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Culture - Vient de paraître

« La liste de Freud », entre vérité historique et fiction polémiste !

Roman dense, poignant, érudit et cruel comme la vie peut l’être, en particulier au cours de certaines périodes de l’histoire, « La liste de Freud » du jeune auteur macédonien Goce Smilevski, à peine édité en France, provoque déjà la polémique !

Sigmund Freud à son arrivée à Londres en 1938.

On ne s’attaque pas impunément au père fondateur de la psychanalyse. Le philosophe français Michel Onfray peut en témoigner. Son essai Le Crépuscule d’une idole visant à démonter «les affabulations freudiennes» lui avait valu il y a quelques années un véritable lynchage médiatique!
Idem pour Goce Smilevski, écrivain macédonien qui, sous forme – pernicieusement?! – romancée, déboule le mythe pour dresser de Sigmund Freud un portrait de misogyne pervers qui a abandonné ses sœurs aux mains des nazis à Vienne, tandis que lui prenait la route de l’exil vers Londres.
Récompensé par le Prix européen pour la littérature et traduit dans une vingtaine de langues, son roman La liste de Freud *, qui vient juste de sortir en France aux éditions Belfond, a été accueilli par une levée de boucliers des disciples du grand homme. Dont la plus virulente est sans doute la tribune qu’Élisabeth Roudinesco a publiée jeudi 19 septembre dans Le Monde des livres. L’historienne de la psychanalyse contredit la thèse du refus délibéré de Freud d’emmener ses sœurs avec lui en exil avancée par Goce Smilevski et qualifie son livre d’«aberrant, mal fagoté et rempli de poncifs».

Croisement de faits avérés et d’imagination
Mais revenons à la trame de cet ouvrage polémique: nous sommes à Vienne en 1938. Alors qu’on lui délivre des visas pour l’Angleterre, Freud est autorisé à soumettre une liste de vingt personnes à emmener avec lui. Outre sa femme Martha et sa fille Anna, il y inscrira les noms de sa belle-sœur, de son médecin, de ses infirmières, de ses servantes et même de son chien, mais pas ceux de ses sœurs: Rosa, Maria, Paula et Adolfina. Ces dernières ainsi abandonnées à Vienne finiront leurs jours dans le camp de concentration de Therensienstadt.
«Les faits sont avérés. On les retrouve dans les biographies de Freud. Mais son départ pour Londres, où il terminera sa vie dans une confortable demeure, et la mort de quatre de ses sœurs en déportation (seule l’aînée Anna, établie avec son époux aux États-Unis, y échappera) ne sont jamais mis en relation», a indiqué à l’AFP l’auteur macédonien de passage à Paris, la semaine dernière, pour la sortie de son roman en France.
«Les raisons de la décision de Freud ne sont pas connues. Je n’ai pu que les imaginer», poursuit Smilevski. Lequel laisse d’ailleurs au lecteur le soin de décider, en fonction de sa sensibilité personnelle, si Freud a fait preuve de mépris, d’indifférence, d’égoïsme monstrueux ou tout simplement d’aveuglement face à la menace nazie!
L’auteur, qui dit avoir voulu «se pencher sur le sort de ceux qui vivent dans l’ombre d’un personnage influent», en particulier les femmes «condamnées au silence et à l’oubli», donne voix tout au long de son livre à Adolfina, la sœur préférée de Freud.
C’est au travers des souvenirs de cette narratrice, à la sensibilité d’une écorchée vive, qui vouait une adoration à son frère, que Goce Smilevski décrit la structure familiale de Freud. Et dépeint par touches suggestives sa place particulière au sein de cette famille dominée par une mère frustrée et cruelle, son rapport aux femmes, son admiration de la culture allemande et sa relation d’une singulière complicité avec Adolfina avant qu’il ne l’abandonne à sa détresse.
Certes, il y a des petites erreurs factuelles, notamment en ce qui concerne «la mort de dénutrition d’Adolfina et non pas gazée, car il n’y avait pas de chambres à gaz à Therensienstadt», comme le relève Élisabeth Roudinesco. Pour cette dernière, «il n’y a jamais eu de liste et si ses sœurs, des femmes septuagénaires, n’ont pu quitter Vienne, c’est qu’il n’a pas réussi à leur obtenir de visas. Accuser Freud d’être responsable du destin de ses sœurs est d’une gravité insensée...»

Folie et détresse humaine
Mais ce roman, qui dessine aussi les portraits de Clara Klimt, sœur de Gustav Klimt et amie d’Adolfina, retrace les prémices des combats féministes dans cette Europe de la première moitié du XIXe siècle. De même qu’il plonge le lecteur – dans des pages d’une description presque chirurgicale et à la limite du supportable! – au cœur de la folie à travers l’internement – volontaire – d’Adolfina au «Nid», l’un des premiers établissements psychiatriques de l’époque inauguré par l’impératrice Élisabeth d’Autriche.
Né en 1975 à Skopje, l’auteur qui signe là son deuxième opus (il avait publié en 2002 un premier roman de genre intitulé Conversation avec Spinoza) confie dans l’épilogue de La liste de Freud (272 pages; traduit en français par Harita et Arthur Wybrands) qu’il lui a pris 7 ans et demi de travail entre recherches et écriture. Le résultat, tout contesté qu’il soit, est à la hauteur. Car ce livre, aussi vilipendé par les psychanalystes de l’école freudienne que salué par la critique littéraire, reste un profond «roman d’idées» sur la vie, la mort, le sexe, les sentiments, mais encore et surtout les fluctuantes frontières entre folie et normalité...

* Disponible en librairie.
On ne s’attaque pas impunément au père fondateur de la psychanalyse. Le philosophe français Michel Onfray peut en témoigner. Son essai Le Crépuscule d’une idole visant à démonter «les affabulations freudiennes» lui avait valu il y a quelques années un véritable lynchage médiatique! Idem pour Goce Smilevski, écrivain macédonien qui, sous forme – pernicieusement?! – romancée,...

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