Pourtant, ce conflit qui remonte à plusieurs décennies et qui ronge aujourd’hui la ville n’a visiblement aucun horizon. C’est l’exemple type de l’antagonisme sans objectif concret, une sorte d’abcès de fixation, qui alterne poussées aiguës et périodes de calme relatif, selon les intérêts des uns et des autres. Des notables de la ville expliquent ainsi qu’il est clair que les extrémistes sunnites ne peuvent pas envahir le fief alaouite de Jabal Mohsen, alors que les alaouites du Jabal ne peuvent pas non plus occuper Tripoli, ou certains quartiers de la ville. Pourquoi dans ce cas, ces deux camps continuent-ils à échanger des tirs de mitraillettes et de roquettes, fauchant au passage les innocents et paralysant la ville ? La question est justifiée, mais la réponse est aussi difficile que d’expliquer pourquoi la guerre civile libanaise a duré quinze ans sans qu’aucun camp ne parvienne à avancer de quelques mètres, le long de la fameuse ligne verte.
Les Tripolitains en ont assez, mais en dépit des déclarations tonitruantes de ceux qui se considèrent comme les responsables de la ville, aucune solution radicale n’est en vue. En raison de la multiplication des groupes armés et de l’argent qui coule à flots, la ville de Tripoli est devenue une sorte de bouc émissaire ou de caisse de résonnance des développements en Syrie, mais aussi des enjeux politiques locaux. Des sources proches du 8 Mars estiment ainsi que si le premier embrasement des « fronts de Tripoli », il y a deux semaines, pouvait être considéré comme une réaction à la participation directe du Hezbollah aux combats à Qousseir et surtout à la percée enregistrée dans cette région par les forces du régime et leurs alliés, aujourd’hui, la situation est différente. L’armée syrienne et les combattants du Hezbollah maintiennent leur avantage dans la région de Qousseir et les affrontements le long de la ligne de démarcation à Tripoli n’y changent rien. Les combattants de Jabal Mohsen n’en deviennent pas pour autant capables d’envahir la ville et ceux de Bab el-Tebbaneh ne sont pas non plus en mesure d’envahir le réduit alaouite. Alors pourquoi cet embrasement continu, à degré variable ?
Des sources tripolitaines considèrent que la situation dans la capitale du Nord est devenue une carte de pression, que les différentes parties utilisent à tour de rôle, selon leurs intérêts du moment. Tantôt, il s’agit d’obtenir la prorogation du mandat du Parlement et tantôt de définir l’identité du nouveau gouvernement. Les mêmes sources tripolitaines considèrent aussi que les responsables politiques de la ville, toutes tendances confondues, tiennent un double langage, annonçant ouvertement qu’ils lèvent la couverture qu’ils accordent aux combattants et encourageant en douce ces derniers à « réchauffer les axes », tantôt pour mettre en difficulté le Premier ministre chargé des affaires courantes, tantôt pour coincer le courant du Futur, mais surtout pour décrédibiliser l’armée et l’empêcher de contrôler les frontières avec la Syrie. Les habitants de Tripoli racontent aussi comment leur ville est truffée d’opposants syriens qui y viennent désormais avec leurs familles et qui échappent à tout contrôle officiel. Les plus informés ajoutent que Tripoli est vitale pour l’opposition syrienne, d’une part parce qu’elle fournit aux combattants syriens de l’opposition « un environnement favorable » – c’est d’ailleurs pourquoi ils y installent leurs familles – mais aussi parce qu’elle constitue un accès à la mer vital pour une opposition en train d’être coupée en deux, entre le nord et le sud de la Syrie. Pour toutes ces considérations, il est clair que la situation à Tripoli n’est pas près de se calmer et la vie y est chaque jour un peu plus difficile, comme si elle s’installait dans une atmosphère de déstabilisation de longue durée.
commentaires (7)
CORRECTION ! Merci : "En effet, "abcès" de fixation des Sunnites et de L'ENSEMBLE des Libanais sur cette problématique Tripolitaine.....".
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
05 h 36, le 06 juin 2013