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Liban - Entretien

Amin Maalouf à « L’OLJ »: Il y a au Liban une longue pratique du conflit et de la réconciliation

Il est au Liban pour quelques jours, qu’on aimerait voir se répéter. On se prend à souhaiter qu’il reste à l’affût de ce qui peut aider à dépasser l’enfermement politique et idéologique ou simplement intellectuel qui est le nôtre. Mais son éloignement, malheureusement, l’en empêche.

Un accueil triomphal a été réservé à Amin Maalouf au Salon du livre. Photo Michel Sayegh

Les choses pourraient changer. Car il est ravi, et l’Université Saint-Joseph le lui rend bien, d’être l’hôte d’une institution prestigieuse, d’avoir participé pour la première fois aux réunions de son conseil stratégique dont il fait désormais partie et d’être associé à son avenir et ses options fondamentales. Il y siège en même temps qu’Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle d’une Académie française à laquelle son propre nom est désormais lié.
Il se félicite de la distinction honorifique qu’il a reçue des mains du président Michel Sleiman et du timbre qui sera bientôt mis en circulation à son effigie. Le rôle de passeur et de trait d’union, on peut être sûr qu’Amin Maalouf saura le jouer, dans les limites de temps que sa vocation d’écrivain lui laisse et des devoirs que sa fonction officielle d’académicien lui impose désormais. Il lit beaucoup : des classiques, des livres historiques – en ce moment, c’est le dernier ouvrage de Fukuyama – sans compter les lectures liées à la rentrée littéraire en France.
Nous le rencontrons dans l’atrium de la Résidence des Pins, où il loge durant son séjour au Liban. Il porte bien ses 64 ans. Avec gentillesse et intelligence, timidité même, en étrange contraste avec sa célébrité qui ne lui est pas montée à la tête, il répond à quelques questions qui portent moins sur son œuvre que sur l’avenir du monde, tel qu’il le pressent :

 


Q- Votre livre Le Dérèglement du monde brosse de notre temps une image sombre. S’est-elle encore assombrie depuis que vous l’avez publié, et quelle est la place du Liban dans cette espèce de chaos ou de ce nouveau désordre qui se met en place ?
R- Je pense qu’il y a effectivement un dérèglement qui s’aggrave, et qui est lié à la question des identités. Ce désordre se répercute, dans ma vision du Liban, à deux niveaux. D’un côté, il est clair que le Liban est pris dans une zone très tumultueuse et on ne voit pas à cet instant comment les choses vont évoluer. Je pense qu’on passe par une zone de risques qui sera malheureusement assez longue et imprévisible.
D’un autre côté, et ce serait mon visage malgré tout optimiste, je crois qu’on a besoin de plus en plus d’expériences positives en matière d’identité et si le Liban réussit à en donner un exemple, je pense qu’il a un avenir. Enfin, l’idéal libanais aura un avenir. Nous sommes dans une zone où les questions communautaires commencent à prendre une importance démesurée. Or le Liban a une grande expérience de ces questions ; je dirais même qu’il a plus que d’autres l’habitude de les gérer, qu’il a une longue pratique du conflit et de la réconciliation. Dans d’autres pays, on observe malheureusement le conflit, on ne voit pas véritablement les perspectives de réconciliation.

 


Vous regrettez dans votre livre que l’Europe n’ait pas su exercer le leadership moral que le monde attend d’elle. Pouvez-vous commenter un peu plus cette question ?
Je pense qu’il y a eu à l’évidence une avancée énorme sur le plan des sciences, des technologies, sur le plan économique. Mais malheureusement, les mentalités n’ont pas suivi. Nous n’avons pas le niveau d’harmonie entre les différentes populations ou États du monde qui autorise une meilleure gestion du monde. Au contraire, j’ai l’impression que les tensions augmentent, que les problèmes identitaires augmentent partout.
S’agissant de l’Europe : l’Europe a été « éduquée » par l’histoire. Elle a eu des expériences coloniales qui ont été désastreuses pour les peuples colonisés et pour elle. Je ne dis pas que le désastre était le seul aspect, mais je dis qu’il existait indiscutablement. Elle a été aussi traumatisée par deux guerres mondiales, plus la période qu’on a appelée guerre froide. L’Europe a donc été traumatisée par l’histoire, et aujourd’hui, parce qu’elle a été « civilisée » par l’histoire, elle peut jouer un rôle à dimension éthique que, malheureusement, elle n’est pas en train de jouer. Elle peut mettre son pouvoir économique et politique au service d’une véritable politique de paix dans le monde entier, mais à cause de traumatismes de l’histoire, elle est devenue timorée, et elle ne parvient pas à jouer ce rôle dont le monde a besoin.

 


Suicide de civilisation


Comment comprendre cette généralisation de la question éthique dans le monde ? Et pensez-vous que cette autorité morale pourrait être exercée par des autorités religieuses ? Ou par l’Église catholique ?
Je pense que la gestion du monde en général par les puissances, les divers gouvernements ou les autorités religieuses n’est pas à la hauteur de l’étape atteinte aujourd’hui par l’humanité. Il y a une véritable dérive dans le monde de la religion qui, trop souvent, sert d’étendard à des combats politiques ou nationaux. Je pense en fait qu’il y a un véritable problème par rapport à la place de la religion dans beaucoup de sociétés, en particulier dans notre région, et que si l’on ne parvient pas à le dépasser, on va continuer à s’enfoncer avec, pour quelques-uns, l’illusion d’être en train d’opérer une renaissance, alors qu’à mon avis, c’est une sorte de suicide de civilisation.
L’Église catholique, elle, a été « éduquée » par le siècle des Lumières et le rôle qu’elle joue aujourd’hui dans la société peut être un élément de moralisation de la vie publique, sans qu’il y ait un risque d’une nouvelle tyrannie au nom de la religion. De ce point de vue, c’est encourageant.

 


Blind spots


Est-ce que vous suivez de près la politique au Liban ?
Pas de près. Malheureusement, j’ai un peu perdu la capacité d’analyser la situation comme cela. Par rapport au Liban, j’ai beaucoup plus de souhaits et d’espérances, qu’une analyse pertinente d’une réalité que maintenant je connais beaucoup moins bien.

Dans Les Désorientés, vous parlez des « blind spots », de ces surgissements imprévus de l’histoire dont on ne constate l’évidence qu’a posteriori. Quel serait, selon vous, l’actuel « blind spot » au Liban ?
Je ne suis pas sûr de le connaître. Ce qui est certain c’est qu’il y a des choses parfois très importantes que nous ne voyons pas, mais qui commencent à prendre de l’importance. Un exemple récent en économie : la découverte du gaz de schiste qui, il y a cinq, six ans était encore inconnu. Et soudain, il est apparu comme un facteur qui peut changer la donne en matière énergétique, et déjà il fait une différence, quand on regarde l’économie américaine. Elle a déjà acquis certains avantages liés à ce degré d’autonomie énergétique que cela lui donne.

Jérusalem, Israël, est-ce que ce sont des choses auxquelles vous réfléchissez ?
Il est clair qu’il y a là un problème qui n’est pas résolu, et il est certain qu’il continue de créer des vagues un peu partout dans le monde. C’est comme une plaie qu’on n’a pas refermée. Je pense qu’on aurait pu, avec un peu de bonne volonté de part et d’autre, trouver un arrangement qui n’aurait pas été idéal, mais aurait assuré le minimum à toutes les populations de la région. On ne l’a pas fait. C’est un problème qui est plus difficile aujourd’hui à régler qu’il y a dix ans, infiniment plus difficile qu’il y a 50 ans, si difficile qu’on se demande s’il y aura encore vraiment un règlement. On est dans une situation où on ne voit pas réellement une perspective de paix. Nous vivons avec ça. Et tant qu’il n’y a pas une solution valable, on va rester dans une zone de turbulences. On y est depuis des décennies et cela va continuer.

 

 

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Les choses pourraient changer. Car il est ravi, et l’Université Saint-Joseph le lui rend bien, d’être l’hôte d’une institution prestigieuse, d’avoir participé pour la première fois aux réunions de son conseil stratégique dont il fait désormais partie et d’être associé à son avenir et ses options fondamentales. Il y siège en même temps qu’Hélène Carrère d’Encausse,...

commentaires (3)

Il est marrant lui...d'une autre époque,en quelque sorte.L'Académie l'a fossilisé.(Mais cette fossilisation était déjà en germe dans Les croisades vues par les arabes)Il ne voit donc pas,cet intellectuel(sic!),que le Liban a plutôt ,à présent,une longue pratique du conflit,et de la non-réconciliation?Ce monsieur,pour brillant qu'il soit,se paye de mots...de bon mots? voire!Il m'énerve,mais alors à un point!Un pur produit d'une pensée et d'une époque dépassées.

GEDEON Christian

12 h 00, le 12 novembre 2013

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Commentaires (3)

  • Il est marrant lui...d'une autre époque,en quelque sorte.L'Académie l'a fossilisé.(Mais cette fossilisation était déjà en germe dans Les croisades vues par les arabes)Il ne voit donc pas,cet intellectuel(sic!),que le Liban a plutôt ,à présent,une longue pratique du conflit,et de la non-réconciliation?Ce monsieur,pour brillant qu'il soit,se paye de mots...de bon mots? voire!Il m'énerve,mais alors à un point!Un pur produit d'une pensée et d'une époque dépassées.

    GEDEON Christian

    12 h 00, le 12 novembre 2013

  • La longue pratique du conflit et de la reconciliation comme le dit M. Amin Maalouf est la seule issue de secours qui pourra sauver le Liban un jour . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    15 h 42, le 11 novembre 2013

  • Pour le grand homme et grand écrivain Amine Maalouf, le Liban se caractérise par "une longue pratique du conflit et de la réconcliation". Je me permettrais de dire que le Liban est épuisé par cette dialectique, avec le risque qu'il n'en reste bientôt que le premier élément, le conflit. La cause en est bien connue : le changement de l'identité du Liban tous les jours par des "Libanais" non libanais.

    Halim Abou Chacra

    05 h 36, le 11 novembre 2013

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