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Économie - Par Daniel W. DREZNER

Le système fonctionne

Alors que la nouvelle réunion des ministres des Finances du G 20 commence à Cairns, en Australie, la légion des pessimistes se fait entendre à nouveau. Leur sagesse conventionnelle veut que « le système » – les structures de gouvernance mondiale allant de l'Organisation mondiale du commerce au G20 en passant par les grandes Banques centrales – sont en très mauvais état et ont désespérément besoin d'être réparées. En réalité, l'ordre économique mondial a remarquablement bien fonctionné depuis 2008.
Certes, la première année de la Grande Récession a été plus sévère que la première année de la Grande Dépression. Mais en dépit de ce choc initial, le système a répondu d'une manière étonnamment agile. Par rapport aux récessions mondiales précédentes déclenchées par une crise financière, l'économie mondiale a rebondi vigoureusement. Les niveaux de commerce et de production ont dépassé les niveaux d'avant la crise dans la plupart des pays depuis quelques années, et la pauvreté continue de diminuer rapidement.
Une des clés de ce rebond a été que, contrairement aux années 1930, l'économie mondiale a maintenu les conditions existantes : les barrières commerciales sont restées faibles, de même que les restrictions sur les investissements étrangers directs et les échanges transfrontaliers ont continué à se propager grâce à l'Internet.
Comme l'a noté le McKinsey Global Institute, à l'exception des financements transfrontaliers, les flux mondiaux sont tout aussi robustes aujourd'hui qu'ils ne l'étaient avant la crise. On a même assisté à une refonte partielle des grandes institutions mondiales, depuis la montée en puissance du G20 jusqu'à la réforme du Fonds monétaire international. En fait, la résilience des marchés aux tensions géopolitiques en Ukraine ou dans la mer de Chine méridionale a même commencé à inquiéter certains responsables de la Fed.
Selon toute mesure raisonnable, les institutions multilatérales et les gouvernements des grandes puissances ont fait ce qui était nécessaire pour préserver l'ouverture de l'économie mondiale. Alors, pourquoi cette perception erronée que le système a échoué est-elle aussi largement répandue ?
Ici, nous nous heurtons à un petit secret dérangeant de la politique mondiale : de nombreux commentateurs de politique internationale ne comprennent pas grand-chose à l'économie ou aux politiques économiques. Les professionnels aux affaires internationales parlent fréquemment de « haute politique » et « basse politique », et ils relèguent souvent les questions économiques à la seconde catégorie.
Cette ignorance est importante quand les commentateurs politiques tentent d'écrire à propos de l'économie mondiale. Ils s'appuient naturellement sur les faits les plus accessibles pour établir leur diagnostic.
Pour être juste, certaines des données les plus évidentes ont en effet suggéré une fragmentation de l'ordre économique mondial. La stagnation du cycle de Doha de négociations de l'OMC, l'absence d'issue publique de certains sommets du G20, ainsi que les impasses au Conseil de sécurité des Nations unies semblent fournir une preuve suffisante pour proclamer que le statu quo est en péril – même si les faits au-delà des gros titres démentent ce consensus.
Prenez le cafouillage sur les « guerres des devises ». En 2010, la Fed a commencé à faire allusion à une deuxième vague d'assouplissement quantitatif, ou QE2. Une des externalités de la politique de QE – l'achat par la Fed d'actifs financiers de long terme – a été la dépréciation du dollar. Craignant la formation de bulles sur le prix des actifs domestiques et la pression à la hausse sur leur devise causée par une ruée de capital dans leur pays, de nombreux dirigeants des économies émergentes se sont plaints haut et fort de ce que le ministre brésilien des Finances Guido Mantega a appelé une « guerre des devises internationales ».
Le battage médiatique a occulté le fait que ni les marchés ni les analystes financiers n'apparaissaient terriblement perturbés par la volatilité excessive des taux de change ou la possibilité d'une véritable guerre réelle des devises. Après l'automne de 2008, la volatilité des taux de change a reculé lentement vers les niveaux d'avant la crise.
Une autre raison commune à la perception erronée collective est une nostalgie mal placée. L'ancien conseiller national de Sécurité américain Brent Scowcroft a synthétisé la sagesse conventionnelle de l'après-crise en 2012 : « Les dirigeants d'après-guerre ont mis en place le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce pour élaborer les règles de la route. Le nouveau G 20 n'est qu'un pâle reflet de ce que ce processus de construction d'institution autrefois brillant. »
Néanmoins, les efforts passés de construction d'un ordre mondial ont eu leur part de futilité. Quiconque est familier avec l'histoire des institutions de Bretton Woods sait qu'elles ont connu autant d'échecs que de succès. Par rapport au passé, l'ordre actuel a obtenu des résultats bien supérieurs à la moyenne.
Peut-être l'explication la plus profonde à la force de la légion des pessimistes tient à l'endroit où ils vivent. Selon l'Economist Intelligence Unit, les économies de l'OCDE ont connu une croissance annuelle moyenne du PIB de 0,5 % entre 2008 et 2012, alors que les économies non membres de l'OCDE ont atteint 5,2 % de croissance en moyenne.
Cela est important parce que l'analyse de l'ordre international reste ancrée en Occident. Une règle générale en sciences politiques est qu'une économie chancelante provoque une plus grande méfiance dans les institutions. Une faiblesse de l'économie nourrit la perception que le système est cassé et que les personnes au pouvoir ne sont pas dignes de confiance. Dès lors, un plus grand scepticisme à propos de tous les niveaux de gouvernance dans les pays de l'OCDE n'est pas surprenant.
Il est possible que les analystes regardent d'abord leurs conditions locales, puis extrapolent cela à leur évaluation des institutions mondiales. Le pessimisme à propos de la lenteur des reprises nationales dans les pays développés fait en sorte que les analystes confondent les gouvernances nationale et régionale inefficaces avec une mauvaise gouvernance mondiale.
Or les principales causes de la faiblesse économique intérieure au Japon, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro n'ont pas d'origine mondiale. L'économie du Japon avait stagné pendant près de deux décennies lorsque la crise de 2008 a éclaté. De même, les impasses de la politique intérieure et l'incertitude politique ont agi comme un frein significatif sur la sortie américaine de la Grande Récession.
Est-ce que la résilience remarquable du système depuis 2008 signifie qu'il peut résister à la prochaine crise ? En théorie, oui – bon nombre des réformes post-2008 ont été conçues pour ajouter des amortisseurs à l'économie mondiale. Cependant, dans les relations internationales, les perceptions erronées collectives peuvent créer leur propre réalité. Si les experts continuent à insister que le système a échoué, les conseillers politiques vont consacrer du temps et des efforts pour trouver des moyens de réparer ce qui n'est pas cassé.
En outre, il est extrêmement difficile de corriger les perceptions erronées une fois qu'elles se sont solidifiées – en particulier si le sujet en question est en dehors du domaine d'expertise d'un expert. Ironiquement, la seule chose qui pourrait causer la panne du système est le manque de confiance de ses plus ardents défenseurs.

Traduit de l'anglais par Timothée Demont.

© Project Syndicate, 2014.

Daniel W. Drezner est professeur de politique internationale à la Fletcher School de l'Université Tufts. Son dernier livre s'intitule « The System Worked : How the World Stopped Another Great Depression ».

Alors que la nouvelle réunion des ministres des Finances du G 20 commence à Cairns, en Australie, la légion des pessimistes se fait entendre à nouveau. Leur sagesse conventionnelle veut que « le système » – les structures de gouvernance mondiale allant de l'Organisation mondiale du commerce au G20 en passant par les grandes Banques centrales – sont en très mauvais état et ont...

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