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De la sanction à la violence enseignante, il n’y a qu’un pas, franchi au quotidien dans certaines de nos écoles - Reportage

Lorsqu’une enseignante crie, menace, bouscule, secoue

Zoom in sur le comportement violent d’une enseignante dans une classe de huitième d’une école publique à Baalbeck.

Dans une classe de huitième, à Baalbeck.  Photo Anne-Marie el-Hage

Jour ordinaire de cours dans une école publique de Baalbeck. Dans une classe mixte de huitième, une enseignante que nous appellerons Abir tente à grand-peine de tenir sa trentaine d’élèves, libanais ou syriens. Dépassée par l’indiscipline de ces enfants de 9 à 10 ans, elle flanche. La voix stridente, la main leste, elle n’en finit pas de gronder, réprimander, crier, menacer, bousculer, secouer. Même les plus sages. Sans distinction. Les «gare à vous!», les «vous allez voir!», les « taisez-vous ! » ou encore les « ouvre la main que je te frappe! » prennent le pas sur le cours de sciences sur l’alimentation. Les petites tapes aussi, distribuées au hasard, aux élèves qui se trouvent à sa portée.

Dépassée par des élèves indisciplinés
Donné en langue arabe, ce cours aurait pu être des plus intéressants si l’enseignante y avait mis du sien, car il touche de près au quotidien des enfants. Mais Abir en est visiblement incapable. Elle se contente de crier en boucle les mêmes informations en s’aidant du tableau, et de poser quelques questions aux élèves, sans vraiment s’assurer de leur bonne compréhension des nouvelles notions. Il faut dire que sa voix, haut perchée, ne l’aide pas. « D’habitude, ils sont sages et tout se passe bien », s’excuse-t-elle. Pas si sûr. Elle avoue, penaude, que la leçon sur les aliments a nécessité deux périodes au lieu d’une, comme initialement prévu.
Ce jour-là, c’est donc carrément la foire. Une pagaille généralisée à laquelle contribuent aussi bien les élèves attentifs, que les autres, qui bavardent, rigolent, se taquinent, ignorant l’enseignante. Aux questions de la maîtresse, les réponses fusent à tue-tête, fausses pour certaines. La jeune femme n’en finit pas de hurler ordres et contre-ordres. « Levez le doigt avant de répondre », ordonne-t-elle, avant d’ajouter aussitôt : « Arrêtez donc de lever vos doigts ou je vous enlève des points. » Freinés par la menace, l’espace de quelques secondes, les petits diablotins reprennent vite leur petit jeu. Dans la classe, on ne s’entend plus. Les élèves ont pris le contrôle.
Au bord de la crise de nerfs, ne sachant que faire, l’enseignante se tape la tête des deux mains. « Qu’est-ce qui vous prend aujourd’hui ? Que vais-je faire? Je ne vais tout de même pas les frapper ? » lance-t-elle, essoufflée.

Quelques coups par-ci, par-là
Mais les enfants, plus particulièrement les garçons, restent sourds à ses appels au calme. Ils se lèvent, crient, avancent au milieu de la classe, s’interpellent, s’amusent, forment de petits groupes, se bousculent et se frappent même, pour jouer. C’en est trop pour Abir qui ne sait plus où donner de la tête. Désespérée, l’enseignante donne un grand coup sur le pupitre d’un élève assis au premier rang, qui a le dos tourné vers son camarade. Elle s’avance ensuite vers une fillette pas le moins du monde agitée et la tire par le voile. Gênée, l’élève se cache le visage, les bras croisés sur son bureau. Ça et là, l’enseignante distribue de petites coups, bouscule un garçon, en tire un second par la manche, lève la main comme pour en gifler un troisième qui esquive le coup, frappe fort le cartable qu’un enfant porte déjà à son dos. Mais rien n’y fait. Les élèves n’en font qu’à leur tête, conscients de l’incapacité de leur maîtresse à faire régner l’autorité.
Reprenant alors la leçon, Abir interroge un élève. Debout, le petit garçon s’exécute laborieusement, les yeux plongés dans son livre. Le vacarme ambiant couvre rapidement la petite voix de l’élève. Nul ne prête attention à ce dernier. Pas même la maîtresse trop occupée à tenter de faire régner le calme, une fois de plus. Mais en vain.
Plus qu’une vingtaine de minutes avant la fin de la journée. Le cours de sciences se termine en queue de poisson. Tant pis pour les exercices d’application. Tant pis aussi pour ceux qui n’ont pas compris la leçon. Abir corrige à la hâte quelques cahiers. Écrit les devoirs du soir au tableau. Les livres sont rapidement rangés, les cartables bouclés. Une fillette demande à sortir. Après un retentissant « retourne à ta place », l’enseignante la pousse dehors sans ménagement, excédée. Le reste de la classe attendra encore quelques minutes.
Seule la perspective de s’en aller calmera les élèves et leur enseignante. Au bord des larmes, Abir tente de se justifier en rejetant son propre échec sur l’indiscipline des enfants. Réalise-t-elle que son comportement envers les enfants n’est fait que de violence, même si elle n’a aucune intention de leur faire du mal ? Réalise-t-elle aussi que ses cris, ses menaces, sa violence, ne réussiront jamais à faire d’elle une bonne enseignante ? Rien n’est moins sûr dans cet établissement, où certaines surveillantes entrent en classe... une règle à la main.
Jour ordinaire de cours dans une école publique de Baalbeck. Dans une classe mixte de huitième, une enseignante que nous appellerons Abir tente à grand-peine de tenir sa trentaine d’élèves, libanais ou syriens. Dépassée par l’indiscipline de ces enfants de 9 à 10 ans, elle flanche. La voix stridente, la main leste, elle n’en finit pas de gronder, réprimander, crier, menacer,...