« J'aime mon travail », répète le maître saintier à l'envi. Depuis plus de 17 ans, Naffah Naffah fond des cloches à Beit Chabab, un village au nord-est de Beyrouth.
Les mains enfoncées dans la terre glaise qui, mélangée avec du foin et des poils de chèvre, permettra de façonner les moules d'une cloche, devant la gueule brûlante de son four, Naffah Naffah semble ne jamais devoir se départir de son sourire.
En cette matinée d'été, un de ses clients, Fadi Maarouf, la trentaine, est venu jeter un œil à la cloche qu'il a commandée. « Cette cloche, je veux l'offrir à mon village, Ammiq (dans le Chouf), au nom de mon père (...) Elle est destinée à l'église Saint-Michel », explique-t-il. Nassif, un ami de Naffah, est également passé à l'atelier pour récupérer quelques clochettes que le maître saintier a confectionnées spécialement pour ses chèvres. Tout content, il les agite et se réjouit de leur tintement.
Transmission
Naffah Naffah n'est pas le premier à fondre des cloches à Beit Chabab. La manufacture à Beit Chabab remonte au début du XVIIIe siècle, avec l'arrivée d'artisans russes qui ont transmis leur savoir. Un ancêtre de Naffah Naffah, Joseph Gabriel, était là. Il a appris de ces artisans et s'est lancé dans l'artisanat des cloches. Après avoir fondu sa première cloche, Joseph Gabriel a été surnommé « Youssef Naffah » (« Naffah » vient du verbe « yanfah » en arabe qui signifie être utile). « C'est ainsi qu'est née la famille Naffah au sein de laquelle le savoir-faire se transmet de père en fils », raconte Naffah, solennel.
De 1700 à 1900, dix ateliers de cloches ont vu le jour à Beit Chabab. Mais en 1914, poursuit le fondeur, beaucoup d'artisans ont quitté Beit Chabab alors que d'autres sont morts. Lors de la Seconde Guerre mondiale en 1940, il ne restait plus que deux ateliers dont celui du grand-père de Naffah, ajoute-t-il. « En 2000, mon père et mon oncle sont décédés. Heureusement, ils m'avaient déjà appris le métier. Lorsque mon cousin est décédé en 2003, je suis devenu le seul fondeur de cloches », explique-t-il.
« Je suis le dernier à perpétuer cette affaire familiale. Si mes fils, Joseph (9 ans) et Charbel (7 ans), ne reprennent pas le flambeau, ce sera la fin des cloches artisanales à Beit Chabab, au Liban et dans tout le Moyen-Orient », souligne Naffah. Et comme pour sensibiliser ses garçons au métier, Naffah leur a fabriqué de petites cloches, que Joseph et Charbel ont été invités à monter sur une structure en Lego.
Rituel
Aujourd'hui, le dernier saintier de Beit Chabab peut fabriquer jusqu'à cinq cloches par mois. Pour chaque cloche, il commence par façonner les moules intérieur et extérieur. Le fondeur fait tout à la main, même les jougs (montures) qui permettent d'installer les cloches dans le clocher.
Une fois que les moules sont secs, Naffah Naffah fait tourner son four à plein régime. Mais avant de laisser le métal fondu couler, via deux grands bras, dans l'espace entre les moules, le fondeur bénit sa future cloche en invoquant les saints libanais. Pour Naffah, la fabrication des cloches est plus qu'un acte artisanal, c'est un rituel spirituel et religieux.
Il faudra ensuite quelques heures pour que le métal refroidisse, et que Naffah puisse casser les moules, laissant apparaître la cloche qui sera encore polie. Une fois les finitions terminées, il grave toutes ses cloches en bronze du sceau de « Naffah Naffah et fils », « pour bien les préparer à la succession ».
Où vont les cloches ?
Le maître saintier de Beit Chabab fabrique 50 à 60 cloches par an. Des cloches qui pèsent entre 60 et 250 kilos et sont vendues à 35 dollars le kilo.
Ses cloches, Naffah Naffah les vend surtout dans les pays arabes où résident encore des chrétiens : en Irak (?), en Égypte, en Jordanie, en Syrie, en Palestine et bien sûr au Liban. Mais ses cloches vont parfois plus loin. « J'ai vendu mes cloches en France, en Australie, au Canada où beaucoup de Libanais sont installés, et l'année dernière, j'en ai même vendu quatre au Texas au nom de saint Charbel », s'exclame-t-il. Il sourit, puis rapidement replonge ses mains, un brin théâtral, dans la « terre de Beit Chabab ».
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commentaires (1)
Beau métier! Naffah Naffah peut être fier de lui-même et de ce qu'il produit!!! C'est bien dommage qu'il n'y ait personne pour prendre la suite... N'y a-t-il pas une ONG pour assurer la pérennité des métiers et traditions libanais en voie de disparition?
NAUFAL SORAYA
09 h 00, le 15 août 2014