Le secrétaire d'État américain John Kerry lors de la réunion de négociations avec le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif, hier, à Lausanne. Brian Snyder/Reuters
Lentement mais sûrement, les négociations entre l'Iran et la communauté internationale sur son programme nucléaire se rapprochent du moment de vérité. Mais plus important encore, leur issue pourrait marquer un tournant pour le Moyen-Orient, une région à la fois plus large et de plus en plus instable.
Le rapprochement entre l'Iran et ses partenaires de négociation sur la question nucléaire de fond est indéniable. Personne à ce stade n'envisage sérieusement que l'Iran poursuive activement un programme de développement d'armes nucléaires, même si tout dernièrement presque tout le monde croyait que ce pays allait bientôt en disposer. Il s'agit désormais de veiller à ce que l'Iran ait besoin d'un an ou de deux ans pour assembler un dispositif nucléaire, dans le cas où il déciderait de poursuivre cet objectif. Mais le concept de « période critique » ne fait pas l'unanimité. Si la confiance devait s'effondrer et si le régime iranien avait décidé d'abroger tous ses accords internationaux dans ce domaine, il est fort probable qu'il aurait son arme, même si l'on bombardait le pays à plusieurs reprises. L'accent stratégique sur une « période critique » est donc déplacé.
La clé du progrès consiste à aider à transformer l'Iran de cause en pays pour paraphraser la formule de Henry Kissinger. L'Iran a besoin de se concentrer sur le développement de l'ensemble de ses ressources humaines et matérielles pour faire partie d'une région qui évolue de la confrontation vers la coopération. L'accord sur les questions nucléaires de base est au cœur de cette approche, sans oublier un processus crédible pour développer des relations commerciales et d'investissements, afin de faciliter cette évolution de l'Iran de l'isolement vers l'intégration.
Comme les négociations entrent dans leur phase finale, la question des sanctions va sûrement revenir au premier plan. Cette situation s'explique par le fait que le plan d'action conjoint, approuvé par les parties prenantes en novembre 2013, bien qu'il aborde la quasi-totalité des préoccupations immédiates nucléaires de l'Occident, ne fournit pas la planification nécessaire à la normalisation de l'Iran.
Tout comme l'on peut s'attendre à ce que les forces conservatrices en Iran tentent d'empêcher un accord, les forces qui tirent profit de cette confrontation aux États-Unis et ailleurs risquent d'agir dans le même sens. Les partisans de l'aile dure de l'Iran font part de leurs doutes à l'égard de l'Occident : selon eux, l'Occident ne sera jamais d'accord pour lever les sanctions. Leurs homologues occidentaux, quant à eux, veulent employer tous les moyens pour corroborer cette présomption. Une spirale de diplomatie mutuellement destructrice pourrait s'ensuivre.
Sur ce point, l'Union européenne doit clairement signaler sa volonté de prendre les devants dans l'apaisement et la levée des restrictions contre l'Iran, même si cela doit évidemment se faire en étroite coordination avec les partenaires de l'Europe. Les sanctions pétrolières de l'UE pourraient par exemple être suspendues presque immédiatement en cas d'accord.
Un accord doit également être suivi d'un engagement politique durable sur d'autres questions importantes pour les deux partis. Les développements en Afghanistan et en Irak sont bien évidemment urgents. Et sur la base d'une étroite consultation avec l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe, il est peut-être encore possible d'avancer vers des arrangements de meilleure coopération dans cette région stratégiquement cruciale.
Il faudra pour cela aborder sans détour la question de la Syrie. Quatre ans après le déclenchement de la guerre civile dans ce pays et malgré les conséquences humanitaires des combats horribles, la diplomatie internationale en vue de mettre un terme à la violence n'a obtenu aucun résultat. Le Conseil de sécurité des Nations unies s'est montré divisé et inefficace, et même la Russie semble perdre progressivement l'avantage qu'elle avait autrefois à Damas.
L'Iran, les États-Unis et l'UE ont tous un intérêt commun à arrêter une guerre qui provoque l'effondrement de l'État syrien (avec toutes les conséquences observées en Irak depuis 2003) et renforce les forces du jihadisme sunnite dans la région. Même s'il reste à savoir si cela sera un terrain d'entente suffisant pour un dialogue constructif avec l'Iran sur la fin de la guerre civile en Syrie, cela reste néanmoins une option qu'il faut s'efforcer de réaliser.
Les pourparlers qui entrent désormais dans leur phase finale à Lausanne se limitent à la question nucléaire. Mais au-delà de l'accord apparaissent des possibilités et des risques plus importants. Une percée pourrait imposer une phase de diplomatie intense, donner à l'Iran une voie vers la normalisation diplomatique et ouvrir un accès vers de grandes négociations, qui pourraient commencer à rétablir l'ordre et la stabilité dans le reste de la région. En revanche une rupture, bien qu'il soit peu probable qu'elle conduise immédiatement à une guerre, pourrait facilement fomenter des développements dans cette direction et la région dans son ensemble risque d'être attirée encore plus profondément dans le tourbillon actuel de chaos et de violence.
Une fois la question nucléaire de fond plus ou moins réglée, il sera désormais impératif de résoudre les sanctions et les questions de normalisation et de saisir l'occasion pour de grandes négociations régionales qui pourraient alors devenir possibles. L'accord nucléaire doit marquer le début des efforts de la communauté internationale pour convaincre l'Iran de participer aux défis les plus difficiles du Moyen-Orient.
© Project Syndicate, 2015.
Carl Bildt est un ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Suède.