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Moyen Orient et Monde - Reportage

Par un seul mot, le pape a conquis le cœur de tous les Arméniens

Devant les grands dignitaires de la communauté, François a prononcé à deux reprises le terme de « génocide ».

Moment fort de la cérémonie religieuse : le pape entouré du patriarche Nersès Bedros et des deux catholicos Aram Ier et Karékine II. Andreas Solaro/AFP

Par un seul mot, celui de « génocide », prononcé dimanche – à deux reprises – du haut de l'autel principal de la basilique Saint-Pierre, le pape François, qui commémorait par une messe le centenaire de cet holocauste commis par Talaat pacha et le gouvernement nationaliste laïc des Jeunes-Turcs, en 1915, a conquis le cœur de tous les Arméniens, croyants et non-croyants.

« Notre humanité a vécu, le siècle dernier, trois grandes tragédies inouïes : la première est celle qui est généralement considérée comme "le premier génocide du XXe siècle", elle a frappé votre peuple arménien– première nation chrétienne –, avec les syriens-catholiques et orthodoxes, les assyriens, les chaldéens et les grecs », a-t-il dit, citant une déclaration commune de Jean-Paul II et de Karékine I, à Etchmiadzine, siège du catholicossat de tous les Arméniens, le 27 septembre 2001.

« Il a osé », même s'il s'est abrité derrière une déclaration de Jean-Paul II, ont réagi unanimement les milliers d'Arméniens venus des cinq continents pour participer à la messe. Dans la foule, des centaines d'Arméniens du Liban et beaucoup d'arméniens-orthodoxes surpris de se retrouver si simplement place Saint-Pierre. Aux yeux de tous, l'événement fera date et les paroles du pape lui ont conféré une importance historique.
Pour ceux qui l'ont entendu, le pape a parlé sans haine, sans passion, de la voix basse familière qu'on lui connaît, sur le ton du constat. Ses paroles ont été exprimées certainement sans l'hostilité qui exigerait réciprocité et rappel d'ambassadeurs de la part de la Turquie. Ce doit donc être sa fermeté qui a « dérangé ». Pour François, en effet, c'est « l'indifférence générale et collective » devant le crime, qui est impardonnable. Et, a fortiori, la négation têtue et systématique d'une évidence historique.

Prenant le relais du pape, à l'issue de l'office religieux, les deux catholicos venus d'Etchmiadzine en Arménie et d'Antélias, Karékine II et Aram Ier, ont tous les deux réaffirmé, à partir de l'autel central de la basilique, la réalité d'un génocide qui a fait, selon les études les plus récentes, 1,3 million de victimes, et souligné l'importance de sa reconnaissance formelle comme devoir de justice, réparation morale, jalon de droit international.
Assis au premier rang dans la grandeur de la basilique, le président arménien Serge Sarkissian et la ministre arménienne de la Diaspora, Ranouche Hagopian, ont hoché de la tête.
En ce qui le concerne, avec des accents de tribun, Aram Ier a exigé aussi non seulement réparation morale, mais réparation matérielle. C'est-à-dire restitution aux Arméniens de toutes les églises, écoles, terres, et de tous les biens-fonds et villages dont ils ont été spoliés.

Selon les spécialistes de la question arménienne, c'est l'un des grands enjeux de ce problème. Pour la Turquie, reconnaître le génocide de 1915, c'est reconnaître un crime contre l'humanité, c'est-à-dire un crime imprescriptible aux yeux du droit international, lequel, s'il est reconnu, lui créera de sérieux devoirs de réparation. Pour Aram Ier, au contraire, il l'a dit, et le redira sans doute le 24 avril : « La vérité réconcilie. »

Succès total
Le succès total de la journée arménienne au Vatican est dû à une inspiration de génie. Au départ, cet événement préparé de longue date prévoyait que la messe du centenaire soit célébrée par le patriarche des arméniens-catholiques, Nersès Bedros XIX. Toutefois, ce dernier, se rendant aux arguments de son entourage, changea d'idée et, s'en remettant au pape, parvint à conférer à la célébration une dimension « panarménienne » – c'est son expression – d'unité, et un cachet œcuménique.
En effet, non content de réunir à Saint-Pierre de Rome les deux catholicos arméniens, il a également obtenu que saint Grégoire de Narek, le saint Ephrem arménien, soit proclamé Docteur de l'Église universelle. Ce théologien et liturgiste arménien de génie est donc, depuis dimanche, un maître de vie spirituelle pour l'Église tout entière.
Les deux catholicos ont été particulièrement sensibles à un honneur qui, pour certains, est inséparable de l'identité arménienne. Dans la déclaration qu'il avait faite à Saint-Pierre, Karékine II avait cité un historien du Ve siècle, Yeghishé, affirmant que, pour les Arméniens, « le christianisme n'est pas un habit qu'ils revêtent : c'est la couleur de leur peau ». Une image démentie quelquefois par les faits, mais une jolie image quand même : un vieil Arménien arborant l'étoile rouge bolchevique a même été vu dimanche au Vatican !

La place du Liban
Le succès de la journée est certainement dû aux Arméniens eux-mêmes, qui ont su faire cause commune et transcender leurs différences. Mais il y a eu de la place pour le Liban dans ce succès, puisque deux des personnalités qui ont fait l'événement, le patriarche Nersès Bedros et le catholicos Aram Ier, en proviennent.
Plus profondément, c'est au spectacle d'un peuple vivant qu'un non-Arménien pouvait vibrer dimanche. Ceux qui étaient là, confie un entrepreneur membre de la fondation Alliance, qui fait du microcrédit, des incubateurs et des accélérateurs en Arménie, sont « tous les petits-fils de ceux qui ont eu la chance de survivre au génocide ». Ceux qui ont recommencé leur vie sous d'autres cieux, à force de labeur et en usant des dons que leur confère une identité nationale bien particulière.

Ceci dit, on a la nette impression que le temps de la nostalgie est révolu, et que le temps de l'action sérieuse, ou du moins de son désir, est venu. « On ne peut pas continuer à pleurer », aurait lancé François en privé, au cours d'un entretien avec des membres du clergé arménien. Malgré un certain manque d'initiative dû à des décennies de bureaucratie soviétique, malgré l'émergence d'une oligarchie qui se sert de l'Arménie plus qu'elle ne la sert, malgré la tentation du découragement des jeunes, par moments, le désir de dépasser le temps des lamentations est là. Étant passés par le brasier de la souffrance, les Arméniens sont désormais bien placés pour réapprendre à espérer à d'autres peuples victimes de la même « nakba » dans une « troisième guerre mondiale » (dixit François) qui ne dit pas son nom.

 

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commentaires (2)

ET LA HAINE SULTANIQUE...

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 24, le 14 avril 2015

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Commentaires (2)

  • ET LA HAINE SULTANIQUE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 24, le 14 avril 2015

  • Il faudrait que les vrais profiteurs du 2eme genocide pratique en Europe/Allemagne "osent" aussi condamner leurs amis intimes ottomans . Etonnant pour un peuple qui a subit la meme souffrance qu'il ne se solidarise pas avec les armeniens ??? Encore plus etonnant fut le soutien a l'apartheid d'Afrique du Sud .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 22, le 14 avril 2015

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