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Moyen Orient et Monde - Quatre questions à...

La Tunisie, entre paradoxe et pragmatisme

Kader Abderrahim, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), et maître de conférences à Sciences-Po, Paris.

Une Tunisienne, vêtue du drapeau national, en train de voter à Tunis. Fethi Belaid/AFP

L'OLJ : Presque quatre ans après la révolution, que symbolise la victoire de Béji Caïd Essebsi, vétéran de 88 ans et cacique de l'ancien régime ?
K. A. : C'est le paradoxe de la Tunisie. Les Tunisiens ont renversé un régime vieillissant, dont le leader avait lui-même renversé un autre régime vieillissant, pour ensuite élire un président de la République encore plus âgé. Il faut rappeler que M. Essebsi fait partie de la génération de Bourguiba et qu'il est un grand nostalgique du bourguibisme. À mon avis, c'est ce qui a plu aux Tunisiens. Ce qui est plutôt logique, car, dans une période de crise, on a tendance à se retourner vers des valeurs sûres, ce n'est pas propre aux Tunisiens.

La révolution a-t-elle très mal vieilli ? Qu'est-ce qui différencie finalement Essebsi de Ben Ali ?
Il faut d'abord se demander si cette mobilisation populaire qui a entraîné le renversement du régime est une révolution. Ce dont je ne suis pas vraiment certain. Ensuite, je ne sais pas si elle a mal vieilli, mais je sais que la crise économique est passée par là et que les Tunisiens ont eu peur de voter pour des personnalités qui n'avaient que peu d'expérience politique. En fait, ce qui m'a surtout marqué durant ces élections, c'est l'absence de projet politique des deux candidats. La campagne a été menée contre les islamistes d'un côté, et contre l'ancien régime de l'autre, mais pas en avançant des propositions concrètes pour les Tunisiens. Aujourd'hui, le nouveau président n'a pas d'autres choix que de rassembler. Il a d'ailleurs largement insisté là-dessus après sa victoire. La question est de savoir : à partir de quels projets peut-il rassembler la population ?

(Lire aussi : Essebsi promet d'être « le président de tous les Tunisiens »)

 

Quand on compare la situation de la Tunisie à celle de la Libye, de l'Égypte, de la Syrie ou du Yémen, est-ce qu'on peut dire que finalement elle a fait le meilleur choix ?
En tant qu'historien de formation, je constate que tous les pays passent par des moments de crise durant les périodes de transition. Parce que le progrès doit être le résultat d'une évolution, pas d'une révolution. On ne peut pas faire table rase du passé. Aujourd'hui, il y a une crise de confiance, une crise économique, plusieurs guerres dans des pays limitrophes, qui inquiètent les Tunisiens. Ils ont fait le choix de la stabilité, et c'est peut-être le meilleur choix, compte tenu de la situation. Il n'y a pas une solution idéale, mais on peut considérer que la Tunisie est le pays qui s'en sort le moins mal.

Enfin, y a-t-il des risques d'éclatement de violences au sein d'une population qui apparaît de plus en plus coupée en deux ?
Aucun risque. La Tunisie n'est pas l'Égypte, ni la Libye. Il y a un très haut niveau d'éducation et des élites favorables au dialogue et au compromis. Il peut y avoir des attentats ou des explosions, mais pas de violences urbaines, à mon avis.

 

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