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Liban - Artisans du Liban

À Jezzine, Joseph Aoun s’accroche à la corne de ses couteaux

Un métier menacé par le plastique et l'absence de relève.

À Jezzine, Joseph Aoun utilise encore la corne pour faire des manches de couteau.

Dans le vieux souk de Jezzine, une pléthore d'ateliers proposent à la vente les couteaux qui font la renommée des artisans de ce village du Liban-Sud. Mais parmi les officines proposant des couteaux fabriqués de manière véritablement traditionnelle, il n'en reste qu'une : celle de Joseph Aoun, 85 ans.

Joseph Aoun est un nostalgique. Les symptômes de son état filtrent dans ses histoires et s'affichent aux murs de son atelier-boutique couverts de photos en noir et blanc, images de rencontres ou clichés de nouveaux acheteurs avec leur set de coutellerie. Des sets dont chaque élément, fourchettes, couteaux, ouvre-bouteilles, est sorti des mains de cet artisan.
«Mon grand frère m'a appris le métier en 1950 », raconte-t-il à L'Orient-Le Jour, en jouant avec une corne de buffle qui, une fois travaillée, sera le manche d'un couvert.

Si l'atelier ressemble à un antre, Joseph Aoun a vu le monde grâce à son métier. Depuis 1965, l'artisan va de foire en foire, surtout en Italie et en Allemagne. L'Italie, un mot dont la simple évocation fait pétiller les yeux bleus du vieux monsieur. C'est dans ce pays qu'il a monté ses premières expositions, là où il s'est forgé de solides amitiés. Un pays qu'il a sillonné, de village en village, et dont il a fini par parler la langue. « Les plus beaux moments de ma vie, je les ai vécus lors des expositions de Milan, je m'y rendais chaque année, dit-il souriant. C'était la belle vie, il n'y avait ni terrorisme ni guerre à l'époque. »

 

 

Dans l'arrière-boutique, les outils de travail de M. Aoun sont éparpillés : des ciseaux à bois, des scies, des râpes, des pinces... Tout est ancien et poussiéreux. Quelques cornes de buffle, de mouton ou de chèvre traînent sur un pan d'atelier. Elles ont été brulées loin de l'atelier, « à cause de la mauvaise odeur » précise le vieil homme. Mais c'est dans l'atelier qu'elles seront façonnées en forme d'élégant oiseau et deviendront manche d'une fourchette ou d'un couteau. Des femmes sont ensuite chargées de peindre minutieusement les détails, des petits points souvent blancs ou rouges, sur une corne blanche ou noire.

D'une armoire en bois, M. Aoun tire quelques fourchettes, couteaux et cuillères, de l'argenterie offerte par l'ambassade d'Italie. « L'ambassade italienne nous aide beaucoup » explique-t-il.
Une phrase dans le creux de laquelle se trouvent une peur, celle que son artisanat disparaisse avec lui, et un reproche, au gouvernement libanais, qui semble insensible à une telle éventualité.
« Nous avons peur que notre artisanat meure, nous ne recevons aucune aide, le gouvernement ne nous aide pas », se désole Joseph Aoun. « Cela fait maintenant 64 ans que je travaille et je suis très triste de voir que cette profession est en train de mourir. Je perds la tête à force d'en parler. Nous avons besoin d'une décision radicale qui nous sauve » martèle-t-il. Énumérant ceux qui ont reçu au fil des ans, de la part d'un président libanais, ses services de coutellerie – Fidel Castro, le pape Jean-Paul II, Jacques Chirac, Carlos Slim –, l'artisan se demande ce que recevront les futurs grands visiteurs du Liban. « On va leur offrir quoi? Une veste et un pantalon? Où va-t-on trouver mieux que cet artisanat? Mes couteaux sont fait-main et sont libanais!» s'insurge-t-il.

Joseph Aoun, président de la coopérative de l'artisanat de Jezzine, qui compte 11 ateliers de coutellerie, est aussi triste de constater que ses collègues «travaillent tous le plastique ». «J'essaie de les convaincre d'utiliser la corne, mais c'est plus difficile à travailler. Alors ils renoncent. Dommage...» soupire-t-il. Lui-même admet avoir parfois recours au plastique, plus rapide, plus facile à utiliser et moins cher. Mais il ne lâchera pas la corne.
Et il n'y a pas que le problème du plastique. Il y a celui de la relève aussi, inexistante. M. Aoun a une fille et trois garçons. L'un est gynécologue, l'autre ingénieur et le troisième moukhtar. Ils l'aident, « de temps en temps»...

Prochain rendez-vous : Les savons artisanaux de Saïda

 

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Dans le vieux souk de Jezzine, une pléthore d'ateliers proposent à la vente les couteaux qui font la renommée des artisans de ce village du Liban-Sud. Mais parmi les officines proposant des couteaux fabriqués de manière véritablement traditionnelle, il n'en reste qu'une : celle de Joseph Aoun, 85 ans.Joseph Aoun est un nostalgique. Les symptômes de son état filtrent dans ses...

commentaires (3)

QUELQU'UN D'AUTRE... S'ACCROCHE AUX COUTEAUX DES CORNES... LOL !!!

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 30, le 29 août 2014

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Commentaires (3)

  • QUELQU'UN D'AUTRE... S'ACCROCHE AUX COUTEAUX DES CORNES... LOL !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 30, le 29 août 2014

  • M. Aoun a tout à fait raison ,la relève est difficile dans tout ce qui est fait main de nos jours . Les jeunes sont impatients et personne pour encourager tout ce qui est artisanal.

    Sabbagha Antoine

    09 h 04, le 29 août 2014

  • C'est quand même triste de constater, une fois de plus, à quel point le gouvernement fait peu pour protéger et mettre en valeur (voire, l'ignore) la richesse du patrimoine libanais ainsi que l'immense esprit d'initiative et le potentiel qu'offre le peuple libanais, jeunes et vieux, au niveau professionnel, artistique, intellectuel ... Tout comme notre eau qui va tout droit à la mer depuis trop longtemps, notre richesse se volatilise lentement mais sûrement, ou est offerte à d'autres... Si nos dirigeants utilisaient un peu de leur énergie à sauver ce pays et lui redonner sa vraie place dans le monde au lieu de le laisser macérer dans des problèmes destructeurs...

    NAUFAL SORAYA

    07 h 53, le 29 août 2014

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