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Comment rester debout face à un grand séisme ? - Urbanisme

Comment rester debout face à un grand séisme ?

Un décret qui vient d’être adopté en 2012 définit les normes de sécurité du bâtiment, rendant obligatoires le respect des normes parasismiques et le contrôle technique. Sera-t-il appliqué ?

Appliquer les normes parasismiques et le contrôle technique pour éviter cela : la destruction totale des bâtiments. Ici, après le séisme d’Alger en 2003. Photo tirée du site www.structureparasismic.com

Depuis les années 90, le Liban ressemble à un énorme chantier. Récemment, ce sont de grandes tours qui ont poussé un peu partout. La ville a changé, la moyenne montagne aussi, et le béton a envahi le paysage. Mais combien de bâtiments seront-ils réellement protégés en cas de séisme majeur ? Combien ont-ils été contrôlés pour leur conformité aux normes parasismiques de construction ?


L’état des lieux que dresse Loutfallah el-Hajj, ancien secrétaire aux finances à l’ordre des ingénieurs, ancien professeur d’université et auteur d’un livre sur la sécurité des bâtiments, est loin d’être rassurant. « Au cas où la faille qui longe le littoral libanais provoque un séisme, celle-là même qui avait détruit Beyrouth en 551, on peut craindre la destruction d’environ 70 % du Grand Beyrouth », met-il en garde.
Et autant dire que rien n’a été fait ces dernières années pour préparer le Liban à une telle éventualité. Loutfallah el-Hajj souligne qu’il est crucial de consolider les bâtiments stratégiques, notamment les hôpitaux, les casernes...
Le risque est en effet substantiel, le Liban étant parcouru de failles dont les plus importantes sont la faille de Yammouné (200 kilomètres, qui fait partie de la faille du Moyen-Orient), la faille de Roum (au Sud) et les failles marines qui la prolongent, ainsi que celles de Serghaya (qui a détruit Baalbeck en 1759) et Rachaya. Les failles marines ont détruit Beyrouth en 551, et ont causé un tsunami par la même occasion.


« Dans la prévision de catastrophes, il y a trois étapes, souligne Loutfallah el-Hajj. La prévention qui passe par le contrôle technique des bâtiments, la gestion de la catastrophe au moment même, et la récupération par la suite. Nous avons recommandé la création d’un fonds, qui devra être financé au moins à hauteur de douze milliards de dollars, pour aider le pays à se remettre sur ses pieds en cas de séisme. »


La prévention passe donc par le contrôle des bâtiments qui est loin d’être généralisé au Liban. Roland Marie, directeur général d’un bureau de contrôle technique et président de la commission technique chargée d’élaborer le décret sur la sécurité du bâtiment récemment adopté, confirme que la plupart des bâtiments n’ont jamais été soumis à une inspection technique à aucun stade de leur construction. « Les bureaux techniques au Liban sont sollicités lors de projets du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), et pour les projets du centre-ville, explique-t-il. Mais de plus en plus de promoteurs demandent une inspection, notamment pour les grandes structures. Avant ce décret, cela demeurait cependant une initiative personnelle. »


L’inspection des nouveaux bâtiments est devenue obligatoire depuis que ce décret sur la sécurité du bâtiment a été adopté le 7 avril 2012, qui porte entre autres sur les normes parasismiques. Le décret est entré en application à partir du 6 décembre dernier. Mais, comme le précise M. Marie, ce texte ne concerne pas immédiatement tous les bâtiments : pour les deux premières années, il sera appliqué dans le cas des grands projets, c’est-à-dire plus de six étages pour le non-résidentiel, et plus de douze étages pour le résidentiel. Dans deux ans, ce sera au tour des bâtiments moyens, et deux ans plus tard toutes les constructions. Cette application progressive est destinée à donner le temps aux promoteurs de s’habituer à ces mesures.


L’ennui, c’est que ce décret ne concernera de toute façon que les projets futurs, pas les bâtiments existants. Il ne règlera donc qu’une partie du problème. Loutfallah el-Hajj ne se montre pas si pessimiste. « Cela fait des années que nous tentons de pousser les autorités à prendre des initiatives de prévention, sans succès, dit-il. Alors si d’ici à 15 ans, nous nous assurons que les nouvelles constructions seront plus résistantes aux séismes, ce sera autant de gagné. » Il souligne cependant que l’ordre des ingénieurs impose le respect des normes parasismiques depuis une dizaine d’années déjà (le code sismique fait partie de la loi sur le bâtiment), mais que l’apport de ce nouveau décret sera d’imposer les contrôles techniques.


Ces vérifications seront effectuées exclusivement par des bureaux de contrôle. À la question de savoir qui supervisera ces derniers, Roland Marie assure que les filets de sécurité sont bien là, puisque le décret stipule de créer un comité technique qui a déjà entamé l’agrément des bureaux. « C’est pour éviter que n’importe quelle boîte, peut-être non qualifiée, soit habilitée à contrôler des bâtiments, dit-il. Il est vrai que l’adoption de ce décret favorise notre travail, mais elle permet surtout d’avoir une meilleure qualité de constructions, ce qui n’est pas le cas actuellement. »

Protéger contre quel séisme ?
L’une des fonctions de ce décret a été de définir les normes de solidité du bâtiment, suivant ce qu’on appelle un coefficient d’accélération horizontale du sol en cas de séisme, un paramètre indispensable pour les ingénieurs dans leur calcul visant à rendre les bâtiments résistants aux séismes. Ce coefficient a été défini dans le décret, et il est supérieur à celui qui figurait dans un précédent décret de 2005 (jamais appliqué, voir encadré).


Nous avons demandé à Marlène Brax, ingénieure et chercheuse au Centre de géophysique du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), ce que signifiait un coefficient d’accélération du sol. Elle nous explique qu’il s’agit d’une mesure extrêmement importante pour les ingénieurs, ne correspondant pas à une magnitude de séisme en particulier. Impossible donc, selon elle, d’expliquer au public contre un séisme de quelle magnitude une telle mesure le protège. « Il y a plusieurs paramètres à prendre en compte, poursuit-elle. D’une part, il faut connaître la nature du sol, puisqu’à chaque type on attribue un spectre de réponse donné. Le même séisme peut avoir des conséquences amplifiées selon qu’on se trouve à un endroit ou à un autre. Mais vu l’exiguïté du territoire libanais, tout le pays a été considéré comme une seule zone sismique. Au final, il s’agit donc de conférer au bâtiment assez de rigidité pour résister à un sol qui bouge horizontalement. »


Interrogée sur la position du Centre de géophysique par rapport à ce coefficient – en d’autres termes s’il le juge suffisant ou non –, elle commence par remarquer que le centre n’a pas été consulté par la commission ministérielle chargée d’examiner le texte (qui était présidée par le vice-Premier ministre Samir Mokbel). « Cela n’empêche que la mesure prise nous semble suffisante pour assurer la protection des bâtiments, en attendant de nouvelles études, dit-elle. Certains auraient préféré un coefficient plus élevé. Mais pour nous, ce n’est pas grave, cette mesure nous met sur les rails. L’important est qu’elle soit appliquée comme il le faut. Des mesures de prévention supplémentaires, ne l’oublions pas, occasionnent des frais supplémentaires, et ont donc un impact sur la vie économique. Voilà pourquoi ce coefficient est le fruit d’un compromis entre la société civile et les autorités. »
Elle ajoute : « Pour nous, il n’est pas important de protéger nécessairement les bâtiments contre de mégaséismes qui surviennent chaque mille ans, ce qui serait un fardeau économique bien trop lourd. Il est important de prendre en compte les séismes de magnitude 5 et 6 qui sont plus fréquents. »


Quant à Loutfallah el-Hajj, il précise que « la priorité est de sauver la vie des habitants ». « Même si les murs se lézardent, l’important est que la structure du bâtiment tienne le coup, dit-il. Après, il sera toujours temps de réparer les dégâts. »
Il souligne l’importance de ce décret qui doit être appliqué impérativement, notamment pour la réhabilitation des bâtiments sensibles. « C’est un sujet très sérieux, dit-il. En cas de séisme, nous serons tous atteints sans exception. Il faut qu’on en soit tous conscients. »

 

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