Do Khiem de son vrai nom est né en 1956 à Haiphong, dans le nord du Vietnam. Il a grandi au Sud, après la partition du pays. Puis, à 14 ans, il est parti faire le reste de sa scolarité à Paris. Revenu à Saigon en 1974, il assiste à la fin du conflit, retrouve refuge en France en 1975 puis en Californie en 1980. En 1982, il assiste au siège de Beyrouth. De cette ville, il prend une femme, pour le meilleur et pour le pire. Auteur de poèmes, de nouvelles, de scénarios et d'essais, il s'est prêté au jeu des questions-réponses en prélude à sa participation au Salon du livre francophone de Beyrouth où il signe son deuxième opus Saigon Samedi. Un roman «road movie», un «voyage au bout de la nuit» où l'on suit l'échappée belle d'un étudiant et d'un soldat égarés dans la Saturday Night Fever de Saigon, un été de l'année 1975. Ces deux fugueurs voient, avec le lecteur, défiler une galerie de personnages pittoresques croqués dans un style pas banal du tout. Un style qui oscille entre le cru, l'imagé, l'humour, le cinématographique et les références culturelles bien denses.
Pouvez-vous nous raconter vos premiers contacts avec la langue française ?
À l'école. Chez nous, on parlait le vietnamien. Dans la rue, on parlait le vietnamien. J'ai l'âge de Dien Bien Phu (NDLR : nom de la ville au nord-est du Vietnam où s'est déroulée la dernière guerre d'Indochine). Le pays venait d'être indépendant. Dans mon milieu, qui était celui de «l'élite indigène», beaucoup avaient combattu la France. Mais quatre heures par jour, assis devant un pupitre, on nous apprenait à distinguer entre le subjonctif du futur et le conditionnel du passé. Autant le dire, c'était une cause perdue pour l'enfant que j'étais.
Comment définissez-vous votre relation à cette langue et comment a-t-elle évolué au fil des années ?
J'associais le français à l'école de la République. Dans la classe, pas dans la cour de récré (où l'on se chamaillait, Dieu merci, en vietnamien). C'était pénible. Le français était la langue des obligations, des devoirs à la maison. À l'adolescence, c'était devenu pour moi une langue « aliénante ». Mais avec l'âge, l'on devient beaucoup plus tolérant, surtout avec soi-même, et je regarde à présent cette période avec beaucoup de tendresse... Tout en restant fâché avec la concordance des temps.
À travers vos écrits, vous apparaissez comme un globe-trotter pétri de culture...
On voyageait déjà sur place, à 10 ans, assis à notre banc à «traverser le Luxembourg avec ses feuilles jaunes qui tombaient sur les épaules blanches des statues » et tutti quanti (c'est pour rimer avec « statues ») alors qu'à la fenêtre, le rouge des flamboyants annonçait l'arrivée de la saison des pluies et donc des vacances.
Poète, romancier, essayiste et scénariste... Quelle écriture vous attire le plus?
Pourquoi ?
La poésie est une méchante maîtresse et une amante fantaisiste. Le roman demande de l'application. Comme le ménage à la maison, on ne finit jamais de nettoyer et il faut que cela soit au moins propre, à défaut de briller. Les essais sont des bouffées de colère difficiles à avaler et malheureusement fréquentes. Mais le cinéma, j'aime bien, il implique un partage intime, immédiat et passionné avec plein de gens, du régisseur aux comédiens. Un scénario est à réaliser, il est en devenir. La « réalisation » implique aussi plus de moyens qu'une simple page blanche. Où est le camion avec le groupe électrogène ?
On vous classe parmi les écrivains les plus novateurs de la littérature vietnamienne actuelle. Les raisons, à votre avis ?
Je crains que, pour mes compatriotes, je ne sois que, disons, « exotique ». Je mets mon pagne en peau de léopard et je cours l'Afrique. Je parle au niveau du style, bien sûr. En vietnamien, je pense que je suis Tintin et le lotus. Cela me flatte, évidemment.
Dans votre commentaire de présentation (très humoristique d'ailleurs) sur Amazon vous signalez que l'ouvrage en question parle beaucoup de sexe car les deux héros font leur seconde adolescence. Des accents biographiques ?
L'adolescence est une maladie chronique qui, comme la malaria, revient tous les 15-20 ans, sans parler des crises subites. Je ne compte plus les fièvres, les frissons et les spasmes, mais la Nivaquine, cela aide.
Saigon, la première héroïne de vos écrits ?
Saigon est une fille facile. L'image, cette image de Saigon, est facile elle aussi, mais je ne l'aime pas. Je l'admire, mais je ne suis pas fait pour cela. Je n'aime pas la difficulté, ni dans les images ni chez les jeunes filles.
La nostalgie se taille une belle part, alors ?
C'est une infusion, si vous voulez. La nostalgie ne se consomme pas en instantanée soluble dans l'eau tiède. Cela ne s'avale pas le coude levé au comptoir, mais je hais la cérémonie du thé.
Beyrouth? Comment l'avez-vous rencontrée, elle aussi ?
Ah, l'Orient. Le Moyen, je veux dire, pas l'Extrême d'où je viens.
Des similitudes avec Saigon ?
Bien sûr. Malgré elle peut être. Cela vaut dans l'autre sens aussi et c'est fou comment elles se ressemblent. Les canonnières françaises de la Royale avaient beaucoup voyagé. À chaque port, elles laissent sur les quais les mêmes fiancées. La concession obscure de Guangzhou-wan, Fort-Bayard, qui se situait à Canton, me fascine. Une Hong Kong française ratée et décrépite que la France a rétrocédée à la Chine en 1943 parce qu'elle ne savait plus quoi en faire. En 1943, cela ne vous dit rien ? Imaginez si la France l'avait gardée cinquante ans de plus. On aurait maintenant des succursales de la FSBC Ltd (Fort-Bayard et Shanghai Banking Corporation), et à Beyrouth et à Saigon. Tony Luong bien gominé aurait rencontré Maggie Cheung en jupe fendue dans un « Café de la gare » situé entre... Verdun et la rue Catinat dans « In the Mood pour l'amour ». Au nom du suffrage universel et de la démocratie, il y aurait en ce moment même un mouvement « Occupy Fort-Bayard » avec des parapluies et des ombrelles colorées. On devrait y aller faire un tour, et vous et moi, pour le visiter.
Un dernier commentaire (spirituel) pour conclure ?
J'ai l'esprit de l'escalier. L'esprit chez moi, quand cela existe, c'est comme la décolonisation, c'est un processus qui prend du temps.
* Dimanche 2 novembre, au Biel, signature de « Saigon samedi », à 16h30, au stand de la librairie Stéphan. Table ronde, à 15h, modérée par Gilles Kraemer (salle A).