Nous sommes réfugiés chez nous.
Depuis quelque temps, nous cherchons tous les jours un abri. Un abri contre le feu, un abri contre les flammes, un abri contre les trafics et les insultes, un abri contre les ennemis, dont on ne connaît plus vraiment le nom. Nous passons notre vie à fuir. Le flingue à la main ou l’alcool dans le sang, la fuite est inévitable.
Nous sommes réfugiés parce que là où on regarde, on trouve des réfugiés, syriens, palestiniens ou même libanais. C’est à croire que ce pays n’a rien de mieux à faire que d’abriter des réfugiés sur ses terres insécurisées, sans règles et sans obligations.
Comme les réfugiés, notre peuple est dispersé. À gauche et à droite, autour de nous, on voit non pas des frères, une diversité et une richesse, mais un manque d’unité nationale. Comme dans un match de foot où chaque membre de ce qui devrait constituer une équipe la joue perso, chacun court là ou il l’entend et chacun porte son drapeau. Vert, rouge, jaune, bleu, les couleurs du pays semblent avoir péri sous les cris des enfants.
Comme les réfugiés, nous ne jouissons plus d’une quelconque reconnaissance, qu’elle soit mondiale ou nationale. Plus personne ne parle pour nous, chacun parle pour soi. Nous nous déplaçons dans ce monde, tant bien que mal, dans l’espoir de trouver refuge. Mais quand on est réfugié même chez soi, on l’est encore plus ailleurs car quand le pays tombe, on n’a plus de maison.
Bien entendu, quand on est réfugié, on éprouve un sentiment propre à sa situation ; et celui qui ne l’a jamais vécue ne peut vraiment comprendre. En tant que réfugié, on vit dans la peur. Cette peur s’associe à un sentiment plus nuancé et particulier, un sentiment de désastre, de malheur et de malédiction qui se réveille à chaque explosion, à chaque attentat, ou même à certains discours qui font l’effet d’une bombe. On ne peut prédire le futur, on a perdu toute stabilité et tout sens de repère. Les réfugiés ont peur et ne savent plus rêver.
Dans notre refuge, le danger et l’abri se superposent. Un réfugié est loin de la guerre, loin du feu, mais il n’est pas dans une situation par lui choisie, sa situation idéale. Il se pose là où il peut trouver moyen de monter sa tente, faire sa prière et nourrir ses enfants. Tout autre souhait devient luxe.
Au Liban, il me semble que tout le monde bouge sans savoir où aller. Libanais réfugiés ici ou ailleurs, sous la protection d’un semblant d’État ou de l’armée, nous sommes réfugiés chez nous, encore et à jamais...
Réfugiés inconnus, réfugiés oubliés, qui s’occupera de nous quand notre sort sera scellé ?
Iza EL-YASMINE