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Moyen Orient et Monde - Commentaire

De la difficulté à s’excuser

Les excuses, ou l'absence d'excuses, font à nouveau les titres des journaux et posent la question de leur utilité pour résoudre les différends internationaux. Il ne fait aucun doute que des excuses sincères et en temps voulu contribuent à alléger les tensions entre deux personnes. Ce constat s'applique-t-il à la diplomatie ?


Dans certains cas, cette question prend la forme d'un intermède superficiel, comme l'illustrent par exemple les excuses des États-Unis exigées par le président afghan Hamid Karzaï fin 2013 pour des victimes civiles involontaires – le prix à payer, incidemment, pour avoir permis aux Américains de continuer à le défendre, ainsi que son pays (les États-Unis ont, sans surprise, refusé de s'excuser). Dans d'autres cas, les enjeux ont fini par atteindre des sommets. Depuis novembre dernier, les relations bilatérales entre l'Indonésie et l'Australie sont devenues plus tendues qu'elles ne l'ont été depuis des décennies, à cause de la fureur du président Susilo Bambang Yudhoyono née du refus du gouvernement australien de présenter des excuses pour avoir mis son téléphone privé (et celui de sa femme) sur écoute. Et la visite du Premier ministre japonais Shinzo Abe au sanctuaire Yasukuni, qui honore les Japonais tués au combat – dont, depuis 1978, les criminels de guerre condamnés par les Alliés – a rouvert de vieilles blessures dans les pays voisins du Japon, qui jugent que les autorités nippones n'ont jamais vraiment fait amende honorable pour les atrocités du passé militariste de ce pays. Cette visite a en tout cas rendu plus tendu encore le face-à-face entre la Chine et le Japon au sujet d'une querelle de souveraineté sur les îles Diaoyu/Senkaku en mer de Chine orientale.


En ce qui concerne la réaction de l'Indonésie aux révélations faites par l'ancien consultant américain Edward J. Snowden sur l'espionnage du couple présidentiel par l'Australie, une excuse personnelle du Premier ministre Tony Abbott aurait fait toute la différence. Il n'avait qu'à suivre le script de la réponse du président américain Barack Obama à la chancelière allemande Angela Merkel lorsque les États-Unis ont été pareillement pris en défaut. Et s'il avait couplé ses excuses à la simple promesse de « revoir les processus et les priorités de collectes de renseignements, il n'aurait sans doute pas été nécessaire, comme l'ont fait les États-Unis, de s'engager à mettre fin à la surveillance des dirigeants des pays amis et alliés ». J'étais à Djakarta à ce moment-là et suis parvenu à cette conclusion après avoir discuté avec des fonctionnaires très haut placés du gouvernement, et j'en ai avisé le gouvernement australien en conséquence. Mais celui-ci a estimé qu'en ce qui concerne les affaires d'espionnage, les excuses sont pour les mauviettes. Compte tenu des élections imminentes en Indonésie et du fort sentiment nationaliste qui y règne, il est fort probable que l'Australie paiera longtemps le prix diplomatique de ce point de vue, sauf à en changer.


Le cas du Japon est plus complexe. À la suite de fortes pressions internationales dans les années 1980 et 1990 – auxquelles j'espère avoir contribué en qualité de ministre australien des Affaires étrangères –, le gouvernement japonais a présenté une série d'excuses de grande portée. Il faut notamment souligner la déclaration de 1993 du chef de cabinet de l'époque, Yohei Kono, sur la question des « femmes de réconfort » et l'expression du « profond remords et des excuses sincères » du Premier ministre Tomiichi Murayama lors des commémorations du cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.


Ces excuses publiques n'ont pas été explicitement reniées par la suite ; en fait, ce mois-ci, le ministre des Affaires étrangères Fumio Kishida a précisé que les membres du cabinet Abe n'ont jamais nié les déclarations Kono et Murayama. Mais à l'exception de l'acceptation courtoise de ces excuses par le président sud-coréen d'alors, Kim Dae-jung, en 1998, les excuses du Japon n'ont jamais eu un très grand écho dans la région parce qu'elles se sont régulièrement accompagnées de manœuvres dilatoires et de recul sur ces questions. La Diète japonaise, par exemple, n'a pas approuvé la déclaration de Muruyama en 1995, acceptant seulement de faire part d'un « profond sentiment de remords » (avec l'abstention de 241 députés). Et, surtout, les pèlerinages répétés des dirigeants nippons à Yasukuni passent mal. Le sanctuaire n'a pas seulement enregistré les criminels de guerre dans son Livre des âmes ; il abrite également le musée Yushukan qui glorifie les conquêtes militaires du Japon dans les années 1930 et 1940 comme des « guerres justes livrées pour la survie et l'autodéfense » ou pour la « libération de l'Asie ».


Certaines des réactions outrées des pays voisins du Japon sont probablement d'une sincérité douteuse. Les Sud-Coréens ont souvent refusé de reconnaître le nombre et la portée des déclarations japonaises sur les femmes de réconfort (esclaves sexuelles pour les soldats japonais) et le montant des compensations proposées. De son côté, le gouvernement chinois mobilise périodiquement le sentiment nationaliste pour détourner l'attention de problèmes intérieurs. La Chine a aussi en partie encouragé la position tranchée actuelle de Abe en décrétant une zone aérienne d'identification en mer de Chine orientale, au-delà de son espace aérien reconnu – une décision qui, sans être illégale, est certainement provocatrice.


Mais le Japon aurait pu et devrait faire plus pour donner une véritable substance à ses excuses, comme l'a fait l'Allemagne. Depuis 1970 au moins, les autorités allemandes ont adopté une approche détaillée et crédible pour expier le passé nazi du pays, en reconnaissant pleinement ses atrocités dans les programmes scolaires et les représentant clairement dans les musées, monuments et cérémonies. Et le discours officiel à ce sujet est invariablement contrit. Ezra Vogel, un professeur de sciences sociales de l'université de Harvard, s'il n'épargne pas la Chine, a récemment défini des stratégies que le Japon pourrait adopter pour désamorcer les litiges historiques. Vogel recommande la rédaction d'un compte rendu officiel complet et objectif des souffrances causées par l'agression militaire japonaise, une étude plus longue de l'histoire moderne du Japon à l'université et l'inclusion des réactions et critiques régionales à cette étude.


Les diplomates peuvent s'inspirer de certains exemples des effets transformatifs d'excuses nationales. Le processus de réconciliation entre les Aborigènes et les Australiens blancs a fait un bond en avant grâce au discours de Redfern de l'ancien Premier ministre Paul Keating en 1992, au cours duquel il a dit : « Nous avons commis les meurtres. Nous avons enlevé les enfants à leurs mères. Nous avons pratiqué la discrimination et l'exclusion. C'était notre ignorance, et nos préjugés... ». De même, l'ancien Premier ministre Kevin Rudd a présenté des excuses officielles en 2008 pour les « générations volées », plusieurs générations d'enfants aborigènes enlevés à leurs familles par des travailleurs sociaux.


Il existe aussi des situations où les excuses ne sont pas de mise parce que les deux parties conviennent d'aller de l'avant. Et les excuses qui n'en sont pas – par exemple, « je suis désolé si vous pensez que je vous ai offensé » – sont souvent pires que pas d'excuses du tout, même si elles font partie du fonds de commerce diplomatique, que j'ai moi-même hélas utilisé. On peut aussi envisager que des excuses sincères puissent avoir un effet contraire au but recherché en provoquant une réponse d'extrémistes locaux et ainsi donner lieu à une réaction en chaîne. Je n'irais toutefois pas jusqu'à conclure que les excuses du Japon aient un solde net négatif à cet égard.


Les arguments à ce sujet se poursuivront. Il est toutefois difficile de croire qu'une excuse sincère n'ait pas une influence réparatrice lorsqu'un tort a été commis. En public, comme dans la vie privée, des excuses sincères sont un formidable outil qui devrait être utilisé plus souvent et avec moins d'appréhension.

 

Traduit de l'anglais par Julia Gallin. © Project Syndicate, 2014.

 

*Gareth Evans, ministre australien des Affaires étrangères de 1988 à 1996, et président de l'International Crisis Group de 2000 à 2009, co-préside le Centre mondial pour la responsabilité de protéger, basé à New York.

Les excuses, ou l'absence d'excuses, font à nouveau les titres des journaux et posent la question de leur utilité pour résoudre les différends internationaux. Il ne fait aucun doute que des excuses sincères et en temps voulu contribuent à alléger les tensions entre deux personnes. Ce constat s'applique-t-il à la diplomatie ?
Dans certains cas, cette question prend la forme d'un intermède superficiel, comme l'illustrent par exemple les excuses des États-Unis exigées par le président afghan Hamid Karzaï fin 2013 pour des victimes civiles involontaires – le prix à payer, incidemment, pour avoir permis aux Américains de continuer à le défendre, ainsi que son pays (les États-Unis ont, sans surprise, refusé de s'excuser). Dans d'autres cas, les enjeux ont fini par atteindre des sommets. Depuis novembre dernier, les...
commentaires (3)

Si tous les états du monde accepte de donner une juridiction indépendante a l'ONU lui permettant d’établir un tribunal international permanent qui lui permettra de prendre, avec toute indépendance et souveraineté, la charge de cas pareils et élimine les droits de veto aux dites 5 puissances mondiales, je pense que nous éviterons grandement les guerres du style 1ère et 2ème guerre mondiale comme toutes celles survenues après, allant de la guerre de Corée a la guerre Arabo-Israélienne, qui n'en fini pas, a la guerre Chiite-sunnites au terrorismes, etc... sans oublier notre pauvre Liban sujet de toutes les convoitises, et nous n'aurons plus besoin de nous confondre en excuses car tous penseront 10 fois avant d'agir. Un rêve? Peut être, mais il faut se battre pour y arriver. De toutes manière, tout politique ayant trempe dans n'importe quel conflit se doit d’être jugé et remis en question une fois la paix revenue. Au Liban nous pendrons les 98%.

Pierre Hadjigeorgiou

09 h 54, le 31 janvier 2014

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Commentaires (3)

  • Si tous les états du monde accepte de donner une juridiction indépendante a l'ONU lui permettant d’établir un tribunal international permanent qui lui permettra de prendre, avec toute indépendance et souveraineté, la charge de cas pareils et élimine les droits de veto aux dites 5 puissances mondiales, je pense que nous éviterons grandement les guerres du style 1ère et 2ème guerre mondiale comme toutes celles survenues après, allant de la guerre de Corée a la guerre Arabo-Israélienne, qui n'en fini pas, a la guerre Chiite-sunnites au terrorismes, etc... sans oublier notre pauvre Liban sujet de toutes les convoitises, et nous n'aurons plus besoin de nous confondre en excuses car tous penseront 10 fois avant d'agir. Un rêve? Peut être, mais il faut se battre pour y arriver. De toutes manière, tout politique ayant trempe dans n'importe quel conflit se doit d’être jugé et remis en question une fois la paix revenue. Au Liban nous pendrons les 98%.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 54, le 31 janvier 2014

  • La dictature de Damas devrait présenter tant d'excuses au Liban pour sa nuisance et ce qu'elle lui a fait endurer durant plus de quarante ans ! Toutefois elle n'en présentera jamais une.

    Halim Abou Chacra

    05 h 27, le 31 janvier 2014

  • Ou, "Alice" au pays des merveilles et dans ce monde merveilleux et imaginaiiire !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    02 h 31, le 31 janvier 2014

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