« Je n'avais aucun projet, aucune destination précise ; juste la sensation, très vague, que j'avais intérêt à me diriger vers le Sud-Ouest ; que, si une guerre civile devait éclater en France, elle mettrait davantage de temps à atteindre le Sud-Ouest. Je ne connaissais à vrai dire à peu près rien du Sud-Ouest, sinon que c'est une région où l'on mange du confit de canard ; et le confit de canard me paraissait peu compatible avec la guerre civile. Enfin, je pouvais me tromper. »
Michel Houellebecq
Journaliste(s). Quelle drôle d'idée. Quoi qu'ils fassent, quelle que soit leur aire de je(u), qu'ils parlent de mode, de sport, d'environnement, peu importe, il y aura du politique dans leur geste, dans leur trajectoire, dans leur dynamique. C'est ainsi : un journaliste n'est pas seulement un passeur, une courroie de transmission, mais il est aussi ce pont entre (au moins) deux rives, ce paratonnerre ; il est aussi, surtout, pour le consommateur : lecteur, téléspectateur, auditeur..., ce double qui va, qui dit, qui fait, donc qui vit, ce Jekyll qui se lâche, stylo, crayon, clavier, micro ou caméra aux doigts, quand les Hyde n'osent pas – l'exutoire catharsistique le plus abordable, le plus concret.
Ce n'est ni hallucinant ni affreux que l'attaque terroriste contre les locaux de Charlie Hebdo à Paris et l'exécution de quelques-uns des journalistes les plus brillants qui soient aient bouleversé la France et le monde bien plus, par exemple, au hasard, que l'hécatombe, également terroriste, de Pechawar il y a quelques semaines, celle qui avait emporté d'un coup 132 enfants. La mort, l'assassinat d'un enfant, est du ressort du monstrueux, de l'indicible. Sauf que dans la fusillade du 10 rue Nicolas-Appert à Paris, c'est moins la mort d'une douzaine d'hommes qui a chaviré la planète que le crime immonde perpétré contre une corporation qui défend chaque jour, avec plus ou moins d'intelligence, le fantasme universel absolu et ultime : la liberté de pensée et d'expression.
Pauvre André Malraux. S'il savait que sa prédiction, si tant est qu'elle ait été la sienne, d'un XXIe siècle qui sera religieux ou qui ne sera pas allait résonner de cette manière... (Avant-)hier, le fondamentalisme chrétien était une plaie. Aujourd'hui, il amuse Dan Brown et quelques autres. Aujourd'hui, c'est l'hypercancer bicéphale du fondamentalisme juif (le sionisme et ses lobbies) et musulman (l'islamisme, chiite puis sunnite) qui (dé)fait la planète. Deux métastases qui se nourrissent l'une l'autre, qui avaient pris l'habitude de s'attendre pour progresser, pour dynamiter et se dynamiter l'une l'autre, mais qui se retrouvent désormais, le plus souvent, à se regarder, haletantes, en chiennes de faïence.
On dirait que la France, point d'intersection géographique et creuset historique de toutes les libertés, donc de tous les racismes et de toutes les phobies, est en train de découvrir à la fois et son génome et ses mutations. Un œil encore un peu torve s'était entrouvert avec l'affaire Mohammad Merah. Les deux se sont écarquillés après l'horreur absolue de ce déjà 7-Janvier français. On dirait que la France n'est plus myope, ni astigmate ; on dirait, pour la première fois depuis l'accouchement en mondovision de l'État islamique, qu'elle commence, lentement, à comprendre qu'elle pourrait se libaniser. Qu'elle pourrait entrer en guerre. De dedans : civile, la guerre. Communautaire, confessionnelle. Et plus si blanche que cela.
Si l'assassinat de ces crayons de génie qu'étaient Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et les autres devait servir à quelque chose, ce ne serait pas à fabriquer cette union nationale génétiquement éphémère et presque mort-née avec la polémique autour de la participation ou pas du Front national au rassemblement républicain de dimanche, mais bien plutôt à une véritable dé/restructuration du traitement de la maladie. Les responsables et les autorités religieuses de France ne peuvent plus concevoir leur vision, leur appréhension et leurs (ré)actions face à l'islam (de France, déjà...) comme ils le faisaient avant le 7 janvier 2015. Parce que tous les musulmans sont absolument loin d'être des islamistes mais que la minorité d'islamistes est musulmane – naturellement. Parce qu'à la pédagogie (tu n'aimes pas Charlie Hebdo alors utilise-le pour ramasser les crottes de ton chien ou nettoyer la litière de ton chat, sans menacer, sans tuer qui que ce soit) et au bon sens (l'amalgame, tous les amalgames sont justes insupportables), il faut désormais adjoindre une fermeté, une intransigeance définitives, une rigidité politique, judiciaire, culturelle et morale ignifugée : vivre en France, c'est obéir à ses lois, toutes ses lois, loin, si loin, on ne le répétera jamais assez, de ce protofascisme marshmallow et bleu marine, loin de ces relents pseudo-intellos des Zemmour en tout genre qui iraient jusqu'à épingler une étoile verte aux Français musulmans avant que de les dé/remporter chez eux.
Cette ré-vision, cette ré-évolution, cette intransigeance, la France la doit d'abord à l'immense majorité de ses citoyens de confession musulmane. Il se fait aujourd'hui, (mal)heureusement, que seul le Parti socialiste pourrait l'accomplir, la légitimer, avec le moins de dégâts possible. Encore faudrait-il qu'il le veuille et qu'il sache s'y prendre.
commentaires (7)
Dans un entretien en date du 7 août 2014 accordé à nos confrères d’i>Télé, le bienfaiteur et défenseur de la paix Benjamin Netanyahou, que ses proches surnomment Bibi, avait prophétisé les attentats terroristes qui allaient se dérouler en ce jour tragique de la tuerie chez Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.Bien avant tout le monde, le Premier ministre de la seule "démocratie du Moyen-Orient" et de l’armée la plus "morale du monde", nous avait mis en garde contre le "terrorisme palestinien" et de ses répercutions en France. Un pur visionnaire. Ce n’est pas la bataille d’Israël, mais votre bataille, c’est la bataille de la France, parce que c’est la même bataille, s’ils réussissent ici, et si Israël est critiqué et pas les terroristes [les résistants palestiniens à qui on a volé leurs terres], et bien si nous ne sommes pas solidaires, cette peste du terrorisme viendra chez vous. C’est une question de temps, elle viendra en France. Si vous n’êtes pas solidaire d’Israël, maintenant, et bien cette tyrannie, ce terrorisme, vous [la France] les connaîtrez aussi. A mediter !
FRIK-A-FRAK
14 h 32, le 09 janvier 2015