Des portraits, « des ombres » éphémères, couvrent les murs sans annuler, sans cacher.
Q - L'on ne peut s'empêcher de vous demander d'abord si Barbu Bejan est votre vrai nom ?
R - Un pseudonyme? Cela aurait été une bonne idée pour un tel projet...mais non, Barbu Bejan est mon vrai nom.
De vos études à l'Académie des arts visuels, qu'avez-vous retenu ?
Dans la Roumanie des années 90, dans le domaine des arts plastiques, nous ne faisions pas seulement de longues années d'études (5 pour un niveau licence), mais nous devions travailler un type d'«abstractionnisme» très conceptuel. Cela m'a appris à rêver. Peut-être trop !...
Entre le travail d'artiste plasticien et celui de scénographe, des points communs? Des différences? Lesquels?
À mon avis, il y a une très fine différence entre les deux prétendues spécialisations. Le scénographe est un artiste qui doit « recréer » un espace, quand certains artistes plastiques « créent » leurs œuvres à partir d'un espace...
J'ai toujours eu envie de transformer l'espace, comme une matière vivante. À l'origine, je suis artiste céramiste. L'envie continuelle de jouer avec les formes et les matières vient peut-être de là.
Qu'est-ce qui vous a amené au Proche-Orient ?
La vie, avec toutes ses mystérieuses conjonctures : l'amour pour une femme, la curiosité pour de nouveaux pays et la possibilité de quitter Paris, sans regrets...
L'envie d'aller regarder plus à l'Est, moi qui, de l'Est, avais fait un saut vers l'Ouest quelques années auparavant. Comme un jeu de symétrie de part et d'autre de la Roumanie...
Pouvez-vous nous parler de votre expérience artistique mais aussi sur le plan humain, en Syrie? En Jordanie?
Même si j'ai eu des projets dans les deux pays, la Syrie reste, de loin, le pays qui m'a le plus marqué. À Amman, j'ai eu un projet ponctuel, par contre, à Damas, les expériences ont été plus riches et plus diversifiées, grâce à des gens extraordinaires avec qui je suis toujours en contact. J'ai laissé à Damas des souvenirs, des lieux chers, des expériences de collaborations artistiques très riches... et une œuvre qui recouvre toujours une des façades du Centre culturel français. Mon exposition « Mégalo-pôles » de mars 2011 a été la dernière expo graphique du CCF. On laisse toujours un peu de soi là où on passe.
Comment s'est déroulé votre premier contact avec Beyrouth?
À mon premier passage à Beyrouth, j'ai complètement halluciné. En arrivant de Damas pour un week-end, j'ai été choqué par la vie trépidante et chaotique de cette ville. J'avais l'impression que je ne réussirais jamais à rien comprendre ! Une autre chose qui m'a marqué : les traces d'une histoire récente, l'histoire qui, d'une certaine manière, m'appartenait, parce qu'en Roumanie des années 80, pendant mon enfance, on avait beaucoup d'échos de la guerre civile libanaise...
Puis la vie a fait que j'y suis revenu plus tard, plus régulièrement, depuis Paris cette fois.
Cette ville correspond-elle à l'idée que vous en aviez auparavant ?
Je n'ai jamais eu des idées préconçues sur les villes que j'ai visitées. À Beyrouth, j'ai fait comme d'habitude : suivre mon instinct, regarder et écouter les histoires des gens. Et me laisser guider et surprendre par la ville elle-même. Une ville que j'ai aussi apprivoisée en dessinant et en déposant mes portraits sur des murs, des recoins qui me touchent particulièrement.
Que présentez-vous à Plan Bey? Comment a débuté la série des «h'ombres»? Pourquoi en avoir fait des
autocollants?
Pour moi, le projet «h'ombres» c'est tout d'abord l'histoire de la découverte d'un Beyrouth caché. Je voulais proposer des œuvres éphémères, issues de mes rencontres urbaines, sur les murs d'une ville en constante métamorphose. Des visages complexes et interrogateurs dans un espace protéiforme. Un jeu de miroir. Mais un miroir sans teint. Puisque tout l'intérêt de la technique du collage ajouré que j'ai choisie et expérimentée permet de ne pas cacher le support de l'œuvre. De le laisser voir à travers. Peut-être même de le donner à voir autrement.
Un échange, entre l'art et la ville ?
Beaucoup de gens m'ont dit qu'ils avaient redécouvert un coin de rue ou un espace qu'ils ne regardaient plus, en observant mes collages. Il y a vraiment un échange réciproque entre mes « h'ombres » et la ville.
Vous l'avez compris, ce sont des «hommes» (en espagnol), parce que mes portraits naissent de mes rencontres et «des ombres», parce qu'ils sont éphémères, de passage et qu'ils couvrent sans annuler, sans cacher. Ils sont le «signe de», la «trace de».
Avec l'équipe de Plan Bey, la relation s'est construite doucement, sous forme d'une amitié. Je suivais avec intérêt leurs projets et leurs artistes à chaque passage à Beyrouth. On se rencontrait régulièrement. Je faisais mes collages à Mar Michaël, dans leur quartier. À un moment donné, nos envies se sont croisées: moi, de coller dans leurs espaces et eux, de rendre mes «h'ombres » accessibles à tous ! D'où le projet d'une édition limitée de stickers de grand format.
Et cette envie a fait écho à ma démarche. Faire passer mes «h'ombres» de la rue à l'intérieur des maisons, c'était continuer à restituer mes portraits-objets à la ville, donc à ses habitants (au sens plein du terme, ceux qui l'habitent, qui lui donnent une âme).
À présent, ce sont les autres qui vont inventer le devenir de ces stickers. Ce n'est plus moi le scénographe, et c'est
magnifique !
*À Plan Bey, rue Arménie, Mar Mikhaël, imm. Geara.
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