Très attendu, le procès de l'alimentation forcée à Guantanamo, que tant d'organisations des droits de l'homme assimilent à de la torture, commence lundi devant une juge de Washington.
Ce sera la première fois depuis l'arrivée il y a près de 13 ans des premiers détenus à Guantanamo, sur ces terres cubaines éloignées de toute frontière américaine, que la justice fédérale se penchera sur les conditions de confinement dans cette prison controversée.
Au grand dam du gouvernement qui réclamait un huis clos, la juge fédérale Gladys Kessler se penchera "dans l'ouverture" et la "transparence judiciaire" sur l'alimentation forcée des détenus, une méthode qui requiert une intubation naso-gastrique et que les prisonniers dénoncent comme "inhumaine".
En mai 2013, au plus fort d'une grève de la faim sans précédent à Guantanamo, Barack Obama avait protesté: "Est-ce donc là ce que nous sommes? Est-ce là l'Amérique que nous voulons léguer à nos enfants? Notre sens de la justice est plus fort que ça", lançait le président qui réclame la fermeture de la prison.
Un des 149 détenus, Abou Dhiab, enfermé sans inculpation ni jugement depuis 2002 et que les autorités américaines ont jugé libérable depuis 2009, proteste contre sa détention par des grèves de la faim régulières.
Mais le Syrien a porté plainte pour obtenir que cesse son alimentation forcée, qu'il juge contraire au droit international. "De notre point de vue c'est extrêmement douloureux et inutile", a déclaré à l'AFP son avocat Eric Lewis, qui a pu voir onze heures de séances d'alimentation forcée filmées à Guantanamo au cours des 18 derniers mois. "C'est très clair qu'il souffre terriblement", a-t-il ajouté, précisant que "les vidéos étaient difficiles à regarder".
Dans un rebondissement spectaculaire à deux jours du procès, la juge fédérale a ordonné que ces 28 vidéos jusqu'ici classifiées par le gouvernement soient rendues publiques. Le gouvernement avait réclamé la mise sous scellé des vidéos qui "pouvaient causer de graves dégâts à la sécurité nationale en étant publiées". Mais la juge a donné raison à 16 médias qui avaient demandé la publication des enregistrements, auxquels seule la défense avait eu accès, sur ordre de la juge en mai.
"Je veux que les Américains voient ce qui se passe à la prison aujourd'hui, pour qu'ils comprennent pourquoi nous faisons la grève de la faim et pourquoi la prison doit fermer", a déclaré Abou Dhiab, selon le document du juge. Il fait partie de six détenus "libérables" qui doivent être transférés en Uruguay.
Souffrance inutile
Les vidéos montrent "l'équipe d'extraction de force" menotter Abou Dhiab, le conduire à la chaise d'alimentation forcée, "soit en le portant soit en l'attachant à une planche, le sangler sur la chaise, mettre une sonde dans son nez et le nourrir de force", explique Me Lewis, l'un des seuls cinq avocats ayant visionné les vidéos.
"Ces procédures causent une souffrance inutile et ne sont liées à aucun objectif légitime en matière de sécurité", a fustigé l'avocat, qui s'est dit "satisfait du jugement qui trouve un équilibre entre les questions de sécurité et le droit du public de voir ces vidéos très troublantes".
La juge, qui depuis plusieurs mois est apparue sensible à la cause des détenus de Guantanamo, a trouvé "profondément troublante" la demande du gouvernement Obama de fermer l'audience entièrement au public.
Trois témoins doivent être entendus pendant les deux jours d'audience: un ancien psychiatre de l'armée, Stephen Xenakis, une experte de la torture, Sondra Crosby, et un spécialiste de l'éthique médicale, Steven Miles.
Le ministère de la Justice a indiqué "examiner cette décision et réfléchir aux options".
"Quelle tristesse de voir notre ministère de la Justice saper délibérément l'un des piliers de notre démocratie: une justice ouverte", s'insurge Cori Crider, une autre avocate d'Abou Dhiab, se félicitant que la "raison l'ait emporté".
En février 2013, Guantanamo a été secouée par six mois de grèves de la faim, suivies par plus du tiers des détenus. Mais depuis, le Pentagone refuse de donner le nombre de grévistes, de parler de grève de la faim ou d'alimentation forcée.
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