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À La Une - Liban

Mémoire(s) sélective(s)...

Lorientlejour.com a demandé aux lecteurs du plus vieux journal libanais en exercice de raconter ce qu’ils faisaient un certain... 13 avril 1975. Des témoignages beaux et bons, un devoir (et un droit) de mémoire, aussi sélective soit-elle, comme le plus puissant des antidotes. Pour que plus jamais...

L’Orient-Le Jour                 

Le fameux bus de Aïn el-Remmaneh. Archives/OLJ

« Puis ce fut le silence »

Cette horrible année, je n'avais pas encore 10 ans.

Le 13 avril 1975, j'étais avec ma grand-mère, ma mère et ma sœur au balcon, nous habitions au 6e étage, sur la rue qui mène de Chiah à Ain Remmaneh. Le fameux bus arrive, subitement nous entendons des rafales de tirs. Ma mère nous a agrippés par les bras et nous nous sommes réfugiés à l’intérieur de l’appartement.

Puis, j’ai regardé par la porte entrebâillée, et j’ai vu des cadavres qui pendaient des fenêtres du bus, le soleil tapait fort ce jour-là, sans-doute pour graver à jamais cette image dans ma tête d'enfant.

Je me souviens d'un type portant un fusil dans ses bras, pantalon noir et chemise blanche. Il courait mais je ne sais plus dans quel sens. Il avait les cheveux noirs et bouclés.

Puis ce fut le silence. Ce silence qui pèse fort et lourd, promettant de nombreuses années de malheurs et de morts.

Quelques jours plus tard, nous quittions le Liban. »

Natacha


 

« De gros nuages de fumée »

Je me souviens, c'était un dimanche après-midi. Je n'avais pas encore 18 ans. Des amis et moi jouions au basket au stade de Chayla, quand nous vîmes s'élever dans le ciel de gros nuages de fumée.

Les responsables du stade ont donné l'ordre à tous ceux qui étaient présents de rentrer chez eux.

La guerre fratricide venait d'éclater faisant voler en éclats tous nos rêves d'adolescence.

Le calvaire de tous les Libanais a commencé ce jour-là, avec des « rounds » de violence que nous arrivions à compter au début, mais ensuite, par lassitude, que nous ne comptions plus, nous résignant à notre triste sort.

Aujourd'hui, je n'habite plus le Liban que j'ai dû quitter le coeur serré.

Robert Alexanian



Manchette de L'Orient-Le Jour, le lundi 14 avril 1975. Archives/OLJ

 

 

Les larmes de ma mère

J'avais un peu plus de 12 ans à Marseille, et toute mon adolescence a été marquée par l'inquiétude de savoir ma famille en danger pendant des années à Beyrouth. J'ai le vif souvenir de la tristesse et des larmes de ma mère séparée des siens à cause de cette guerre.

Brigitte Balian Artin



Les souvenirs sont encore « tout frais »

J'avais environ 14 ans. Nous habitions dans les parages. J'ai vu les ambulances passer sous notre résidence. Le fameux autobus rempli de Fedayins (armés) rôdait autour de l'église. Des insultes fusaient à partir de l'autobus. Les habitants du quartier et gardes du corps de feu Pierre Gemayel ne répondaient pas à la provocation ( à la demande de Pierre Gemayel ). Soudain, un coup de feu est parti de nulle part.

Les Kataëb ont tiré sur le bus. Les Palestiniens ont tiré aussi. Ce fut le désastre.

Il faut dire que la tension était à son paroxysme. Les Palestiniens se baladaient dans les rues de Beyrouth en Jeep et armes, rackettant certains commerces, à Hamra ou partout dans Beyrouth.

Côté Libanais: Kataëb ( dirigés par William Haoui) , Gardiens du cèdre (dirigés par Etienne Sakr) , le Tanzim (dirigé par Georges Adouane) et PNL (supervisé par Camille Chamoun) s'entrainaient « militairement » depuis 1970 à Laklouk, dans le Kesrouan et le nord... Puis un peu partout dans les régions dites « chrétiennes » l'année qui a suivi « l'accord du Caire ».

Il y avait aussi ces manifs et contre-manifs appuyant ou non l'armée, accusée par les palestino-progressites de partialité, surtout suite aux raids de l'aviation contre les positions militaires des Palestiniens de Sabra, Chatila et Bourj el-Barajneh en 1973.

Résultat, l'abcès fut crevé ce 13 avril et nous connaissons la suite....

Côté souvenirs, je pourrais remplir des pages entières sur la guerre, surtout que j'ai toujours résidé dans le quartier entre 1975 et 1990 sans jamais le quitter ou le fuir. Les souvenirs sont encore « tout frais » dans ma mémoire, bien ancrés, à commencer par ce jour funeste du 13 avril 1975...

P.K.




Le fameux bus de Aïn el-Remmaneh. Archives/OLJ



Devenir adulte

Ce soir là, moi, 14 ans, et mes trois soeurs, âgées de 16 et 17 ans, nous nous inquiétions de ne pas voir notre père et notre mère rentrer du travail, le Studio Photo que mon père, Saro, tenait.

Tous les soirs, vers 19h00, une voiture-service s'arrêtait en haut de la rue Pasteur et je distinguais la silhouette de mon père s'avançant dans la pénombre, les mains pleines de sacs de fruits et de légumes. Alors on courait en bas de l'immeuble pour le soulager de ses courses. Ce jour-là, ma mère Vera l’avait accompagné au travail.

Quatre adolescents, accoudés à la fenêtre, tentaient de se rassurer. Sans doute ont-ils eu beaucoup de travail, ils ne vont plus tarder. A 20h00 passé, les voitures se faisaient très rares dans la nuit et aucune ne s'arrêtait.

Au loin, on entendait des tirs, on ne savait pas encore qu'on s'habituerait.

A 21h30, une voiture s'est arrêtée. Les deux silhouettes dans la pénombre, sans sacs de fruits ni de légumes, ressemblaient bien à nos parents. C'étaient bien eux! Oh quel bonheur !

Ce soir là quatre adolescents étaient devenus des adultes.

Chahé Madenian


 

« Ça va très mal en ville »

Dimanche 13 avril 1975, un jour qui, jusqu’à 21h30, ressemblait à tous les dimanches de ma vie d’adolescente de 15 ans et demi. Un jour, ou plutôt un soir, où tout a basculé, où nos vies ont éclaté pour toujours, où le Liban dans lequel nous étions si heureux, a disparu à jamais.

Mon amie Dominique et moi-même avions été au cinéma Commodore (séance de 18h30), voir un film dont le titre était, si je m’en souviens bien, « Mariage à la mode ».

A la sortie du cinéma, mon père nous attendait pour nous ramener à la maison. Cela n’arrivait jamais, vu que nous circulions à pied entre la rue de Verdun, où nous habitions, et la rue Hamra en toute sécurité, à toutes les heures de la journée et jusqu’à une heure raisonnable de la soirée. « Ça va très mal en ville », nous a-t-il dit d’un air grave.

La suite, nous la connaissons tous. L’avenir, nous continuerons à y croire. Même s’il ne redeviendra jamais ce qu’il était, le Liban sera toujours notre Liban, celui que nous aimons.

Soraya (Tager) Naufal




Carte du quartier de Aïn el-Remmaneh où l'incident du 13 avril 1975 s'est produit,
publiée en Une de l'édition du 14 avril 1975 de L'Orient-Le Jour. Archives/OLJ

 


« Rien ne sera plus comme avant »

J'avais 9 ans. Ce dimanche après-midi, de retour d'un week-end au Metn, nous passons par le rond point de Mkalles, l'ambiance est lourde. Arrivé à Beyrouth, je capte quelques mots d'une discussion, ma mère dit à mon père d’une voix grave que « rien ne sera plus comme avant ». Assis au balcon, mon père regarde le soleil se coucher sur ce qui deviendra Beyrouth « Ouest ».

Quelques jours plus tard, je me revois en classe de 9e, les élèves rassemblés par Mme Dolbakian et les parents qui arrivent, les uns après les autres, pour récupérer leurs enfants, jusqu'au moment où mon tour arrive : « Dis au revoir à tes copains, tu ne les reverras peut être plus jamais ». Ce fut le cas.

Depuis, il y a eu d'autres dates dont l'été 78, le 2 avril 1981, l'été 82, le 14 août, le 14 septembre 1982, Sabra et Chatila et avant Tell el-Zaatar, la Quarantaine, Sodeco, « boum boum », les amis qui disparaissent, les voisins que l'on rencontre une fois par an, l’été…

Si je pouvais raconter cela à tous les jeunes de 9 ans pour que cela ne recommence plus jamais....

(anonyme)



« On n'a pas envie d'aller à l'école demain »

Le jour de mes 13 ans, un dimanche. Nous revenions du cinéma avec les copains de classe que j'avais invités. Je me souviens de la salle de cinéma, elle avait été nouvellement inaugurée au Holiday Inn.

En revenant à la maison, on se disait « on n'a pas envie d'aller à l'école demain » comme la plupart des gamins un dimanche après-midi. Notre vœu d'enfant a malheureusement été exaucé. La suite tout le monde la connait.

Karim Chaia


 

« Enfant de la guerre »

Le 13 avril 1975, j’avais quatre mois. Dans ma mémoire de nourrisson, pas grand-chose à partager. Mais en tant que Libanaise née en cette terrible année marquée par la guerre, la peur et les cauchemars, je ne peux que partager l’espoir de lendemains meilleurs que mon pays a toujours mérités en raison de sa nature et de sa grandeur qui ont grandi en moi, « enfant de la guerre ».

Jihane Elias


 



La viande avariée, déjà à la Une en 1975. Info publiée dans l'édition
du 14 avril 1975 de L'Orient Le Jour. Archives/OLJ

 

 

Se souvenir fait mal

Je suis partie dans mes souvenirs de ce 13 avril. C’était un dimanche, donc jour chômé. Je passais la journée chez une amie. Après déjeuner, nous avions l’habitude de faire une petite sieste, mais celle-ci fut interrompue par des coups de feu. Réveillées en sursaut, nous n’en savions pas plus. Une demi-heure plus tard, nous avons été informées  des attentats et la panique est montée crescendo. Il fallait contacter ma famille et surtout trouver un moyen de rentrer de Furn el-Chebback à Verdun, une mission quasi impossible. Je ne réalisais pas encore que ceci était le début d’une guerre civile, et pourtant c’est à partir de là que j’ai commencé à m’habituer aux sons des kalachnikovs, RPG, orgues de Staline et autres. Se souvenir fait mal, d’autant qu’aujourd’hui je suis en Egypte et je vis à nouveau le 13 avril 1975.

Gisèle

 


Les gens avaient peur

Je me rappelle très bien de ce jour-là. Je jouais au poker avec un groupe d’amis chez mon frère qui habitait, à l’époque, dans le quartier de Badaro, à quelques centaines de mètres de Aïn el-Remmaneh, à Beyrouth.

Je ne me rappelle pas de l’heure exacte à laquelle l’incident du bus s’est produit, mais je me souviens que c’était dans l’après-midi. Nous avons d’abord entendu quelques tirs, mais nous pensions que ce n’était rien de très grave. Nous étions habitués à entendre des tirs de temps à autre. Puis, les tirs se sont brusquement intensifiés. Nous avons allumé la radio et c’est à ce moment-là que nous avons appris les détails des affrontements. Les évènements se sont ensuite enchaînés rapidement, il y a eu un mouvement de panique dans le quartier, les gens avaient peur, les tirs approchaient. Je suis rentré chez moi avec beaucoup de difficulté.

Honnêtement, je ne pensais pas que ce jour-là allait marquer le début d’une longue guerre civile. Je n’imaginais pas que la situation allait dégénérer de manière aussi tragique. J’avais 38 ans à l’époque…

Georges Massoud

 



Titre de la page 12 de l'édition du 14 avril 1975 de L'Orient Le Jour.


Photo publiée dans l'édition du 14 avril 1975 de L'Orient-Le Jour, montrant
des blindés des forces de sécurité ayant pris position dans la rue Pierre Gemayel,
le 13 avril 1975. Archives/OLJ

 

 

Fantômes

Ce jour-là, dernier jour des vacances scolaires de Pâques, et dernière ligne droite avant le baccalauréat. Ce dimanche après-midi, je devais aller chez un camarade pour réviser.

Cet ami habitait à Ain-Remmaneh, dans la rue de l’église où s’est passée la fusillade. Dès le matin, il m’avait appelé, m’expliquant qu’il ne fallait pas venir, que je devais rester chez moi, que quelque chose de très grave s’était passé près de chez lui.

Après le 13 avril, les écoles ont été fermées pendant 10 jours. J’habitais en face de l’Hôtel-Dieu, et toutes les nuits c’était un défilé de voitures conduisant des blessés. Les semaines se sont succédé, entre reprise et suspension des cours, tirs d’armes toutes les nuits. Les collègues américains de mon père ont été rapatriés aux Etats-unis pour quelques semaines.

Les épreuves du Bac français ont tout de même eu lieu, mais certains étudiants ont eu du mal à se déplacer. Dès que j’ai eu mon Bac en poche, ma famille et moi-même avons quitté définitivement le Liban. C’était le 27 juin, en route pour l’aéroport, nous étions couchés dans le taxi pour passer la région du Musée et de la rue de Damas. Par la suite, l’aéroport a été fermé plusieurs jours.

Je me souviens, en montant dans l’avion, que j’étais soulagé de quitter un pays et des habitants en proie à une folie meurtrière incompréhensible, et de retrouver une Europe où la sécurité était assurée. Il m’a fallu près de 30 ans pour oser réaffronter tous ces fantômes, et retrouver une part de moi-même en retournant dans un pays où j’avais passé une grande partie de mon enfance.

(Anonyme)


 

Photo publiée dans l'édition du 14 avril 1975, montrant la rue de Damas,
à Furn el-Chebbak, le 13 avril 1975. Archives/OLJ

 


Les beaux jours étaient finis

Ce jour-là, j’étais au cinéma Strand avec mes cousins. Je ne me souviens plus du film, mais Steve McQueen y figurait au volant d’une voiture vrombissante. Quand je suis arrivé à la maison, les discussions battaient leur plein avec les voisins sur un autobus bondé de fédayins qui avait été mitraillé par les Kataëb à Ain el-Remmaneh devant une église que cheikh Pierre inaugurait, en représailles à la mort d’un de ses gardes du corps tué par des hommes armés du PNSS plus tôt dans la journée. J’avais entendu ce mot fédayin à la télé mais surtout dans la bouche de notre femme de ménage qui habitait le camp de Sabra et dont le fils était un fédayin du Fateh. Elle nous racontait parfois les séances d’entraînement à ciel ouvert destinées à attirer l’attention de tous. Mais un beau jour, bien avant ce 13 avril, elle nous a avertis qu’elle quittait le Liban pour aller s’installer dans le Djebel druze en Syrie, son fils lui avait tout simplement « demandé » de quitter le pays. Ce jour-là, mon père, fin analyste, avait pressenti que le Liban allait subir des turbulences. Et justement, en ce 13 avril 1975, il disait aux voisins : « Ces saligauds de Kissinger et Assad vont démolir le Liban ». Depuis ce jour, mon père n’a pas arrêté d’insulter l’Amérique, alors qu’il vouait une haine féroce aux Communistes et leurs avatars. Je ne me rendais pas vraiment compte de la situation, mais j’ai eu la vague impression ce jour-là que les beaux jours étaient finis et que notre vie allait basculer en enfer.

Serge Gélalian



Hors du Liban depuis 38 ans

Tinziker ou ma tin3aad ! Ce jour maudit, j'étais, avec ma femme et des amis, au théâtre de dix heures. Le spectacle venait à peine de commencer, quand les comédiens se sont soudain arrêtés et nous ont dit de rentrer immédiatement chez nous car quelque chose de grave se passait. Ceux qui étaient ce soir au théâtre s'en rappelleront bien sûr. Nous sortîmes. Personne sur les routes. Nous partîmes vite en voiture pour Achrafieh. On a entendu des tirs et des explosions toute la nuit...

La famille a décidé de partir, avec une valise à la main, pensant que nous nous éloignerions pour une quinzaine de jours. Nous sommes hors du Liban depuis 38 ans. Mais nous y revenons au moins deux fois par an quand la situation sécuritaire le permet.

Sakr Loubnan




Photo publiée dans l'édition du 14 avril 1975, montrant
des Palestiniens qui défilent à Beyrouth pour commémorer l'opération
de Khalsa (contre Israël, en 1974). Archives/OLJ



On était insouciant !

J'étais avec une amie et son copain à la montagne et on a entendu l'événement à la radio. J'avais 17 ans et on était insouciant! Vive le temps de l'insouciance! La seule chose à laquelle on a pensé (et avec une joie immense!), c'est que le lendemain on n'irait pas à l'école! Et puis le cauchemar a commencé, on a grandi, on commence à vieillir et la guerre n'est pas encore terminée....

Michèle Aoun

 

 

Nous étions à la plage

Si je me rappelle bien c’était un dimanche. Nous étions à la plage, au Riviera Beach Hotel toute la journée avec la famille incluant oncles, tantes, cousins etc... Ma sœur avait invité deux amies de classe, toutes deux habitaient à Ain el-Remmaneh. Le soir, il fallait les raccompagner chez elles. Nous montons tous en voiture, direction Ain el-Remmaneh. Rien de bizarre, tout est calme, les filles rentrent chez elles et nous prenons le chemin d'Achrafieh direction Hôtel-Dieu. Là, les jeunes Kataëb, PNL, et Gardiens du Cèdres étaient en ébullition, armés et dans un état de stress intense. Mon père a cru à une manifestation politique mais ne comprenait pas la nervosité ambiante. Quand nous sommes arrivés à la maison, nos voisins faisaient les cents pas, inquiets de ne pas nous voir rentrer. Il était presque 19h. C'est là que nous avons appris ce qui s’était passé. Nous venions de passer dans la rue adjacente où les tirs avaient eu lieu sans le savoir.

Pierre Hadjigeorgiou

 

 

Trouver le courage pour aider

Dimanche, un jour avant notre destinée de malheur, nous étions à Zahlé, célébrant l'anniversaire de notre enfant qui avait juste 3 ans! Ce fut un après-midi très plaisant, dans un restaurant près d'une rivière. Au menu, du bon poisson et le mezzé libanais.

Le réveil fut terrible, nous nous retrouvions devant un tunnel noir qui n'avait pas de fin. Mon fils grandira en marchant dans ce tunnel, mon mari, le plus affecté à cause de son travail à l'aéroport, fut le plus déprimé, moi-même essayant de trouver le courage pour aider. Le pic fut quand le bus dans lequel se trouvait mon mari et ses compagnons fut pris en otage. Heureusement, ils sont tous rentrés sains et saufs, mais avec, au cœur, une peur qui ne nous a plus jamais quittés. Nous est-il permis d'espérer, prions sans cesse, nous arriverons au bout du tunnel!

Juliette




Dans les petites annonces du jour, des appartements à louer pour 30.000 L.L.. Archives/OLJ

 

 

Blanche Neige et les Sept Nains avaient très bien joué leurs rôles

Le 13 avril 1975, c’était un dimanche, je ne l’oublierai jamais.

A l’époque, je travaillais comme « Account Executive » à l’agence de publicité Impact à Beyrouth. J’étais le fier gestionnaire du budget de la marque Zahar et j’avais organisé un grand défilé/spectacle au Cinéma Piccadilly à Hamra, pour dévoiler la nouvelle collection Printemps/Été enfants de Zahar. Une première pour ce genre d’événement. Les clients de Zahar avaient décroché tous les billets. Nous avions deux représentations, une à 10h et une autre à midi.

Monsieur Joy Zahar et son épouse Amal Traboulsi étaient très contents après la première représentation. Blanche Neige et les Sept Nains avaient très bien joué leurs rôles, les nouvelles tenues des enfants avaient eu un très grand succès et le public était sorti avec les cadeaux promis.

Avant le deuxième spectacle, Monsieur Zahar semblait tendu. Je ne comprenais pas pourquoi. Les spectateurs de la deuxième séance ne se pressaient pas aux portes, et pourtant, tous les billets avaient été distribués. Puis, les parents des enfants acteurs ont commencé à demander à ce que les enfants rentrent à la maison. Vers 11h30, Monsieur Zahar a décidé d’annuler la deuxième représentation, et c’est à ce moment que j’ai entendu pour la première fois l’histoire du bus de Chiah.

A l’époque il n’y avait pas de téléphone portable, même le téléphone normal avait ses jours de crise, mais la nouvelle s’est répandue très rapidement à Hamra. Vers midi, nous avons dû remballer et rentrer, les rues commençaient déjà à se vider.

Et notre vie fut à jamais bouleversée, le conte de fées Libanais s’était transformé en cauchemar.

J’ai quitté Beyrouth le 6 janvier 1976, pour ne rentrer définitivement qu’en mars 1993, en espérant un autre conte de fées. Mais ça, c’est une autre histoire…

Gérard Avedissian

 

 



Une publicité publiée en page 12. Archives/OLJ

 

 

Un peu d’angoisse

C'était un dimanche. Avec ma famille nous habitions Achrafieh, à proximité de la Tour Nazareth. Je travaillais au Département de la Direction de l'Enseignement Technique et Professionnel à Dekwaneh et me déplaçais régulièrement au Lycée Technique et Professionnel d'Ajaltoun et au Lycée Technique de Baalbeck. Ce jour-là, comme je souffrais d'une hernie discale, je suis resté à la maison pendant que mon épouse et nos trois enfants, Antoine 14 ans, Nicolas 12 ans et Sophie 4 ans (née à Beyrouth), accompagnés de notre beau-frère et de son épouse ainsi que de leurs deux filles et petit garçon, sont partis passer l'après-midi à Jamhour et dans les pins environnant. C'est en écoutant la radio que j'ai appris le triste événement qui venait de se passer à Ain Remmaneh. Juste sur la route du retour de ma famille.

C’est avec un peu d'angoisse que je les ai attendus. Le portable n'existait pas encore. Quand ils sont arrivés, ils étaient très étonnés de ce que je leur apprenais.

Cette tuerie a eu les suites que l’on connaît, la guerre pour nos amis musulmans et chrétiens, et pour nous, le retour en France dès juillet 1975.

Les Affaires Étrangères françaises arrêteront la coopération avec le ministère de l'Enseignement technique et professionnel le 31 décembre 1975. Je communique toujours avec un ami qui habite justement à Ain el-Remmaneh. Nous avons passé six ans dans ce beau Liban, il nous reste beaucoup de tristesse pour les amis et connaissances ayant payé de leur vie ce triste épisode. Pour nous le Liban est une seconde patrie.

 



Une autre publicité publiée en page 3. Archives/OLJ

 

 


La promesse d’un dimanche

Aucun bruit, la torpeur d’un dimanche après-midi.

Un dimanche bien rangé dans ma mémoire d’enfant, sagement installé dans son rôle de journée de répit, de journée bienveillante, avant le retour de l’indifférence du lundi. Un dimanche que tout enfant des années 70 aurait tranquillement passé à rendre visite à sa grand-mère et ses cousins, sans prétendre à aucune autre fantaisie ludique. Un dimanche que les adultes auraient naturellement passé à boire le café, en se plaignant des premières poussières du printemps, mais sans trop leur en vouloir.

Un dimanche où tout semblait intouchable, complice, éternel, comme une promesse. La promesse que demain, on irait à l’école, que les crayons seraient bien taillés dans leurs bocaux, que les gardénias précoces nous accueilleraient dans la paume de nos camarades, que dans la cour de récréation, l’ombre et le soleil se disputeraient toujours les mêmes coins à conquérir.

Je ne me souviens pas des coups de feu dans la rue où un certain bus était passé. Ma vie entrait en collision avec un bus qui avait oublié de freiner. Il parait qu’un peuple se cherchait encore une terre.

Je me souviens seulement du visage de mes parents penchés sur le balcon du destin. Deux visages où se hasardait une certitude. Mes parents avaient compris : lundi viendra, mais il sera différent, un lundi matin qui aura perdu sa virginité.

Déjà au-dessus de nos têtes, un nuage insolite faisait basculer le ciel d’avril.

Le dimanche 13 avril 1975 m’avait promis la vie et la jeunesse, c’est tout ce que je lui reproche, mais c’est déjà beaucoup.

Hala Waked




En page sport, la victoire d'Antoura. Archives/OLJ


 

Perdre ma bien-aimée

Le dimanche 13 avril 1975, à Beyrouth, nous avions exceptionnellement invité pour le déjeuner notre oncle Elie, partisan des Kataëb. Je me souviens encore de ces coups de feu sporadiques qui allaient allumer la guerre religieuse du Liban ! Je me vois sortir au balcon pour admirer ma jolie voisine palestinienne dont j'étais amoureux, j’espérais, comment d'habitude, une invitation par sa main et son sourire ! Plus tard, la haine et la violence de cette guerre vont obliger ma Juliana à l'exode vers le Canada ! Ce sera le choc de ma vie, avoir « perdu » ma bien-aimée.

Je suis entré en guerre, comme toute la jeunesse, pour défendre ma grande famille chrétienne, « Arz el-Rabb », le Cèdre Libre, Mosaïque et Pacifique du Seigneur.

Me voilà 38 ans plus tard, à voir mon Liban se défendre contre le feu des dictatures. Mais j'ai retrouvé mon premier amour et je prie pour le bus de la paix dans ce Proche-Orient qui sera un futur paradis, Inch Allah.

François Ephrem Zarazir, 12 ans à l’époque, Aïn el-Remmaneh

 



L'horoscope du jour. Archives/OLJ

 


Une journée avec ma petite amie

Comment oublier ce 13 avril 1975 qui a précipité nos maux. J'habitais Chiah, qui à l'époque était plus maronite que chiite, à près de 2 km de l'église en question. Mon père, qui à l'époque faisait partie de la haute nomenclature politique, assistait à la cérémonie. Dans mes souvenirs, on y célébrait un mariage. A la porte de l'église se trouvaient les gardes du corps des personnalités présentes. Selon ce qu'on disait à l'époque et qui m'avait été rapporté par une très haute personnalité de l'OLP, le bus de Palestiniens s'est trouvé devant l'église par erreur. Les esprits échauffés depuis un moment par nos leaders de l'époque, les Chamoun et les Gemayel essentiellement, et qui nous poussaient à nous armer, plus l'arrogance de l'OLP qui se comportait en territoire conquis, ont fait qu'un coup de feu a été tiré qui a enclenché la bataille. Parmi les tireurs coté chrétien, le garde de corps de mon père dont je me souviens bien du nom, de la corpulence et du village de montagne dont il était originaire.

Ce jour-là, j’étais loin des lieux du drame. Je passais la journée avec ma petite amie de l'époque. Le soir, je l’ai raccompagnée chez elle. Elle habitait dans une région limitrophe de Aïn el-Remmaneh. De la voiture où on se disait un bonsoir câlin, on a commencé à entendre et ressentir des bombardements qui arrivaient du camp de Chatila vers Ain el-Remmaneh. Nous nous sommes précipités à l'intérieur de l'immeuble et avons pris l'ascenseur qui tremblait au rythme des bombes. Quand nous sommes arrivés à l’étage, sa famille était abritée dans le hall d'entrée. Puis, les bombardements se sont calmés, mais le charmant père de mon amie m'a sommé de passer la nuit chez eux. Je pense être resté jusqu'au soir suivant.

Il y a 38 ans, j'en avais 28.

(Anonyme)

 




A l'époque, l'on veut sauver les grattes-ciel de Beyrouth... Archives/OLJ

 

 

Un cauchemar, pas un souvenir

Comment oublier cette date? Ce jour est gravé dans mon ADN et les souvenirs difficiles à effacer. Ce jour-là, ma vie a changé à jamais, mon identité e été violée, et mes rêves confisqués.

Je me souviens clairement de ce jour. J’habitais à Chiah, au coin de la poste, pas loin de l’endroit où ont eu lieu les événements du jour et ce qu’on appelle malheureusement toujours la ligne verte. C’était un dimanche. Il faisait beau. Je suis sorti au balcon pour prendre l’air et me réjouir de cette belle journée. C’est alors que j’ai remarqué cette femme au balcon en face de chez nous, qui criait, en se tenant la tête, « Malheur, malheur on a tiré sur un bus à Aïn el-Remmaneh. Il y a des morts, c’est terrible, ça va être l’enfer ici, il faut fuir ».

Je me suis dit « de quoi parle cette femme, elle doit être folle ». C’est comme si c’était hier. J’avais 17 ans.

Peu à peu la gravité de l’incident est devenue claire. Le lendemain, des hommes armés se baladaient dans notre rue.

Cette guerre a arraché mes racines, m’a fait réfugié dans mon propre pays, étranger dans un monde que je ne connaissais pas. Cette guerre m’a privé de mes rêves et détruit ce que je chérissais.

La même année j’ai fini le lycée dans des conditions terribles. Je n’ai pas pu m’inscrire à l’ESIB, mon rêve à l’époque. J’ai du fuir la maison, notre quartier avec seulement une valise en main pour ne jamais y retourner.

Depuis, je reviens souvent, beaucoup de choses ont changé, mais rien ne peut remplacer les plus beaux souvenirs d’avant guerre.

J’ai voulu oublier le 13 avril 1975, mais comment ? Le 13 avril 1975 est un cauchemar, pas un souvenir.

Sincèrement de l’Amérique

Fadi Harfouche




Dans le monde... Archives/OLJ

 


Miraculés

Dans mon quartier d'Achrafieh, nous avions une équipe de football constituée d'une quinzaine de jeunes âgés de 12 à 16 ans. Nous faisions des tournois et des rencontres avec d'autres équipes d'autres quartiers tout au long de l'année. Agé de 22 ans, j'étais responsable de l’entraînement, de l'organisation des matchs et des levées de fonds.

Ce dimanche 13 avril 75, j'emmenais une dizaine de personnes de mon équipe à la cité sportive Camille Chamoun, dans le quartier ouest de Beyrouth, pour assister à un match officiel de première division, événement majeur et rare pour l'équipe. A la fin du match, en fin d'après-midi, j’ai mis mes jeunes dans deux taxis, pour qu’ils rentrent à Achrafieh.

Quant à moi, j'avais convenu avec mon père de le rejoindre au terminus de la ligne de bus (il était chef de ligne) à Beyrouth-Ouest, à un quart d'heure à pied de la cité sportive. Nous devions rentrer ensemble chez nous à Achrafieh.

A mon arrivée au lieu de rencontre, j'étais surpris de ne voir ni père, ni bus, et un quartier déserté. Les rares personnes présentes couraient dans tous les sens et prenaient d’assaut les services. Par chance, après un quart d'heure d'attente, j'ai trouvé un service qui m'a emmené à Bourj, au centre ville. La voiture était pleine et j'étais moi-même assis entre le chauffeur et un passager.

Chacun des passagers injuriait, tour à tour, les habitants d'Achrafieh, disant vouloir les massacrer. Je n'osais pas ouvrir la bouche par crainte que mon accent ne me trahisse. Je me contentais de hocher la tête, le cœur battant. J'étais terrifié.

Quand enfin le service est arrivé à Bourj, au centre ville, je me suis précipité vers l'église arménienne, tête de ligne des services vers Achrafieh.

Là, tout le quartier était en effervescence. Les parents des jeunes les avaient attendus dans la plus grande inquiétude et étaient soulagés de les avoir récupérés. Quant à mes parents, ils pleuraient et tremblaient de crainte en ne me voyant pas rentrer. Mon père était bien conscient qu'il aurait dû m'attendre mais la situation était telle qu'il avait dû fuir aussi.

A mon arrivée, ce fut des cris de joie et un soulagement général. Toute l'équipe de foot, les parents et le quartier au grand complet poussaient des cris de soulagement et remerciaient Dieu pour mon retour.

C'est là que j'ai eu le détail de tous les évènements de la journée. Mon équipe et moi-même avions frôlé la mort. Nous étions des miraculés….

Alexi Khammouni


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