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Moyen Orient et Monde - Interview

Michel Agier : On constate avec la crise syrienne une relance des camps qui s’installent dans la durée

L'anthropologue français Michel Agier, qui a dirigé l'ouvrage « Un monde de camps », étudie depuis de nombreuses années le fonctionnement des camps de réfugiés. Ces espaces d'accueil, censés être éphémères, évoluent parfois dans le temps et s'organisent de manière économique, sociale et politique.

Le camp pour réfugiés syriens Zaatari s'est développé dans des proportions surprenantes en quelques années seulement, mais ce n'est pas un cas de figure isolé. Comment expliquer que de tels espaces d'accueil, a priori uniquement transitoires, puissent se transformer et persister ?

Il existe dans le monde des centaines de camps de réfugiés et des milliers de camps de déplacés internes qui se sont tous installés dans la durée. Avec les camps, on est supposé être toujours dans l'urgence, mais on s'aperçoit que dans ces espaces, une vie sociale, culturelle, politique et économique se recrée.
Il y a évidemment les camps palestiniens qui sont un « modèle » de longévité et d'urbanisation, mais il en existe d'autres, comme les camps sahraouis en Algérie et les réfugiés afghans au Pakistan. On constate avec la crise syrienne une reprise des camps qui s'installent dans la durée. À partir de deux ans, les gens comprennent que ce n'est plus seulement une situation provisoire et, bien souvent, ils s'inscrivent dans l'espace dans lequel ils se trouvent. Cela veut dire aménager son habitat, s'organiser sur le plan familial, social, en nouant des liens voire en recréant de nouvelles familles. Cela peut aussi signifier s'organiser politiquement en essayant de faire entendre sa voix.
Ce sont des dynamiques que l'on retrouve régulièrement dans les camps à travers le monde, avec plus ou moins de succès. Succès qui dépend aussi de la réceptivité des organisations humanitaires internationales en présence.

Justement, à Zaatari, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) voit d'un mauvais œil l'établissement d'un système administratif composé de chefs de rue syriens « autoproclamés », mais souhaite le développement de conseils locaux sous son autorité. L'organisation onusienne a presque le rôle d'un gouvernement...

Lors d'une visite dans un camp de réfugiés libériens en Sierra Leone, l'administrateur du camp m'avait sorti cette formule assez symbolique : « Un camp n'a pas besoin de démocratie pour fonctionner. » Les grandes organisations internationales présentes dans un camp, comme le HCR, installent progressivement une forme de gouvernance qui contrôle la vie quotidienne, les structures et les personnes. C'est ce que j'appelle un « gouvernement humanitaire ».
Le HCR veut créer des conseils locaux de réfugiés ; c'est un moyen politique de contrôler la crainte que peut représenter un camp, qui est une agglomération sous tensions. En fait, les représentants du HCR et d'autres ONG craignent la politique, ils essayent donc de contrôler les comités de réfugiés. Le paradoxe inévitable, c'est qu'on a, d'un côté, des réfugiés qui se considèrent comme des personnes ayant droit à la parole et à l'action et, de l'autre, nous avons des organisations qui sont là uniquement parce qu'elles considèrent les réfugiés comme des victimes. Cela crée un choc qui superpose une dimension politique à une scène humanitaire.

Il existe au Liban des camps qui ont perduré dans le temps, comme c'est le cas des camps palestiniens au Liban. Après tant de décennies, peut-on encore vraiment parler de camp, ou d'un quartier parmi d'autres dans une même ville ?

La logique de développement des camps est assez bien illustrée par le cas des camps palestiniens, on le voit bien à Beyrouth. Pour une large part, ces camps deviennent des quartiers populaires relativement pauvres qui se développent avec une très grande densité d'habitations et qui se transforment aussi de l'intérieur. À Chatila, la part de la population palestinienne n'atteint même plus la moitié des habitants, le reste étant composé de migrants venus du Moyen-Orient ou d'Asie, du Bangladesh, par exemple. C'est devenu un lieu très cosmopolite qui illustre l'urbanisation de certains camps et leur transformation en des sortes de villes.

W. F.

Le camp pour réfugiés syriens Zaatari s'est développé dans des proportions surprenantes en quelques années seulement, mais ce n'est pas un cas de figure isolé. Comment expliquer que de tels espaces d'accueil, a priori uniquement transitoires, puissent se transformer et persister ?
Il existe dans le monde des centaines de camps de réfugiés et des milliers de camps de déplacés...

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