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Moyen Orient et Monde - Par Christopher R. HILL

L’avenir de la Syrie

Le président (Barack) Obama a raison de dire que la destruction de l’État islamique (EI, ex-Daech) est un objectif à long terme. Jonathan Ernst/Reuters

« Les hommes et les nations ne se comportent avec sagesse qu'après avoir épuisé toutes les autres alternatives », a déclaré un jour Abba Eban, le diplomate israélien. Cela va-t-il être le cas pour les USA avec la Syrie – le problème le plus inextricable et le plus dangereux du Moyen-Orient ?
Jusqu'à présent, la politique américaine s'est réduite à des bombardements plus ou moins symboliques contre les extrémistes sunnites et à la participation à l'entraînement de quelque 5 000 Syriens appartenant à « l'opposition modérée » supposée vaincre les autres forces sunnites et celles du président Bachar el-Assad en attendant qu'elle n'entre victorieusement dans Damas – survolée peut-être par l'aviation américaine. Les USA continuent ainsi dans une mauvaise direction : ils écoutent et, pire encore, ils croient ceux-là mêmes qui sont une partie du problème.
Le président Obama a raison de dire que la destruction de l'État islamique (EI, ex-Daech) est un objectif à long terme. Cet objectif est justifié, mais il manque d'objectif clair en ce qui concerne la Syrie – alors que l'Amérique devrait susciter un large soutien dans la région et plus largement au sein de la communauté internationale. De même que les chiites à eux tout seuls ne peuvent gouverner l'Irak, les sunnites ne peuvent à eux tout seuls gouverner la Syrie.
Les frontières de la Syrie constituent un problème quasi insoluble, car elles n'ont pas grand-chose à voir avec les identités tribales ou sectaires du Levant. Comme nombre d'observateurs l'ont souligné, elles ont été dessinées à la hâte et en secret il y a un siècle par les ministres des Affaires étrangères de la France et de la Grande-Bretagne. La Syrie ne connaîtra pas un seul jour sans que quelqu'un ne rappelle ce fait ou ne suggère de revenir sur le tracé frontalier. Même l'EI pour lequel l'histoire semble s'arrêter au 7e siècle clame que les frontières de la région sont un héritage du colonialisme. Les frontières issues des accords Sykes-Picot ne sont pas le seul problème de la Syrie. Bien des frontières en Afrique, en Europe, en Amérique latine, en Asie et en Amérique du Nord sont issues de situations historiques complexes que personne n'a envie de revivre. Au Moyen-Orient, toute tentative de modifier un tracé frontalier va probablement créer davantage de problèmes qu'elle n'en résoudra.
Les problèmes rencontrés par les USA en Syrie ont une origine bien plus récente. Dans le sillage du printemps arabe et de l'agitation croissante des Syriens cherchant à mettre fin au régime brutal d'Assad, les USA et la France ont envoyé leurs ambassadeurs à Hama en juillet 2011 pour appeler à l'unité au sein de l'opposition naissante. Hama était connue pour sa population sunnite et son opposition à Assad, mais également comme foyer d'activité des Frères musulmans. Les manifestations y étaient particulièrement violentes et la répression gouvernementale encore plus violente. Cette rencontre n'a sûrement pas permis d'unifier l'opposition. Sa conséquence majeure a été de supprimer toute possibilité de traiter avec le gouvernement d'Assad. La décision américaine de soutenir ouvertement les manifestants à Hama a marginalisé les USA. Elle a marqué la fin de toute influence qu'ils auraient pu avoir sur les alaouites, la tribu sur laquelle repose le régime syrien.
Le problème de la Syrie ne se limite pas à la présence d'Assad au pouvoir. Renverser son régime ne suffira pas pour conjuguer les intérêts de la mosaïque d'identités ethniques et sectaires du pays. Il faut examiner de manière bien plus approfondie l'avenir de la Syrie et envisager comment elle pourrait être gouvernée démocratiquement. Obama a comparé sa politique en Syrie aux opérations de longue durée contre les cellules terroristes dans la Corne de l'Afrique. Sans aucun doute ce genre d'opérations est nécessaire. Mais comme le chef d'état-major interarmées des USA, Martin Dempsey, l'a laissé entendre lorsqu'il a envisagé une discussion sur une éventuelle composante terrestre dans les opérations militaires contre l'EI, la puissance militaire américaine doit être utilisée en bloc et de manière décisive. Elle doit être un élément de la solution à un conflit dont rien ne montre qu'il va s'éteindre de lui-même.
L'engagement américain dans la région comporte trois cercles concentriques : la tentative réussie de pousser vers la sortie l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki de manière à reconquérir les sunnites, le renforcement du dialogue avec les États de la région comme l'Arabie saoudite et les incitations faites aux dirigeants des autres pays pour qu'ils s'engagent. Le gouvernement d'Obama s'est appuyé sur le retrait de Maliki pour améliorer ses relations dans la région. Mais il n'est pas sûr que les partenaires régionaux soient disposés à coopérer avec un gouvernement majoritairement chiite en Irak. Aussi importante que soit cette diplomatie régionale, étant donné la réalité du leadership chiite, une stratégie américaine qui passe par une gouvernance unitaire en Irak sera problématique. La solution politique envisagée comportant des élections destinées à établir une autorité provisoire, suivies par un processus constitutionnel acceptable par toutes les parties en conflit pose problème. Du fait de la situation sur le terrain, il est hautement improbable qu'un processus électoral puisse déboucher sur une autorité provisoire capable de créer un système politique durable.
La situation exige des efforts diplomatiques au niveau international pour rechercher une solution efficace pour l'avenir de la Syrie et qui réunisse l'adhésion des gens raisonnables. Le cas de la Syrie est peut-être unique, mais les problèmes liés à la gouvernance d'un pays multiethnique ne sont pas nouveaux. Beaucoup des solutions (par exemple un Parlement avec une Chambre haute et une Chambre basse et des structures provinciales très décentralisées) sont bien connues. Des voix s'élèveront sans doute pour dire qu'esquisser une solution politique revient à faire preuve de paternalisme à l'égard des Syriens. Mais quand une gouvernance dysfonctionnelle entraîne la mort de centaines de milliers de civils innocents et menace les pays voisins, un tel argument n'a pas sa place.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz.
© Project Syndicate, 2014.

Christopher R. Hill, ex- secrétaire d'État adjoint pour l'Asie de l'Est, est doyen de l'École Korbel d'études internationales à l'université de Denver. Il est l'auteur d'un livre intitulé « Outpost » qui va sortir prochainement.

« Les hommes et les nations ne se comportent avec sagesse qu'après avoir épuisé toutes les autres alternatives », a déclaré un jour Abba Eban, le diplomate israélien. Cela va-t-il être le cas pour les USA avec la Syrie – le problème le plus inextricable et le plus dangereux du Moyen-Orient ?Jusqu'à présent, la politique américaine s'est réduite à des bombardements plus ou moins...

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