Les avis de deux constitutionnalistes, sollicités par L'Orient-Le Jour, sur la proposition d'élire un président de la République au suffrage universel s'ouvrent sur l'expression d'une réticence certaine. « Cette proposition n'est pas sérieuse et ne vaut pas la peine d'être débattue », déclare ainsi à L'OLJ le constitutionnaliste de référence Hassan Rifaï. Le second expert interrogé fait état, pour sa part, d'une « dérobade, le Liban ayant épuisé son processus constituant essentiel avec les accords de Taëf ». Autrement dit, « les problématiques essentielles ont été longuement débattues, examinées, documentées, surtout concernant les prérogatives du chef de l'État », ajoute la source, rappelant que « la meilleure constitution n'est pas un remède mais une ordonnance. Comment peut-on tester son efficacité si le patient ne s'y est pas conformé ? ».
Sur la forme déjà, la proposition de loi prévoit une modification du mode d'élection du président, mais omet – en valorisant d'ailleurs cette omission – de toucher aux prérogatives présidentielles. Il s'agit d'une dérogation aux règles élémentaires de la rigueur juridique, la modification du mode d'élection du chef de l'État devant s'accompagner forcément d'un élargissement ou d'une restriction de ses prérogatives. Ce manquement comporte une faille plus grave, sur le fond, celle d'occulter « le changement radical que produirait cet amendement sur tout le corps constitutionnel », relève la seconde source. En Suisse par exemple, l'idée récente d'élire le gouvernement collégial au suffrage populaire a été refusée par crainte de perturber les assises du système fédéral. « Refuser de réaménager le système est sans rapport avec l'exercice démocratique », souligne la source.
Hassan Rifaï rappelle que « l'élection du président de la République au suffrage universel conduit à un régime présidentiel ou semi-présidentiel ». Au Liban, ce changement porterait un coup à la « démocratie pluraliste », avec tout l'équilibre communautaire que celle-ci comporte. En termes concrets, cette proposition créerait de nouvelles problématiques, méconnues du système jusque-là, comme « la répartition tripartite, ou encore les revendications, par les deux autres présidences, d'un élargissement des prérogatives en contrepartie de celles accordées au chef de l'État ».
Or, la présidence de la République, qualifiée de « moyen » par les auteurs de la proposition pour l'amendement constitutionnel (voir par ailleurs), se situe en réalité « au-delà de l'équilibre confessionnel » : le président est chargé de veiller sur cet équilibre. Il n'est donc pas un élément, un rouage ou un reflet de la formule libanaise, il en est le gardien, souligne la seconde source.
Le motif relatif à la marginalisation des chrétiens est encore plus « déplorable », se désole Hassan Rifaï. Il rappelle que les amendements de Taëf « n'ont fait que consacrer des coutumes existantes ». « Jamais, depuis 1943, le pouvoir exécutif n'a été aux mains du chef de l'État, mais du Conseil des ministres », fait-il remarquer à titre d'exemple. Plus encore, « si Taëf a ôté au président de la République la prérogative de révoquer un ministre, il en a également privé le Premier ministre ».
Alors que « la priorité de faire fonctionner les institutions devrait primer sur toute autre considération, ceux qui bloquent les échéances appellent à changer le système dont ils ont paralysé les rouages », conclut la seconde source. « Se prévaloir ainsi de sa propre turpitude porte un nom : la démagogie. »
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