La visite, hier, du président turc Recep Tayyip Erdogan en Iran dénote d'une situation paradoxale dans laquelle les deux pays en confrontation sur plusieurs dossiers réaffirment leur détermination à renforcer la coopération économique et commerciale. Ce pragmatisme et la volonté de séparer les dossiers semblent révélateurs d'une déconnexion accrue entre la logique des intérêts économiques et les calculs proprement politiques. Revenant sur cette rencontre entre Ankara et Téhéran, François Géré développe « l'ambivalence » de cette relation.
Quelle est votre lecture de cette configuration où l'on assiste à la fois à la multiplication des contentieux et un rapprochement sur les intérêts économiques communs, donc à davantage de souplesse dans les rapports?
Je constate qu'il s'agit surtout d'une caractéristique de la diplomatie turque qui accepte d'avoir des divergences avec nombre de pays voisins et alliés, y compris les États-Unis tout en continuant à affirmer qu'elle est membre de l'Otan et qu'elle le restera face à l'Iran. Il y a des divergences extrêmement profondes avec Téhéran sur la crise syrienne et yéménite, M. Erdogan a clairement demandé à l'Iran de cesser de soutenir les « actions terroristes » au Yémen, pourtant il reste nécessaire de maintenir la coopération économique dans la mesure où les intérêts sont présents. La Turquie a fait fonctionner le système bancaire de l'Iran sous le régime des sanctions. C'est une politique complexe, ambivalente qui constate des contradictions alors que l'on continue à renforcer la coopération sur un autre plan.
Après son implication dans les conflits régionaux (Syrie et Irak) et un abandon de fait de l'ambition d'adhérer à l'Union européenne, la Turquie n'a-t-elle pas aujourd'hui intérêt à se rapprocher de l'Iran ?
Il y a surtout le fait que les deux pays ont des intérêts communs notamment au niveau des fournitures énergétiques, et dans ces conditions la Turquie ne souhaite pas rompre ses relations avec l'Iran d'autant que ce dernier est susceptible de revenir dans le concert de la communauté internationale, ce qui serait un facteur favorable pour Ankara. Par ailleurs, les Turcs savent qu'ils doivent parvenir à un accord avec l'Iran sur les dossiers syrien et irakien pour donner une évolution satisfaisante au traitement du problème kurde. En effet, compte tenu de l'action de Daech, les Kurdes se sont mis dans un premier temps en autodéfense avant de reprendre le terrain et sont à présent en position de force pour une autonomie. Cette situation ne satisfait ni la Turquie ni l'Iran, d'où l'importance de trouver des éléments d'accord.
La Turquie est le pays par le biais duquel l'Iran contourne les sanctions économiques, malgré les divergences qui les oppose. Estimez-vous primordial pour Téhéran de maintenir une coopération renforcée avec le régime d'Erdogan ?
Je pense que les Iraniens ont constaté que M. Erdogan était le président incontournable de la Turquie, que c'est avec lui qu'il faut négocier. Dans ces conditions, ils vont s'attacher à leurs intérêts et avancer sans se soucier de savoir s'il y a une alternance politique. Pour eux, M. Erdogan apparaît comme un acteur indispensable, c'est un fait acquis. Reste à se mettre d'accord sur l'urgence de résoudre la question du Yémen, la question kurde et la question des relations sur les évolutions du conflit en Syrie, et sur ce point les antagonismes sont très forts. Mais on a déjà assisté dans le cas de ces pays à des désaccords absolus qui ont abouti à une solution en quelques semaines.
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LA LIBRE EXPRESSION
21 h 02, le 09 avril 2015