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Culture

Tahar Ben Jelloun, une plume dénonciatrice de tous les enfers, conjugaux ou politiques...

Conversation à bâtons rompus sur les thèmes du mariage, des relations hommes-femmes, des injustices et de l’état du monde avec l’écrivain Tahar Ben Jelloun, présent à Beyrouth avec ses collègues de l’Académie Goncourt invités d’honneur de cette vingtième édition du Salon du livre francophone.

Tahar Ben Jelloun : « Il faut dire et redire la laideur du monde. » Photo Michel Sayegh

Le Bonheur conjugal, son dernier roman paru aux éditions Gallimard, est tout sauf une bluette romanesque. Bien au contraire, c’est une relation de haine et de fiel que dépeint Tahar Ben Jelloun dans ce roman qui raconte le fracassant naufrage d’un mariage.


Un thème qui n’est certes pas nouveau en littérature, mais que l’auteur franco-marocain a adapté à sa sauce personnelle, mêlant aux habituels déchirements d’un couple cette note orientale et ce glissement du réel à l’onirisme qui font sa signature.


Huis clos plein de rage et de douleur, Le Bonheur conjugal est un récit à deux voix. Celle de l’homme d’abord, du mari qui s’exprime dans la première partie. Et qui raconte comment, victime d’un accident vasculaire cérébral, lui, le grand peintre admiré, célébré, envié, s’est retrouvé paralysé, cloué chez lui, enfermé en lui-même, dépendant des autres et, pire que tout, à la merci de sa femme. Cette dernière qu’il accuse – sans jamais la nommer, préférant la designer par «elle» – d’être à l’origine de tous ses maux. Et puis celle de l’épouse qui répond, dans la deuxième partie du livre, aux accusations dont elle est victime en donnant sa propre version des choses.
Deux voix, deux évocations totalement différentes d’une même vie conjugale, qui formulent de manière crue, âpre et cruelle cette éternelle incompréhension des sexes et son inévitable corollaire: l’insupportable coexistence au sein de l’institution du mariage !


Deux impressions fortes se dégagent de la lecture de ce roman. Tout d’abord, le sentiment d’y déceler des accents autobiographiques (à cause des similitudes qu’on peut y trouver entre l’auteur et son personnage masculin: un artiste marocain reconnu et extrêmement francophone!). Ensuite, l’idée que cet écrivain qui milite ardemment pour le rapprochement des hommes et celui des peuples, qui a notamment signé un Éloge de l’amitié ou encore Le Racisme expliqué à ma fille, dresse là une infranchissable barrière entre les univers masculin et féminin. Tahar Ben Jelloun serait-il misogyne?


L’auteur s’en défend... malicieusement. «J’aime trop les femmes pour l’être! Mais c’est ce qu’affirment aussi les grands misogynes», dira-t-il avec autodérision. Et d’ajouter plus sérieusement: «Le Bonheur conjugal est un roman inspiré du vécu de personnes que je connais, mais fort heureusement pas de ma propre vie, même si j’y ai transposé des éléments de mon identité. Comme tous les écrivains, j’observe ce qui se passe autour de moi et j’y puise matière à roman. Je mélange aussi avec mon vécu, mon imaginaire... Le personnage masculin de ce livre ressemble à beaucoup d’hommes que j’ai rencontrés. C’est une synthèse d’un caractère assez répandu. Chez les artistes en particulier. Il est égocentrique, égoïste, pas très gentil avec sa femme. Il croit être très bon et généreux alors qu’il ne l’est pas vraiment. Sa femme, elle, est dure, coriace, rien ne l’arrête. C’est une tueuse. Mais j’éprouve une certaine sympathie pour elle, parce qu’elle se défend bien. Comme le font souvent d’ailleurs les femmes dans nos sociétés. Elles ne jouissent pas de tous leurs droits, elles ont la réputation d’être dominées et délaissées, mais lorsqu’elles prennent leur revanche, elles deviennent terribles. Pour ce personnage féminin, je me suis inspiré de l’épouse d’un copain qui lui en a fait baver, le pauvre! Mais, justement, c’était parce qu’il ne s’était pas rendu compte du mal qu’il lui avait fait, lui, durant des années.»


Si l’inspiration de ce roman est à chercher plutôt dans son cercle de connaissances que dans sa propre expérience, l’auteur de L’Enfant de sable, de L’Homme rompu, de La Nuit sacrée (qui lui a valu le prix Goncourt) ne cache pas que ce thème de la mésentente entre l’homme et la femme dans les pays arabes est présent, en filigrane, dans tous ses livres. «C’est quelque chose que je traîne avec moi, dont j’ai souvent parlé, mais que j’ai voulu ramasser dans un roman. J’ai mis trois ans à écrire Le Bonheur conjugal, non pas pour attaquer le sentiment amoureux, mais pour y dire que c’est de vouloir couronner ce sentiment par la fusion dans la conjugalité qui le détruit. Cela ne marche, à mon avis, qu’une fois sur deux ou sur trois. Je ne dis là rien de très original. Tchekhov l’a dit, bien avant moi, avec des mots très simples: “Si vous craignez la solitude, ne vous mariez pas”. Balzac, sans s’être marié, a écrit sur la misère de la vie conjugale. Je ne fais que m’inscrire dans la lignée de ces écrivains qui ont abordé de manière aiguë l’institution sociale du mariage», affirme Ben Jelloun.

Les salauds meurent dans leur lit !
Dénoncer aussi bien l’enfer intime que peut être un mariage que l’oppression et la tyrannie subies par les populations du monde arabe... Pour Tahar Ben Jelloun – qui était venu en juin 2011 saluer la mémoire du journaliste assassiné Samir Kassir –, «il faut dire et redire la laideur qui mène le monde».
«Je suis obsédé par l’injustice et je rage tous les jours de voir que les plus grands salauds vivent en paix, que le crime reste impuni, que la mafia triomphe partout, que le mensonge l’emporte toujours sur la vérité et que la force domine le monde. Nous vivons dans un univers où être juste et bon ne vous prédispose pas à affronter les difficultés de la vie quotidienne. Certes, cela a toujours été le cas. Mais quand arrivera-t-on à un État de droit qui assure la justice pour le faible comme pour le puissant? Aucun État arabe n’est un État de droit. Aucun!» martèle Tahar Ben Jelloun. Il avait pourtant confié à l’AFP, il y a quelques mois: «Le printemps arabe est un immense mur de Berlin qui tombe.» «C’est vrai, reconnaît-il. Mais j’avais dit cela au début de ces révolutions, quand j’avais encore des illusions.» Aujourd’hui, l’espoir en berne, il reprend l’intitulé d’une de ses chroniques dans le journal Le Monde: «Les salauds meurent dans leur lit», insinuant que la formule reste toujours d’actualité. Hélas!

 

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