Rechercher
Rechercher

Liban - Les échos de l’agora

Les douleurs cuisantes de la mémoire

Le 24 avril dernier, la République d'Arménie ainsi que tous les Arméniens de la diaspora ont commémoré, avec dignité, le centenaire de la tragédie des massacres de 1915. Quelques jours après, ce fut le tour des victimes oubliées de cette même tragédie d'en faire autant mais à une échelle plus modeste, à savoir les populations syro-araméennes originaires d'Anatolie.

Certes, on a entendu des sons de cloche dissonants et maladroits. Ainsi, on vit flotter des drapeaux de l'actuelle République de Turquie sur des immeubles situés au Liban, par pure provocation islamiste réactionnelle se prévalant du soutien au régime syrien que des partis et des organisations arméniens ont apporté. On a assisté à des tentatives d'assimiler la famine, qui décima le tiers de la population du Mont-Liban suite au blocus imposé par les Ottomans, au génocide des Arméniens. Youssef Mouawad a rappelé, dans ces colonnes, que le terme « génocide » fut créé en 1943 pour qualifier la tragédie arménienne de 1915 en tant que crime de masse prémédité, planifié, décidé, organisé et mis en œuvre de manière systématique. En filigrane, on sentait bien un relent d'inimitié, pour ne pas dire plus, contre tout ce qui est turc et, par extension contemporaine, tout ce qui est musulman. L'actualité du Proche-Orient et l'état quasi hystérique qu'elle génère ne sont pas de nature à faire barrage à de telles dérives.
Mais, au-delà des récupérations populistes et de l'instrumentalisation politique de la commémoration, cette dernière nous met face au mystère de la mémoire, de sa capacité à forger une identité collective, à cultiver une solidarité communautaire et de ses relations difficiles avec le processus de pardon reçu et accordé, pierre angulaire de tout vivre-ensemble.

Pour ceux qui ont tant souffert, on ne peut pas exiger la simple amnésie, ce serait monstrueusement inhumain et constituerait un prolongement du crime lui-même. Les souvenirs des horreurs vécues ou ceux transmis par les victimes des événements sont des processus d'une grande souffrance. La solidarité du groupe est aussi une solidarité dans une douleur partagée, fut-elle due à un récit victimaire fantasmé. C'est pourquoi la reconnaissance des faits par les auteurs ou leurs héritiers est incontournable.

L'Allemagne, à cet égard, s'est montrée exemplaire. Elle a reconnu sa responsabilité directe dans le génocide contre les juifs ; mais elle a également admis sa responsabilité indirecte dans celui des Arméniens, puisque les conseillers du gouvernement ottoman étaient allemands et autrichiens durant la Grande Guerre et qu'ils n'ont rien fait pour dissuader Talat Pacha de mettre en œuvre son entreprise sinistre.
On a également vu comment l'Église de Rome, sous le pontificat de Jean-Paul II, s'est pliée au devoir de mémoire dans trois circonstances symboliques : les excuses présentées au monde musulman pour les Croisades ; les excuses présentées au monde chrétien orthodoxe pour les horreurs de la Quatrième Croisade ; sans oublier la révision de l'erreur monumentale que fut le procès de Galilée. Malgré toutes ces initiatives louables, la mémoire des peuples n'a pas encore été pleinement épurée. La fixation rancunière au passé lointain continue à faire obstacle à des relations sereines entre les protagonistes concernés par ces tragédies.

Qu'en sera-t-il demain en Orient quand s'effondrera la dictature syrienne et qu'elle emportera, dans ses ruines, tout l'ordre ancien qui, depuis le XIXe siècle, enferme les peuples du Levant dans la prison de leurs identités meurtrières ? Certains craignent le pire, rien ne justifie un pessimisme aussi sombre. Néanmoins, il est certain que des débordements auront lieu. Les Syriens seront-ils plus sages que les Libanais ? Sauront-ils, dès le lendemain de la chute du régime, organiser l'épuration de la mémoire par la mise en place d'un long processus de pardon et de réconciliation, fondement et expression du retour du politique au sein d'une société qui en a été privée depuis plusieurs décennies ?

Le 24 avril dernier, la République d'Arménie ainsi que tous les Arméniens de la diaspora ont commémoré, avec dignité, le centenaire de la tragédie des massacres de 1915. Quelques jours après, ce fut le tour des victimes oubliées de cette même tragédie d'en faire autant mais à une échelle plus modeste, à savoir les populations syro-araméennes originaires...

commentaires (2)

IL Y A LES DOULEURS DES MÉMOIRES MALADES QUI PROVOQUENT... ET C'EST TRÈS REGRETTABLE... MAIS IL Y A AUSSI LES DOULEURS DES MÉMOIRES SAINES QUI SE SOUVIENNENT ET QUI VEULENT QUE LA VÉRITÉ LUISE !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 51, le 02 mai 2015

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • IL Y A LES DOULEURS DES MÉMOIRES MALADES QUI PROVOQUENT... ET C'EST TRÈS REGRETTABLE... MAIS IL Y A AUSSI LES DOULEURS DES MÉMOIRES SAINES QUI SE SOUVIENNENT ET QUI VEULENT QUE LA VÉRITÉ LUISE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 51, le 02 mai 2015

  • Une des exigences de ces arméniens, fut une demande de mettre en jugement cette Turquie et se constituer une sorte de douaire ainsi qu’à sa "belle" Petite-Arménie. Ce crédit lui fût octroyé, ajoutant ainsi au registre des dettes de la nation post-ottomane une bonne somme de piastres arméniennes ! Ainsi, pendant que la Petite-Arménie continue à jouer avec son reste d’arméniens, le rôle de la pauvre génocidée, ni son gouvernement n'ose proposer le financement de ce tribunal, ni ses arméniens ne paraissent disposés à mettre la main à la poche et casquer. Et la Petite qui hésite devant ce dilemme : Ou génocidée, ou Rien ! Cette demande pour payer les frais du tribunal contre la Turquie, accroît la tension entre cette ottomane atomisée d'un côté et cette aléatoire Petite-Arménie. Qui fera même paraître une missive dans laquelle elle demande à la Grande Turquie des garanties pour ce financement ! Et son arménien moyen de lancer une grave allocution où il repoussera toute restriction au pouvoir restauré de sa Petite-Arménie ! Avec sa lettre, cet arménien soulève par cette indiscrétion le voile de sa "stratégie", pour poser devant la galerie comme un génie plein de bonne volonté, méconnu et enchaîné dans sa maisonnée…. génocidée. Ce n'est pas la première fois qu'il joue, plein de coquetterie, le rôle d'une âme sensible ! La Turquie ignorera, évidemment, cette Petite-Arménie, et se contentera de traduire de l’ottoman en dialecte arménien sa réponse sèche dans un style typique AKP.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    20 h 31, le 01 mai 2015

Retour en haut