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Mode - La collection Chanel Croisière 2014-2015

L’Orient fantasmé de Karl Lagerfeld

C'est à Dubaï, sur une petite île artificielle spécialement aménagée pour l'occasion, que Chanel a donné à voir le 13 mai courant sa collection croisière de la saison 2014-2015, entièrement inspirée de l'Orient. Karl Lagerfeld, ainsi que son entourage qui répétait le pitch en écho, affirmait s'être inspiré d'un « Orient fantasmé ». De fait, les éléments esthétiques de cette collection traversent l'histoire et la géographie du monde arabo-islamique, de l'Andalousie jusqu'à l'Inde en passant par le Maghreb et la Méditerranée orientale. Les autorités de l'émirat ont déroulé le tapis rouge au « kaiser » de la mode, facilitant toutes les procédures, accélérant les feux de signalisation et apportant leur écot à la fête avec un éclairage spécial de la skyline.

« The Island » et le chapiteau Chanel prêts pour le défilé Croisière 2015.

Ils étaient mille. Mille privilégiés du monde entier à avoir fait le déplacement pour assister à la féerie promise. À une encablure d'al-Jumeira, rédactrices de mode, blogueurs, milliardaires, stars du cinéma et de la musique, artistes de tous poils et de toutes plumes étaient déposés sur ce pier improvisé, une ligne pure saupoudrée de sable qui fendait, en direction de l'horizon, une mer où clapotaient doucement des vaguelettes bien élevées. Là, des barques traditionnelles, les « abra » ornées de lanternes et de tentures rouges, embarquaient pêle-mêle Vanessa Paradis, Benjamin Biolay, Tilda Swinton, Anna Mouglalis, Alice Dellal, Zhou Xun, Dakota Fanning, Freida Pinto, Elisa Sednaoui, Yasmine Hamdan, Nadine Labaki, Razane Jammal ou Abdalla el-Kaabi avec une foule de personnalités connues ou inconnues à qui l'on avait dit de venir en « flats » mais qui, pour la plupart, avaient pris le risque de mettre des talons. Le dress code était « casual chic », ce qui laissait libre cours à des interprétations très personnelles entre les deux pôles du « casual » et du « chic ». Cependant, c'est l'actuelle collection printemps-été 2014 de Chanel qui avait fédéré la majorité des présentes, en particulier le tweed effiloché rose et blanc (qui préfigurait l'entrée en force du keffieh que l'on découvrirait plus tard), les escarpins à guêtres en maille de coton blanc et l'imprimé palette dont paradaient au moins une dizaine d'exemplaires. Au débarcadère, un gué de bois traçait sur le sable le parcours à emprunter pour accéder au chapiteau construit en deux mois pour le défilé. L'île est tout entière illuminée par des milliers de bougies enfoncées dans le sable. Çà et là, des tentes proposent aux visiteurs une pose chicha sur la musique d'un oud et d'un pipeau. Mais on est dans la frénésie, et le moment n'est pas propice à ce genre de détente. C'est à peine si l'on accepte la datte traditionnelle et la gorgée de café à la cardamome. L'impatience, l'urgence, pour beaucoup, d'aborder les stars, de prendre des photos et d'être les premiers à les poster sur Instagram et autres blogs, créent un climat étrange sur cette île baptisée tout simplement « The Island ». Pour la poésie voulue par Chanel au coucher du soleil, avant cette nuit de pleine lune et de mille feux face à la ligne de crête tracée par les gratte-ciel de la ville, il faudra repasser.

Moucharabiés en double « C », chapiteau sur le sable et vision orientaliste
Le lieu du défilé est un cube monumental posé sur le sable. La façade est en verre et pour moitié entourée d'un moucharabié où se répètent à l'infini les deux « C » entrelacés du logo Chanel. On est bien dans la « Kaaba » du dieu Karl. Plusieurs rangées de petits salons de ciment, qui ressemblent à des châteaux de sable, offrent le confort – un peu trop bas pour les fourreaux et robes courtes – de leurs coussins écrus. Mais l'éternel problème diplomatique du premier rang est évité : tout le monde est « first raw », puisque les modèles passeront dans toutes les travées. Au milieu trônent le bar et le buffet où, surprise, officie le génial Nicolas Audi qui ajuste la tête d'un mouton. C'est beau et bon, et cette présence libanaise au summum du raffinement fait chaud au cœur. Le défilé ne tarde pas à démarrer sur fond de musique atmosphérique et éthérée qui rappelle les grands espaces sans enfoncer le clou du folklore local. Quand le premier mannequin fait son apparition, on est, en revanche, tout de suite dans la note. Sans s'écarter de la palette emblématique de Chanel, le blanc, le noir, l'or, le beige, le bleu marine et le rouge, Karl Lagerfeld a livré sa vision composite d'un Orient moderne, forcément entachée de clichés. Mousselines transparentes, ensembles sarouels et caracos découvrant le ventre façon « belly dancer », pantalons bouffants au volume exagéré par des superpositions de plissés, vestes également mises en volume par de grands reliefs de camélias, ou encore des créations minimalistes de tuniques sur pantalons cigarette, noires ou beiges, ornées d'une simple plume dorée ou argentée sur toute la ligne du col. On verra aussi le fameux imprimé keffieh, ce tissu qui est un peu le tartan des tribus bédouines et qui devint, dès les premières guerres de libération, le symbole d'appartenance et de résistance des combattants palestiniens. Mais cette référence n'est qu'involontairement politique. Elle fait partie d'une certaine identité que Chanel décale avec force paillettes et récupère brillamment pour le célèbre tweed de ses tailleurs, en rouge, fuchsia ou noir. La broderie susani, bien qu'ouzbèke, se prête à une intégration pleine d'humour du camélia emblématique de la maison. C'est sur ce module, d'ailleurs, que s'épanouissent les imprimés fleuris de cette collection qui réinterprète également le kilim et les azulejos, ces céramiques hispano-mauresques qui semblent sorties d'un kaléidoscope. Mais Lagerfeld va encore plus loin dans son interprétation de l'Orient contemporain. Il fait défiler des sacs en forme de jerricans d'essence, des bracelets en forme d'os de chameau, des bijoux en forme de « battula », ce masque rigide que portent les femmes dans les sociétés arabes ultraconservatrices et qui, chez Chanel, s'ornent de chapelets de perles siglés. Mieux, certaines robes de soirée en mousseline noire sont ornées de broderies reprenant la silhouette de la désormais légendaire skyline de Dubaï. On retiendra surtout, parmi les accessoires, les sublimes babouches à brides dorées qui seront à coup sûr le best-seller de cette prochaine « Croisière ». Il y aura aussi, moins fédérateurs car plus décalés, les bas « thongs ». Et on craquera immanquablement pour les bijoux de mains. Les coiffures ébouriffées ou plates surmontées de diadèmes en forme de croissant de lune, les fermoirs des sacs où le double « C » joue des croissants de lune entrelacés seront également iconique, de même que le maquillage qui souligne le regard avec des paillettes d'or au creux des yeux. On se demande cependant combien adhéreront à l'idée des sandales à semelles plexi où clignote une lumière bleue.

 

La collection a fait débat
Malgré la magie du moment et l'opulence de la collection, la perfection des coupes, la beauté des imprimés et des broderies, l'idée de s'asseoir dans le sable, de porter en broderie la skyline de leur ville, le motif keffieh ou les sacs en forme de jerricans a été accueillie par les fashionistas locales avec un amusement mitigé . Trop orientale ou pas assez ? La collection croisière 2015 de Chanel a suscité des débats animés. Cet Orient fantasmé, vu par un créateur occidental, serait-il, pour les natives, « incorrect » à force de clichés ? Serait-il au contraire, pour les Européennes, trop oriental pour y adhérer? L'apparition en finale du filleul de Karl Lagerfeld, le petit Hudson Kroenig, 4 ans, vêtu d'un thob immaculé souligné d'un collier en or et chaussé de babouches blanches, a mis tout le monde d'accord : la mode doit être regardée avec des yeux d'enfant. Et si, dans ce défilé entre Mille et une Nuits, Disney et Shéhérazade, on n'a pas vu passer le marchand de sable, c'est qu'on n'avait – vraiment – pas envie de dormir. Le concert privé de Janelle (non, pas Chanelle !) Monae a parachevé la magie de cet événement qui se préparait entre les équipes de Paris et l'enthousiaste et courageuse petite équipe de Chanel Dubaï depuis six mois. Quoi qu'il arrive, on en parlera encore longtemps, et les esprits chagrins qui bouderont les « fashion pieces » de cette collection en feront bon gré mal gré des « conversation pieces ».

(Crédit photos Olivier Saillant)

 

Ils étaient mille. Mille privilégiés du monde entier à avoir fait le déplacement pour assister à la féerie promise. À une encablure d'al-Jumeira, rédactrices de mode, blogueurs, milliardaires, stars du cinéma et de la musique, artistes de tous poils et de toutes plumes étaient déposés sur ce pier improvisé, une ligne pure saupoudrée de sable qui fendait, en direction de l'horizon,...

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