Q. Pensez-vous que les deux parties syriennes feront des concessions pour arriver à un compromis, du moins pour un cessez-le-feu, ou sur le plan humanitaire ?
R. Je ne pense pas que les deux délégations soient venues à Genève avec l'objectif de faire un compromis. La Coalition nationale syrienne (CNS) s'est rendue à la conférence contrainte et forcée par ses soutiens occidentaux et arabes, suscitant en son sein une véritable crise. C'est d'ailleurs à se demander si la CNS va survivre à la conférence de Genève. Quant à la délégation du gouvernement syrien, il s'agit simplement de réhabiliter le régime au niveau international. Qui aurait pu imaginer il y a un an que les représentants de Bachar el-Assad seraient invités à une telle conférence ?
L'ouverture à Montreux a servi de tribune à un Walid Moallem au mieux de sa forme, tandis qu'Ahmad Jarba s'est révélé un piètre orateur, au point qu'il a dû être remplacé pour conduire les négociations, ce qui a provoqué une nouvelle dispute dans la délégation pour savoir qui devait mener les pourparlers. Le second objectif du gouvernement syrien est atteint : accentuer la division d'une Coalition passée maîtresse dans l'art d'exaspérer les diplomates occidentaux.
La délégation du gouvernement syrien peut proposer un cessez-le-feu, comme à Alep dernièrement. Elle sait très bien que la CNS n'ayant aucune emprise sur les rebelles, il ne sera pas respecté. Cette proposition ne vise qu'à décrédibiliser la CNS en prouvant son impuissance et son absence de représentativité. La CNS rejette donc le cessez-le-feu en prétextant une manœuvre du régime. En ce qui concerne l'humanitaire, le gouvernement syrien est prêt à quelques concessions pour montrer sa bonne volonté à la communauté internationale.
Estimez-vous que les divisions de la communauté internationale influencent négativement le déroulement des négociations ?
La Russie et les États-Unis sont d'accord pour lutter contre le terrorisme islamique qui se développe en Syrie. Mais ils divergent encore sur la méthode pour le combattre. La Russie affirme qu'il faut conserver le régime de Bachar el-Assad, même si elle reste ambiguë sur le sort du président syrien, car il est, selon eux, le meilleur rempart contre le terrorisme. Les États-Unis pensent que le régime du président Assad est responsable, car son fonctionnement et l'obstination de son chef à s'accrocher au pouvoir créent un appel d'air pour le terrorisme. Derrière ces deux interprétations se cache une opposition entre deux impérialismes dont la Syrie est la victime, comme le Liban durant la guerre civile. Néanmoins, il existe tout de même un point de convergence entre les deux grandes puissances qui peut influencer positivement les négociations. En revanche, les positions de l'Arabie saoudite et de l'Iran sont irréconciliables.
Quelle serait selon vous la démarche à suivre, en cas d'échec total des pourparlers ?
Il est clair que les pourparlers seront un échec, si nous considérons qu'il n'y aura pas de cessez-le-feu ni de gouvernement de transition piloté par l'opposition syrienne. Le régime syrien se trouve dans une dynamique de victoire, alors pourquoi négocierait-il avec une quelconque opposition politique si ce n'est pour obtenir sa reddition ? En fait, lorsque le régime syrien dialogue avec la délégation de la CNS, il dialogue avec les États-Unis et, dans une moindre mesure, l'Arabie saoudite, car avec cette dernière le dialogue est plutôt sur le champ de bataille.
En l'absence d'une intervention militaire étrangère massive comme ce fut le cas en Irak, le régime alaouite ne peut que se maintenir. Si l'objectif de la communauté internationale est d'obtenir une paix rapide en Syrie, il faut convaincre l'Arabie saoudite et la Turquie de cesser d'aider les rebelles. Dans le cas contraire, si les pays occidentaux veulent vraiment la tête de Bachar el-Assad, et par conséquent un changement de régime en Syrie, ce n'est pas par la négociation qu'ils l'obtiendront, mais est-ce possible, sont-ils prêts à en payer le prix et ensuite assumer celui de la stabilisation du Proche-Orient arabe ? La France, par la voix de Laurent Fabius, a récemment évolué sur la question : « La solution en Syrie ne peut être que politique », alors qu'en juin 2013, il affirmait vouloir « changer le rapport de force militaire ». La conférence sera donc un échec par rapport aux objectifs initiaux des Occidentaux, mais elle sera présentée comme un relatif succès par ses parrains, appelant d'autres conférences de ce type.
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19 h 04, le 27 janvier 2014