région du Qalamoun, avec Homs, Damas et le sud du pays. Le Hezbollah qui a déjà réussi à chasser les combattants jihadistes de la région de Qousseir en 2013, qui fait le lien entre la région de Homs et le nord du Liban, et du Qalamoun en 2014, ne peut pas accepter que la poche du jurd de Ersal continue d'être une menace pour ses hommes. Il en a d'ailleurs clairement informé les responsables et ceux-ci en ont discuté pendant deux longues séances du Conseil des ministres... sans parvenir à s'entendre sur la nécessité de donner des instructions claires à l'armée pour qu'elle mène la bataille du jurd.
En réalité, les sources proches du Hezbollah précisent que ce dernier ne se faisait pas beaucoup d'illusions. Un gouvernement qui ne parvient pas à nommer un nouveau commandant en chef de l'armée et un nouveau commandant des FSI, alors que les menaces à la fois militaires et sécuritaires pèsent sur le pays, ne peut pas décider de lancer une offensive contre des combattants jihadistes dans le jurd. D'autant que ces combattants peuvent être considérés par certaines parties comme une force utile pour affaiblir le Hezbollah. Ce dernier sait aussi qu'il existe une décision régionale et peut-être même internationale de le maintenir sous pression à l'intérieur du Liban pour réduire son efficacité en Syrie. Mais cela ne signifie pas qu'il n'a pas le droit de se protéger ou de protéger ses arrières. C'est pourquoi il a entamé la bataille du jurd de Ersal, avançant assez rapidement, alors que le Conseil des ministres fait semblant d'ignorer les batailles qui se déroulent sur le territoire libanais. Au sujet de la localité de Ersal, le Hezbollah n'a jamais eu l'intention d'y pénétrer, étant conscient des susceptibilités confessionnelles qui pourraient en résulter. Mais il fait pression pour que l'armée empêche les combattants jihadistes de comploter et d'agir en toute liberté, sachant aussi que la population de Ersal elle-même, dans sa grande majorité, ne veut plus de ces combattants.
Le Conseil des ministres ne pouvait donc pas ignorer la situation à Ersal et il a demandé à l'armée de réagir pour y maintenir le calme et circonscrire l'influence des combattants jihadistes. Dans le contexte actuel de division politique interne et régionale, il ne pouvait pas faire plus. Le Hezbollah pourrait donc faire le reste.
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17 h 54, le 05 juin 2015